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“Sociologie des totalitarismes.”
par Pierre Ansart
- Section 2. Sociologie des totalitarismes, par P. Ansart [160]
- 1. Les conditions sociales de la production [162]
- 2. Les systèmes sociaux [169]
- 3. Les institutions [176]
- 4. Culture et idéologies [183]
- Bibliographie [191]
L’étude des sociétés soumises à l’emprise d’un État totalitaire se heurte à des difficultés particulières. C’est en effet l’un des premiers objectifs de ces États que de contrôler intégralement la diffusion des informations concernant les structures sociales et leurs transformations, les fonctionnements et dysfonctionnements, les conflits propres à la société civile, les conditions réelles d’existence des populations. Durant la période stalinienne, toute divulgation d’informations sociales auprès d’un observateur étranger était passible de sanction pénale; durant la période hitlérienne, les sociologues allemands durent se conformer aux thèses officielles ou se résigner à l’exil.
Les questions que pose une sociologie des totalitarismes vont, en effet, à l’encontre du projet de l’ « État total ». Il s’agit de rechercher quels traits particuliers marquent la société dans une situation où l’État prétend la réduire à ses propres décisions, prétend s’approprier toutes les manifestations et tous les dynamismes de cette société. Qu’en est-il de la société réelle dans une situation où la distinction entre l’État et la société civile est explicitement niée par les détenteurs du pouvoir politique, où tous les appareils d’État conjuguent leur emprise pour détruire toute velléité d’indépendance des individus et des groupes ?
Cette interrogation générale suscite une série de questions particulières concernant les multiples groupements sociaux et les diverses formes de la pratique sociale. Rien ne permet, en effet, de préjuger que le projet étatique de totaliser la société, de la rendre politiquement homogène et en tout point conforme à l’idéologie officielle, se réalise complètement et identiquement dans tous les secteurs de la vie collective.
Qu’en est-il des relations sociales et des conditions de vie dans la production ? Est-ce que les structures sociales mises en place, les syndicats, les entreprises, sont intégrés sans tension dans l’État ? Est-ce que les comportements des agents économiques se conforment, sans contradiction, aux impératifs du pouvoir ou, au contraire, l’économie totalitaire n’aurait-elle pas tendance à susciter des comportements déviants échappant aux contrôles officiels ?
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Du point de vue des divisions de la société, est-il exact que l’État parvienne à dissiper les clivages sociaux dans une unité politique retrouvée et, s’il n’en est pas ainsi, quelles divisions et quelles contradictions restent importantes et régulatrices par-delà les apparences ? Quels caractères revêt la division de la société en classes, ou cette division est-elle moins décisive que les distinctions de catégories, d’ethnies ou de régions ? Quelle mobilité sociale se poursuit et avec quels caractères particuliers ? Quels dynamismes transforment l’ensemble social ?
Concernant les grandes institutions de l’État, comment sont recrutés les membres du Parti unique et des bureaucraties, comment les agents y sont-ils hiérarchiquement distribués et comment les concurrences y reçoivent-elles solution ? Quelle est la composition sociale des polices ? Quels sont les degrés de pénétration de ces appareils dans les différents milieux sociaux ? Comment est exercé le contrôle des comportements ? Quelles formes revêt, s’il y a lieu, l’exercice de la terreur dans la vie quotidienne, par quels procédés et avec quels effets ? Y a-t-il des résistances, individuelles ou collectives ?
Enfin, puisque l’État totalitaire accorde tant d’importance à l’uniformité idéologique, qu’en est-il de cette emprise idéologique, de ses instruments et de ses conséquences ? Comment et jusqu’à quel point l’État idéocratique a-t-il pu s’imposer aux systèmes adverses de croyances, réduire ou détruire l’influence des religions, des sectes et des idéologies politiques opposées ? Les moyens de communication de masse, les productions culturelles étaient-ils complètement conformes aux normes du pouvoir et avec quels effets ? Et cette emprise avait-elle aussi pour conséquence de provoquer des rejets et des formes nouvelles d’opposition ?
