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Antoine THIARD
“Qu’est-ce que la norme ?”
Un article publié dans la revue CULTURE TECHNIQUE, no 29, juillet 1994, pp. pp. 11-17. Numéro intitulé : “La normalisation technique”. Neuilly-sur-Seine : Centre de recherche sur la culture technique.
NORME [norm)], n.f. (1160, mettre norme à, « régler » ; rare av. xixe ; lat. norma « équerre, règle »). 1° Littér. Type concret ou formule abstraite de ce qui doit être. V. Canon, idéal, loi, modèle, principe, règle. Norme juridique, sociale. 2° État habituel, conforme à la majorité des cas (Cf. La moyenne, la normale). S'écarter de la norme (Cf. Déviant). Revenir à la norme. 3° (v. 1920). Techn. Formule qui définit un type d'objet, un produit, un procédé technique en vue de simplifier, de rendre plus efficace et plus rationnelle la production. V. Normaliser. Objet conforme aux normes (standard, type). Norme de productivité, productivité moyenne d'une gamme déterminée de produits. 4° Ling. Ce qui dans la parole, le discours, correspond à l'usage général (opposé d'une part à système, d'autre part à discours). 5° Dr. Règle de droit ; règle juridique. 6° Math. Norme d'un vecteur, nombre réel mesurant sa longueur. V. Distance. ANT. Bizarrerie, difformité.
NORME, ÉE [norme]. adj. (mil. XXe ; de norme). Sc. Dont les vecteurs de base sont de même longueur. V. Ortho-normé.
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La « normalité »
Dans le langage courant, la « norme », c'est ce qui est « normal ». L'habillement, le comportement, les idées, les activités, tout est évalué, soupesé, commenté et souvent jugé sans appel : c'est « normal », ou ce n'est « pas normal ».
« Normal » peut avoir un sens aussi bien péjoratif que rassurant. Péjoratif, car il est souvent interprété comme représentant quelque chose qui bloque et empêche toute idée novatrice et ramène le sel de la vie aux fadeurs d'une désespérante banalité. Rassurant, parce qu'il est synonyme de référence clairement perceptible, porteur de transparence dans l'obscurité, de confort intellectuel par fusion anonyme dans le plus grand nombre.
La démarche conduisant au « normal » ne fait qu'imiter la nature, qui est habile à programmer, à classer, à adapter les êtres en montant des chefs-d'œuvre de normalisation. Depuis la nuit des temps, l'homme a fait de même, avec plus ou moins de bonheur. Qu'on imagine les problèmes de géométrie redoutables que les architectes et entrepreneurs mycéniens ont causés à leurs tailleurs de pierre en n'établissant pas de normes dimensionnelles pour les pierres avec lesquelles ils bâtissaient leurs forteresses. À l'inverse, l'élégance des temples athéniens s'appuyait sur des normes très précises de dimensions, d'état de surface et d'assemblage des pierres. Depuis Goudea, roi de Chaldée en 3000 avant Jésus-Christ, inventeur d'une unité de longueur, ou depuis les Assyriens, normalisateurs des briques, jusqu'aux modernes normalisateurs de la gestion de la qualité, des langages informatiques ou des modèles d'échanges de données, la norme répond exactement aux mêmes impératifs et vise les mêmes objectifs : clarification, ordre, sélection, unification, spécification, langage commun, référence, économie de moyens, matérialisation de l'expérience acquise. La langue est une norme ; la numération est une norme ; l'écriture est une norme ; les unités de mesure, la monnaie sont des normes...
Définitions possibles de la norme
Quelle peut être la définition de la norme ? La plus complète et la plus fidèle semble être la suivante : La norme est une donnée de référence, résultant d'un choix collectif raisonné, en vue de servir de base d'entente pour la solution de problèmes répétitifs.
D'autres définitions évoquent le fait que la norme est un document publié, qu'elle doit, pour avoir la qualité que l'on attend d'elle, se fonder sur les acquis conjugués de la science, de la technologie et de l'expérience, et viser à l'avantage optimal de la communauté.
D'autres enfin, comme celle de l'Organisation internationale de normalisation (ISO), insisteront sur la nécessité d'une procédure d'approbation. La définition de FISO est la suivante : La norme est un document, établi par consensus et approuvé par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d'ordre optimal dans un contexte donné.