Pour tenter de répondre à ces questions, nous nous limiterons à deux exemples que l’on peut tenir pour idéal-typiques : le régime stalinien de 1930 à la mort de Staline et à ses suites immédiates (1956) et le régime hitlérien (1933-1945)- Il n’est pas nécessaire, pour entreprendre cette comparaison, d’entrer dans le débat concernant le totalitarisme ; il suffit ici de poursuivre cette méthode commune de la sociologie qu’est la sociologie comparative. Au terme de cette comparaison, nous pourrons néanmoins nous demander si une telle confrontation conforte ou non la problématique du totalitarisme.
Les recherches sociologiques menées sur ces deux cas recourent à des sources et documents d’origines très diverses et de fiabilités inégales. Ainsi les documents produits par ces gouvernements, les changements de politique économique, les polémiques officielles, les nouvelles réglementations peuvent constituer, pourvu qu’on ne les considère pas dans leurs contenus manifestes mais comme des réponses à des situations concrètes, des symptômes éminemment révélateurs de tensions officiellement cachées. Les changements, parfois rapides de la politique économique, les revirements inattendus de la politique agricole en urss, de 1929 à 1935, par exemple, fournissent par eux-mêmes des indices sur les résistances des producteurs immédiats.
Plus directement, et malgré la permanence d’une censure s’exerçant sur tous les écrits, les publications diverses, depuis les statistiques démographiques, économiques, sociales, jusqu’aux journaux quotidiens ne sont pas sans procurer, après critique, une considérable documentation sur les formes de la vie collective. Les comptes rendus des procès réprimant des délits économiques, par exemple, révèlent, [162] par leurs attendus, des comportements échappant provisoirement ou durablement aux réglementations.
Concernant l’exercice des totalitarismes, il importe de recueillir particulièrement les documents concernant la violence politique, les internements, les camps de travail, les camps de concentration. Le choix des victimes, l’organisation des camps ne manquent pas de définir des traits essentiels de ces régimes. Sur ces points, les documents directs ont longuement fait défaut ; néanmoins, depuis la chute du IIIe Reich comme depuis le Rapport Khrouchtchev de 1956, les documents se sont accumulés, suppléant, en partie, aux silences antérieurs.
Il reste que tous ces documents, aussi nombreux et divers qu’ils soient, laissent dans l’ombre bien des aspects concernant les attitudes des populations, l’exercice quotidien des répressions, les modalités des soutiens et des sujétions. Aussi bien les témoignages individuels, les récits de vie de tous ceux qui ont été, à un moment ou à un autre, victimes des violences et des répressions sont-ils, pour une sociologie des totalitarismes, particulièrement importants. De même sont significatifs, pour une sociologie de la vie quotidienne en régime totalitaire, les témoignages des citoyens restés éloignés des appareils d’État.
Nous aborderons cette sociologie des totalitarismes en retenant quatre questions essentielles : 1) Les conditions sociales de la production agricole et industrielle ; 2) Les divisions sociales, les classes, et les transformations du système social ; 3) Les appareils d’État et l’exercice des répressions ; 4) Les idéologies, leurs fonctions et leur manipulation.
1. Les conditions sociales de la production
Les conditions réelles d’existence et l’organisation du travail dans les campagnes et dans les entreprises ont constitué une face particulièrement cachée de ces deux régimes. En des cas extrêmes, pour de grands travaux d’infrastructure en Russie, par exemple, la propagande dressait une image idyllique des conditions de travail, alors que ces conditions étaient exceptionnellement pénibles et le taux de mortalité des travailleurs sans précédent dans les nations modernes (Gorki, 1934). Par-delà ce mur d’illusions, apparaissent des situations diverses qui imposent de différencier ici ces deux régimes.