La normalisation, quant à elle, est l'action qui consiste à élaborer et à diffuser des normes aux sens exposés ci-dessus.
Pourquoi des normes ?
Comme nous l'avons vu plus haut, l'activité de normalisation est essentiellement liée à l'histoire de l'industrie. Elle est inséparable non seulement du développement de la production de masse et de la mondialisation des échanges, mais aussi des besoins des utilisateurs et consommateurs de produits et de services.
La production de masse a besoin, pour se développer et pour rester compétitive, de clarté et de cohérence ; elle doit à tout prix simplifier, réduire les variétés, faciliter l'interchangeabilité et la compatibilité, réduire les coûts de gestion des stocks, etc. Aujourd'hui s'ajoutent à cela des besoins considérables en matière d'assurance de la qualité des fournitures et des produits fabriqués, et donc de gestion en général (qualité, maintenance, etc.). Le développement des moyens de communication et de transport a nécessité de son côté une organisation cohérente en réseaux marchandises, eau, gaz, électricité, données analogiques ou numériques , que seule rend possible une normalisation très active et aussi complète que possible des caractéristiques de tous les éléments du réseau et de leur interopérabilité.
L'interpénétration croissante des économies et le développement considérable des échanges entraînent, quant à eux, la création de langages communs, de référentiels de dialogue et d'évaluation des produits et des entreprises, le développement de méthodes communes de mesure, d'essais, d'analyse, et la production de véritables doctrines reconnues, par exemple en matière de qualité et de certification de conformité des productions. De plus, les échanges, qui se développent et s'effectuent de plus en plus aux niveaux européen et mondial, entraînent l'harmonisation et l'unification des normes nationales qui, sans cela, pourraient constituer autant d'entraves à leur développement.
Enfin, les utilisateurs et les consommateurs finaux ont besoin de disposer d'éléments indiscutables pour apprécier la qualité des produits et services qui leur sont offerts à profusion : description univoque et reconnue par tous des caractéristiques essentielles des produits circulant sur le marché et des services proposés, et moyens de certifier la conformité à ces descriptions ou d'évaluer les performances d'un produit ou d'un service par rapport à cette référence. Ainsi, la norme joue un rôle de protection du consommateur contre la tromperie et les risques divers [13] d'un produit non sûr, et elle sert de guide en vue de distinguer les produits de qualité. La norme est un outil fort efficace de promotion de la qualité des produits.
Cette aptitude de la norme à servir l'économie en dégageant des « choix collectifs raisonnes » est l'un des principaux acquis de la normalisation, et c'est finalement ce qui fonde sa légitimité.
Aussi les normes sont-elles soumises, au cours de leur processus d'élaboration, à des procédures très strictes garantissant leur validité technique, la participation la plus large des partenaires intéressés (producteurs, laboratoires et centres de recherche, distributeurs, installateurs, fournisseurs, administrations responsables, utilisateurs, consommateurs finaux, etc.), le consensus final sur un texte, mais aussi et avant tout la reconnaissance de leur utilité économique et sociale.
La norme s'est imposée aujourd'hui comme un outil essentiel de l'organisation de nos systèmes économiques contribuant à leur cohérence et à leur efficacité dans le respect du rôle de tous les acteurs.
Ne nous y trompons pas : la norme « parfaite » n'existe pas. La norme constitue certes un choix collectif, que l'on s'efforce d'obtenir par la recherche du consensus le plus large. Cela n'implique nullement qu'elle soit neutre vis-à-vis des intérêts en présence. Une norme n'est jamais neutre. Ceux qui n'apportent pas leur contribution à son élaboration risquent de ne pas être satisfaits. Aussi le système normatif suscite-t-il des appétits. En quelque sorte, il constitue un centre de pouvoir.
Radiographie de la norme
La philosophie de base de la normalisation peut se résumer comme suit :
- la norme est un document technique clair, accessible à tous et d'application volontaire ;
- la norme prend en compte, de façon équilibrée, les considérations techniques et les contraintes économiques ;
- la norme se propose de réaliser un optimum entre les intérêts des industriels, ceux des consommateurs et l'intérêt général ;
- la norme n'a de sens que comme élément d'une collection cohérente.