L’exercice de 1 emprise étatique sur les conditions de production trouve une illustration exemplaire dans le cas de la paysannerie en urss de 1929 à 1937. Pendant cette brève période, le gouvernement soviétique imposa à la paysannerie une succession de bouleversements majeurs prenant les caractères d’une sorte de « guerre civile » (Lewin, 1966). Les nombreux travaux menés sur cette période permettent de mesurer les traits essentiels de ces bouleversements imposés (Jasny, 1949 ; Shiler, 1954 ; Belov, 1955 ; Nieznanov, 1958 ; Ellison, 1961 ; Lewin, 1966 ; Karcz, 1967).
La rapidité et la profondeur de ces bouleversements doivent être soulignées. À partir de 1924, la politique de la nep avait incité les paysans à développer leur production et à s’organiser spontanément au niveau des villages. Ainsi, vers 1927, plus de 95 % des terres se trouvaient exploitées en « jouissance communautaire » [163] dans le cadre de l’institution communautaire du village, le MIR (Carr, 1958 ; Lewin, 1966, p. 79). La production agricole connaissait alors une expansion qui contrastait avec les périodes antérieures de famine.
Ni la Révolution d’Octobre, ni la nep n’avaient fait disparaître les distinctions sociales au sein de cette classe paysanne qui constituait alors quelque 80 % de la population totale. On pouvait y distinguer, non sans risque de simplification, les ouvriers agricoles (batraki), les paysans pauvres (bednjaki), les petits propriétaires (serednjaki) et les paysans aisés (koulaks) ; en fait, ces catégories simplificatrices recouvraient des situations très diverses selon les régions et leurs cultures particulières. La révolution, sans faire disparaître ces distinctions, avait réalisé, en libérant les paysans des entraves féodales, une notable égalisation parmi eux. Mais durant l’été de 1929, le Comité central décida d’interrompre la politique agricole de la nep, de bouleverser le régime de propriété des terres par l’imposition du régime des kolkhozes (fermes coopératives) et des sovkhozes (propriétés d’État). En décembre 1929, Staline annonça la nouvelle politique de « liquidation des koulaks en tant que classe ». L’hiver 1929-1930 vit se dérouler cette mutation avec ses multiples conséquences : arrestations des propriétaires ou soupçonnés de l’être, déportation des familles, résistances multiples sous forme, par exemple, de l’abattage du bétail. Les destructions et les violences furent si considérables que le pouvoir dut reculer et Staline dut dénoncer, en mars 1930, le « vertige du succès ». Le 15 mars, un nouveau décret autorisait les paysans à quitter les fermes collectives qui venaient d’être organisées : aussitôt le pourcentage des fermes collectives tombait à 21 % des exploitations alors qu’il avait atteint 58 % avant la promulgation du décret. Le XVIe Congrès du Parti, réuni du 26 juin au 13 juillet 1930, réaffirme le principe de la collectivisation qui reprend dès le début de 1931. En 1932, 61,5 % des exploitations sont collectivisées, couvrant 88 % des surfaces cultivées (Jasny, 1949).
Cette brève période illustre des traits généraux de la condition paysanne. Un aspect essentiel en est la complète extériorité des décisions par rapport à la classe sociale concernée. Comme le soulignent les analystes de cette période (Carr, 1958 ; Lewin, 1966 ; Carrère d’Encausse, 1979, pp. 28-33), ces décisions furent élaborées sans considération des aspirations paysannes ni prise en considération des réalités sociales du monde rural. Le Comité central choisit de dresser les paysans pauvres (batraki et bednjaki) contre les koulaks en fonction de ses propres objectifs. L’histoire de ces décisions renvoie, non aux aspirations et revendications des paysans, mais aux échecs de la gestion économique, aux classifications élaborées au niveau politique, à l’évolution du pouvoir depuis la mort de Lénine, aux conflits entre les dirigeants du Parti, Trotsky, Boukharine, Staline et, finalement, à l’avènement de Staline au pouvoir.
L’ampleur de la violence de cette mutation en est un autre trait caractéristique. Staline estima lui-même à dix millions le nombre des morts et des déportés au cours de cette collectivisation. Moshe Lewin conclut, au vu des statistiques soviétiques, que la seule déportation a dû frapper en effet quelque dix millions de personnes, sans considération de sexe et d’âge, dont un grand nombre ont péri dans les camps et sur les chantiers (Lewin, 1966, p. 450). De plus la famine de 1932-1933, consécutive aux bouleversements de la collectivisation, tua plus d’un million de paysans. [164] Pour le seul peuple kazakh qui comptait quatre millions de personnes avant la collectivisation, on estime à un million les pertes provoquées par leur sédentarisation forcée. Mais l’imprécision même de ces chiffres, le fait qu’aucune archive n’ait été constituée indiquent assez le caractère anonyme de ces violences où des millions de familles disparurent sans laisser même la trace de leur nom.
Un autre aspect de ces violences est lié à l’imprécision des ordres émis. Le décret du Ier février 1930 décide que les ressources nécessaires à la collectivisation seront fournies par l’expropriation des koulaks et le versement de leurs biens aux fermes collectives. Mais la notion de koulak est tout à fait imprécise et, rapidement, les autorités locales chargées de dresser la liste des koulaks étendent arbitrairement cette désignation. Dans l’été de 1930, les mesures de « dékoulakisation » atteignent près de 15 % de la population paysanne alors qu’il n’y avait, estimait-on, que 4 % de koulaks (Lewin, 1966, p. 67). Cette imprécision des ordres autorisait de multiples violences et vengeances privées.
De nombreux ouvrages publiés depuis 1956 en urss ou par des réfugiés décrivent ce que furent alors les résistances paysannes. Elles prirent, non une forme organisée, en raison de la force des moyens de répression, mais des formes multiples dont une partie transparaît dans les statistiques officielles : abattage du bétail, destruction des biens. Les Archives de Smolensk font état d’une vague de suicides parmi les paysans aisés. Elles contiennent aussi des lettres de batraki et de bednjaki exprimant leur révolte contre ces violences (Fainsod, 1967, pp. 267-295).
En 1937, la collectivisation était achevée. En 1935, le IIe Congrès des kolkhoziens avait adopté le statut type de l’artel agricole et donné à la coopération kolkhozienne sa forme définitive. Les familles se trouvaient définitivement attachées à un kolkhoze ou à un sovkhoze, les horaires de travail réglementairement fixés, les limites des lopins de terre individuels précisément définies, l’encadrement administratif et technique fixé par décret (Chombart de Lauwe, 1961 ; Dumont, 1964). L’encadrement de la paysannerie se fait par l’intermédiaire des stations de machines agricoles, les mts qui ont pour fonction de moderniser l’agriculture, mais aussi de former politiquement la paysannerie, en liaison avec les sections politiques du Parti.
Les transformations de la classe ouvrière ne furent pas moins profondes mais revêtirent d’autres caractères, la classe ouvrière n’étant pas traitée en ennemie de classe.
La période de 1928 à 1939 est marquée par un accroissement numérique très rapide de la classe ouvrière lié à l’industrialisation (Bettelheim, 1946 ; Schwarz, 1956). S. Schwarz estime, bien que ces chiffres ne soient pas d’une parfaite précision, que le nombre des ouvriers et employés qui s’élevait à quelque 11,6 millions en 1928, atteignait 22,9 millions en 1932 et 27 millions en 1938. La majeure partie de cette population venait de la classe paysanne (des koulaks arrachés à leur terre furent assignés à travailler sur des chantiers industriels) ; une notable partie était fournie par l’extension du travail féminin.
Les conditions de travail, l’extrême pénibilité des tâches sur certains chantiers, le nombre élevé d’accidents dus aux mauvaises conditions de travail ont été souvent évoqués par les témoins et observateurs soviétiques ou étrangers (Dobb, 1948 ; [165] Bergson, 1953 ; Berliner, 1957) néanmoins aucune statistique fiable n’a été constituée des accidents du travail et de leurs causes, cette dimension du travail en restant ignorée par les organismes officiels.