Concrètement, la norme :
- est un document écrit, accessible au public ;
- est établie selon une méthode faisant appel à la recherche du consensus, donc de l'accord des parties concernées, et dans l'intérêt général ;
- traite de thèmes destinés à une application répétitive et commune ;
- a fait l'objet d'une procédure d'approbation par un organisme reconnu à cette fin ;
- s'appuie sur les acquis de la science, de la technique et de l'expérience ;
- est volontaire et donc, par sa nature même, non obligatoire ;
- est évolutive.
- Un document écrit, accessible au public
La norme est faite par tous ceux qui en expriment le besoin, pour être appliquée par tous ceux qui le veulent.
Les instituts de normalisation disposent en général des normes nationales ou internationales et peuvent les mettre à la disposition de tout demandeur de leur pays. Cette large possibilité d'accès aux normes donnée au public est renforcée non seulement par des catalogues, mais aussi par des bases de données que certains pays (France, Allemagne et Royaume-Uni notamment pour l'Europe) mettent à la disposition de leurs clients.
- Un document établi selon une méthode faisant appel
au consensus dans l'intérêt général
Le sujet d'une norme et son contenu résultent d'un consensus obtenu au sein de commissions de travail réunissant des représentants de toutes les parties intéressées ; le contenu est également contrôlé et conforté par une enquête publique aussi large que possible.
Le texte résultant a donc, sinon le soutien, du moins l'accord de tous sur son existence et sur son contenu : sa force réside dans son caractère immédiatement opérationnel, sans adaptation ni rediscussion, car il constitue un langage commun accepté, voire choisi, par les partenaires concernés.
En cela, la norme diffère radicalement dans sa philosophie même - tant du règlement technique, œuvre régalienne des pouvoirs publics qui peuvent consulter mais qui n'ont pas besoin de consensus pour opérer, que de la spécification professionnelle ou d'entreprise, établie par un cercle restreint à des fins également limitées, ou du cahier des charges, qui ne vise qu'une commande donnée et n'est donc pas destiné à avoir une portée générale.
- Un document destiné
à une application répétitive et commune
Un document d'application générale n'a d'utilité que s'il peut résoudre des problèmes touchant un grand nombre de partenaires (personnes, entreprises, laboratoires, etc.) dans des conditions susceptibles de se reproduire. La norme est destinée à répondre aux besoins du plus grand nombre : elle fournit un moyen de référence pour la communication entre partenaires.
- Un document approuvé
par un organisme reconnu
Cet organisme est l'institut de normalisation national ou l'organisation internationale correspondante. Généralement, les instituts nationaux ont reçu de leur gouvernement et des acteurs de leur économie nationale la mission de gérer l'élaboration des normes. Leurs règles de fonctionnement et d'élaboration des normes, très voisines [14] d'un pays à l'autre, font qu'ils sont non seulement reconnus officiellement, mais adoptés concrètement par les acteurs économiques comme habilités à publier la norme. Gardien du respect des règles d'élaboration des normes et de recherche du consensus, l'institut national jouit généralement de l'autorité morale nécessaire pour conférer à la norme une force suffisante sur le marché.
- Un document qui s'appuie sur les acquis de la science,
de la technique et de l'expérience
La norme est un outil technique à la disposition des acteurs économiques : industrie, commerce, agriculture, activités de service, utilisateurs, consommateurs, etc.
Sa validité intrinsèque comme outil de communication et comme référence repose bien sûr sur son opportunité, mais également et fondamentalement sur sa validité scientifique et technique. Si celle-ci n'est pas suffisamment assurée, c'est toute l'industrie mondiale, et donc l'économie, qui en sera profondément et durablement affectée. Assurer la validité technique de la norme suppose que les rapports entre la recherche appliquée et la normalisation soient le plus étroits possible, contrairement à bien des idées reçues. Cela est particulièrement vrai aujourd'hui, en raison de l'accélération de l'évolution des technologies, du raccourcissement de la durée de validité technique des produits, et de l'apparition de besoins nouveaux aux conséquences considérables, comme par exemple ceux relatifs aux applications des technologies de l'information, à la gestion et à l'assurance de la qualité, à la gestion des projets, aux activités de service et à bien d'autres activités.
- Enfin, un document non obligatoire par nature
De par ses principes d'élaboration, la norme est un document dont l'application est laissée volontairement au choix des partenaires dans leurs échanges et leurs relations contractuelles. Les instituts de normalisation n'ont pas le pouvoir de les rendre obligatoires, et c'est bien ainsi.
Il existe des domaines où la normalisation établit des règles en matière de sécurité et de protection des citoyens ou de l'environnement, par exemple. Dans ces derniers cas, il arrive que les pouvoirs publics introduisent ces règles dans leur réglementation technique. La législation européenne, qui fait une large place à la « nouvelle approche », se substitue de plus en plus aux législations nationales. Reste cependant que, pour certaines applications, la référence aux normes harmonisées sera de règle : c'est le cas des marchés publics de fournitures dans la Communauté européenne, en application de la directive 88/295 du 22 mars 1988 modifiant la directive 77/62.
Différents types de normes
Contrairement aux idées très répandues qui la ramènent à une description de produit, d'ailleurs bien souvent limitée aux aspects dimensionnels, la norme revêt des aspects extrêmement variés, comme nous allons tenter de le montrer.
Dans cette perspective, on peut distinguer trois typologies des normes : une typologie fonctionnelle, une typologie structurelle et une typologie administrative.
- Typologie fonctionnelle
Il s'agit là des différents types de normes selon leur contenu. Il est bon de noter que ces différents types ne s'excluent pas mutuellement et qu'une même norme peut être de plusieurs types : c'est le cas de la « norme de produit », qui comporte le plus souvent de la terminologie et des méthodes d'essais.
- Norme de base : norme de portée générale, ou qui comporte des dispositions d'ensemble dans un domaine particulier.
- Norme de terminologie : norme qui fixe des termes, généralement accompagnés de leur définition et parfois de notes explicatives, d'illustrations, d'exemples, etc.
- Norme d'essai ou d'analyse : norme qui donne des méthodes d'essai ou d'analyse, parfois accompagnées d'autres dispositions concernant l'essai ou l'analyse telles qu'échantillonnage, emploi des méthodes statistiques, ordre des essais, etc.
- Norme de produit : norme qui spécifie tout ou partie des exigences (caractéristiques, performances, exigences de sécurité, protection de l'environnement, etc.) auxquelles doit satisfaire un produit ou un groupe de produits pour répondre à son objet.
- Norme de sécurité : norme contenant des prescriptions destinées à assurer la sécurité des personnes, des animaux et des biens.
- Norme de service : norme spécifiant la totalité ou une partie des exigences auxquelles doit répondre un service pour remplir son objet. Ce type de norme, assez nouveau, est actuellement en plein accroissement, en raison des besoins nouveaux manifestés par les professionnels.
Cette typologie fonctionnelle peut être analysée également d'une autre manière. On peut en effet répertorier les fonctions des normes par l'objectif concret qu'elles poursuivent dans les assemblages ou juxtapositions de produits ou dans des fonctions de gestion.
On distinguera alors, par exemple, les types suivants :
- Norme de réduction de variétés : norme privilégiant, dans une gamme de produits, de dimensions, de caractéristiques, etc., certains de ces produits, dimensions, caractéristiques, etc.
- Norme d'interface : norme spécifiant des exigences relatives à la compatibilité ou à l'interopérabilité de produits ou de systèmes à leurs points ou zones d'interconnexion.
- Norme d'interchangeabilité : norme contenant des dispositions aptes à permettre l'interchangeabilité des
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JOINTS DES FILS TÉLÉGRAPHIQUES
À l'exposition qui a été ouverte à Berlin dans le dernier trimestre, à l'occasion de la réunion du Congrès des télégraphes, l'Association des fabricants de fils télégraphiques de la Westphalie a présenté une collection complète des conducteurs employés à différentes époques et dans les différents pays. Cette exposition comprenant aussi les différents joints en usage, tels que les représente la figure ci-jointe. Il a été commis quelques erreurs paraît-il, et l'Amérique notamment réclame avec énergie contre celui qui lui est attribué et qui semble en effet d'une perfection discutable.
La figure n'en est pas moins intéressante ; elle représente dix systèmes de réunion des fils télégraphiques et cette abondance prouve une fois de plus qu'en aucune matière la perfection n'est de ce monde.
Joints des fils télégraphiques
1 et 13, France. 2, Angleterre. 4, Amérique. 3, liaison des fils à l'intérieur du n° 4. 5 et 7, Prusse. 6, section du n°7. 8, Hanovre et Hollande. 9, Angleterre et Belgique. 10, joint Siemens. 12, Saxe. 11, section du n° 12.