Du point de vue des salaires et des relations sociales à l’intérieur des entreprises, des transformations radicales se produisirent au cours de cette période. Après 1917, dans la mouvance de la révolution, l’accent avait été mis sur l’égalité des salaires et un relèvement de leur niveau avait commencé après 1921. Mais avec le développement de la nep et en raison de la hausse des prix, les salaires connurent un déclin rapide estimé à près de 40 % (Schwarz, 1956, pp. 175-247). Cette situation se trouvait aggravée pour les catégories défavorisées du fait de la réintroduction de la différenciation des salaires. En septembre 1931, une ordonnance gouvernementale rétablissait un éventail très étendu de salaires selon une échelle de huit catégories ouvrières. Un rapport soviétique de 1935 indique que, si le salaire moyen de l’ouvrier est alors de 150 roubles par mois, il n’est que de 80 roubles environ pour les femmes, de 100 à 120 pour les manœuvres, de 400 à 800 pour les ingénieurs, de 500 à 2 000 pour les ouvriers d’élite. Dans le même temps, les salaires des hauts fonctionnaires atteignent 5 000 roubles. Parmi les ouvriers, le rétablissement du salaire aux pièces en 1932, les avantages accordés aux ouvriers de choc (stakhanovistes, héros du travail) renforçaient systématiquement la disparité des conditions et des niveaux de vie.
De même, à partir de 1932, un ensemble de mesures répressives furent prises visant à multiplier les contrôles de la classe ouvrière et à étendre un appareil de surveillance spécialisé. Les syndicats qui s’étaient vus privés de tout pouvoir politique au lendemain de la révolution, perdent, en 1935, toute autorité face à l’État ; ils sont alors exclus de la discussion des normes du travail et achèvent de devenir de nouveaux appareils d’État (Schwarz, 1966, pp. 425-503). Des ordonnances de 1932 définissent un code contraignant du travail : elles imposent le livret de travail qui interdit à l’ouvrier de quitter son emploi sans une décision des autorités, elles définissent les sanctions prises en cas d’absence injustifiée (licenciement, retrait des cartes de rationnement, éventuellement expulsion du logement lorsque celui-ci est lié à l’emploi). En décembre 1932, l’introduction du passeport intérieur s’ajoute à ces limitations de la liberté du travailleur.
Sur bien des points, la comparaison s’impose entre les conditions des classes populaires allemandes et celles des classes populaires soviétiques à la même époque, malgré les grandes différences des conditions matérielles. Ces profondes différences s’inscrivent dans la distance qui séparait, en 1930, une nation au capitalisme industriel peu développé comme la Russie et une nation industriellement développée comme l’était alors l’Allemagne de Weimar. Ainsi la classe paysanne ne connut pas de bouleversement comparable à celui de la classe paysanne russe, le gouvernement nazi maintenant le régime de propriété et organisant autoritairement la production agricole en accord avec sa conception des besoins nationaux.
Pour la classe ouvrière, le pouvoir hitlérien se trouvait face à une classe divisée politiquement mais forte de ses organisations syndicales : dès 1933, son objectif fut de faire disparaître, par la menace, l’intimidation, les arrestations, toute opposition sur les lieux de travail. En mai 1933, le nouveau pouvoir interdit les syndicats ouvriers pour les remplacer par une organisation étatique de tous les ouvriers : le [166] Front allemand du Travail dont le chef suprême était à la fois responsable de l’organisation du Parti et chef du Front du Travail. La nouvelle législation du travail, condamnant toute lutte des classes, intégrait dans un « Conseil de confiance » les ouvriers des entreprises de plus de 20 salariés, incitait les employeurs à développer l’harmonie dans l’entreprise, à améliorer la « Beauté du Travail », à accroître la pratique du sport… Le Front du Travail organisait des loisirs ouvriers (« La Force par la joie ») et développait une intense activité de propagande.