Cosmos, 25 janvier 1886
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- dispositifs techniques.
- Norme de gestion : norme spécifiant des dispositions d'ordre organisationnel ou de gestion pour remplir un objet déterminé tel que qualité, fiabilité, maintenance, etc.
- Norme « guide » : norme contenant des indications types pour faciliter les relations contractuelles dans un domaine déterminé.
Cette liste n'est en rien exhaustive.
Cette typologie fonctionnelle montre combien les formes et les contenus des normes peuvent être variés, et combien les fonctions que celles-ci peuvent couvrir sont elles-mêmes nombreuses, multiples et en fait sans limitation véritable, si l'on se rapporte à la définition même de la norme.
- Typologie structurelle
On distingue, dans les normes de produits, les normes de moyens et les normes de résultat.
La norme de moyens décrit concrètement les moyens à utiliser pour atteindre son objet. Elle décrira dans le détail un mode de construction, une composition, les matériaux à utiliser, etc. Elle est un peu un guide de fabrication, mais elle fige la technique.
La norme de résultat, ou d'objectif, fixe le résultat à atteindre par le produit par exemple ses caractéristiques et ses performances , laissant au producteur l'entière liberté de choix des moyens, donc toute latitude en matière d'innovation.
La préférence est de plus en plus donnée à la norme de résultat, notamment en normalisation européenne et internationale où elle est de règle. Cependant, la norme de résultat n'est pas toujours possible ; en particulier, elle peut entraîner un recours à des procédures d'essais complexes, coûteuses ou de longue durée qui sont alors rédhibitoires.
- Typologie administrative
On distingue essentiellement :
- les « normes », munies de toutes les assurances de pérennité normale (5 ans en moyenne) et dont le contenu technique est totalement éprouvé, le consensus ayant en outre été soigneusement vérifié ;
- les normes à caractère « expérimental », dont l'objet est de mettre à la disposition des acteurs économiques des solutions provisoires, soit que la technologie en cause reste encore mouvante, soit qu'il faille compléter le consensus par une expérimentation concrète sur le terrain, avant toute consécration comme « norme ».
À quoi et à qui les normes servent-elles ?
Comme on l'a vu, la norme est essentiellement un langage commun, un outil de dialogue, une référence pour des accords.
Quel que soit son type, on a vu que son rôle est de proposer une solution à un problème technique ou administratif, cette solution, compte tenu du mode d'élaboration de la norme, étant a priori susceptible d'être soutenue par de nombreux acteurs économiques et applicable à de nombreux cas.
Aussi les normes, bibliothèques vivantes des technologies, sont-elles utilisées dans la quasi-totalité des actes de la vie économique. Dans les pays développés, elles couvrent la plus grande partie des activités industrielles et ambitionnent de répondre aux besoins des consommateurs, des ménages, des entreprises et des administrations.
Parmi les principales utilisations, on peut citer :
- Au sein de l'entreprise, elles peuvent permettre de bénéficier de l'acquis technologique dont l'entreprise a besoin pour ses activités : matériaux, pièces détachées, sous-ensembles, méthodes d'essais, performances, sécurité, etc. Tous les secteurs d'activité industriels sont visés.
- Dans les relations entre partenaires économiques, la norme est le langage technique par excellence des relations client-fournisseur sur les produits, leurs caractéristiques, leurs performances, leurs composants, leurs matériaux, etc., mais aussi sur les méthodes d'essais, la gestion de la qualité, la maintenance, la logistique, la sécurité, le respect de la réglementation éventuelle, etc. Comme nous l'avons vu, ce rôle d'outil de dialogue est particulièrement déterminant lorsqu'il s'agit de donner satisfaction aux demandes des consommateurs en matière de qualité des produits et services.
- Dans les relations entre les pouvoirs publics et les acteurs économiques, les normes jouent aussi un rôle important. Elles fournissent des règles ou des limites à ne pas dépasser, ou encore des méthodes, et sont extrêmement utiles aux pouvoirs publics dans leur rôle de garants de la protection des travailleurs, des consommateurs, de l'environnement, en ce qui concerne l'hygiène, la santé, la sécurité, la pollution, etc. Dans ce cas, comme nous l'avons vu, les pouvoirs publics se réfèrent aux normes pertinentes dans la réglementation, sachant que cette dernière est de plus en plus harmonisée au sein de la Communauté européenne. D'autre part, dans de nombreux pays, les acheteurs publics ont pris l'habitude d'exiger le respect des normes dans les marchés qu'ils passent. C'est une prescription d'acheteurs et non pas de pouvoirs publics, bien qu'en l'occurrence les deux se confondent souvent. Etant donné l'importance relative des marchés publics et le prestige qui leur est attaché, cette prescription donne aux normes en général un poids très important, les fournisseurs étant tenus de s'y conformer. On a vu qu'au sein de la Communauté européenne la référence aux normes harmonisées sera obligatoire dans les marchés publics.
- Dans les échanges internationaux, les normes sont de plus en plus utilisées comme référence pour les transactions. Ce mouvement se poursuivra, en raison de l'accroissement considérable du commerce international [17] (plus rapide que la croissance des PIB), de l'émergence de systèmes de production transnationaux, d'un certain renversement des points clés de la demande relative aux produits, laquelle privilégie de plus en plus les exigences relatives aux performances qui leur sont demandées plutôt que la désignation précise de leur mode de construction.
Cette évolution mondiale forte, le développement de systèmes organisés tels que la Communauté européenne et le code du Gatt font que l'« espace » de la normalisation devient en fait de plus en plus plurinational ou mondial.
La conséquence en est que le respect des normes fait de plus en plus partie de considérations à incidences commerciales très directes, certains marchés étant fermés à quiconque ne respecte pas les normes impliquées.
Les secteurs d'activité principalement concernés
La normalisation est quasi universelle, car elle est présente dans la quasi-totalité des secteurs d'activité industrielle, et en extension dans d'autres secteurs tels que celui des services.
Traditionnellement, les industries électrotechniques et mécaniques ont été les plus grands pourvoyeurs des normes. Mais le domaine des matériaux (métaux, autres matériaux), ceux du bâtiment, des transports, de la chimie, de l'équipement domestique, etc., ont également une très grande quantité de normes de toute nature et sont la source de travaux très importants.
Plus récemment, l'électronique, les technologies de l'information et leurs applications, les matériaux nouveaux, les biens de consommation ont fait irruption en force dans les travaux de normalisation dont ils sont devenus l'aile motrice.
Tout ce qui touche à l'hygiène, à la santé, à la sécurité, à la protection de l'individu, à la protection de l'environnement représente également pour tout pays une part croissante de sa collection de normes.
Enfin, la normalisation s'étend de plus en plus à des aspects méthodologiques relatifs à des opérations de gestion dans l'entreprise ou de services entre entreprises : gestion et assurance de la qualité, maintenance, conduite de projets, mais aussi relations clients-fournisseurs, guides pour la rédaction de contrats, services de sous-traitance, etc. Ainsi, par exemple, les références mondialement reconnues aujourd'hui en matière de gestion et d'assurance de la qualité dans les activités industrielles sont les normes internationales pertinentes élaborées au sein de l'ISO.
La norme est l'un des moyens les plus efficaces de promotion de la qualité des biens et des services, et, à ce titre, devant l'ampleur et le contenu des collections existantes de normes, aucune activité économique ne peut aujourd'hui se considérer comme non concernée par tel ou tel aspect de la normalisation.
Comme nous l'avons vu, la norme est aussi, par son impact sur la technique et les échanges, un instrument stratégique pour les entreprises, pour les professions et pour les économies nationales. L'image d'une industrie sur le marché international va de pair avec l'image de sa normalisation nationale. L'enjeu, pour la France et désormais pour l'Europe, avec l'harmonisation en cours des normes nationales, est considérable face aux produits provenant des autres continents, Amérique ou Asie du Sud-Est. La norme européenne, qui se substituera progressivement aux normes nationales, devra être la meilleure si l'on veut que les produits européens s'imposent par leur qualité. Certes, la norme n'est pas tout ; elle constitue un élément parmi d'autres de l'environnement des entreprises, et un outil parmi d'autres pour leur gestion. Mais sans cette référence, multiple dans ses applications possibles, ces entreprises risquent de devenir rapidement dépassées et de perdre leurs marchés. Pour elles, grandes, moyennes ou petites, tel est l'enjeu de la décennie à venir.
(1992)
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