Dès 1935, avec le retour du plein-emploi, des tensions multiformes se développèrent : écart des salaires entre les industries de base (textiles, biens de consommation) et les industries en extension (fer, métaux, bâtiment), pénurie de la main-d’œuvre qualifiée, conflits au sommet entre politiques patronales et politique étatique, multiplication des résistances ouvrières : menaces de grève, revendications salariales, expressions de mécontentement, absentéisme. En 1936, pour fixer la main-d’œuvre, le gouvernement autorisait les employeurs à conserver le livret de travail de l’ouvrier en cas de rupture de contrat, et soumit les embauches à l’approbation préalable des bureaux de main-d’œuvre. Après 1938, la militarisation se substitua à toutes ces tentatives d’endisciplinement : un décret d’économie de guerre, en septembre 1939, habilitait les administrateurs du travail à fixer les salaires maximum et les conditions de travail dans toutes les branches de l’industrie : aux hésitations antérieures succédait une gestion générale et militaire du monde ouvrier (Masson, 1975 ; 1978).
Par-delà les différences des conditions matérielles des classes ouvrières soviétique et allemande, différences dues essentiellement à la situation économique initiale, se dessine ainsi un même endisciplinement des ouvriers dans le pouvoir de l’État, discipline obtenue par des moyens comparables : suppression des libertés syndicales et du droit de grève, renforcement des hiérarchies, application de sanctions violentes en cas d’insoumission.
Au terme de cette organisation répressive du travail se situent le travail forcé et son extension systématique dans le camp de travail. C’est, en effet, l’un des points communs entre le totalitarisme stalinien et le totalitarisme hitlérien que cette organisation coercitive du travail en de vastes rassemblements disciplinaires. Dans les deux cas, le souci de rassembler une force de travail peu rémunérée, requérant peu d’investissement et totalement disciplinée, poussait à l’édification de ces camps : en urss pour accélérer la construction des infrastructures (en particulier dans le nord et l’est du pays), en Allemagne pour accroître la production des armements. S’y ajoutait, en urss, une justification issue de la Révolution d’Octobre et fournie par le principe humaniste appelant à remplacer les prisons par le « travail rééducatif ».
Ces camps de travail, longtemps cachés par une censure efficace de l’information, sont aujourd’hui mieux connus. Les travaux des observateurs et dénonciateurs ont accumulé une considérable information sur les camps soviétiques (Dallin et Nicolay Evsky, 1948 ; Soljenitsyne, 1974) et sur les camps nazis (Calic, 1966 ; Billig, 1967 ; Wormser-Migot, 1968 ; Rousset, 1971 ; Antelme, 1978). De plus, une somme considérable d’informations a été accumulée par les témoignages de rescapés ayant parfois vécu plus de vingt ans dans ce système concentrationnaire. Ces témoignages, souvent insoutenables, ont révélé toute la violence de ces camps et la brutalité ou la [167] férocité de leurs gardiens (Sentaurens, 1963 ; Chalamov, 1969 ; Maloumian, 1976).
En urss, l’organisation du travail forcé devait marquer une profonde rupture avec la théorie révolutionnaire instaurée en 1917. Dans ces premières années, en effet, loin d’imposer la contrainte du travail, le mouvement révolutionnaire avait dénoncé toute forme de coercition en ce domaine, brisé les vestiges du servage paysan, libéré les ouvriers des contrôles imputés au capitalisme. En réalité, dès avant 1930 (Soljenitsyne, 1974) apparaissent les prémisses de cette organisation des camps de travail sous une triple pression : répressive, économique et politique. Le développement des délinquances pousse les autorités à multiplier les internements alors que les prisons ne peuvent accueillir cette population pénale. De plus, le travail forcé apparaît comme une solution pour réaliser à peu de frais les objectifs ambitieux du Plan. Enfin, les déportations décidées par le pouvoir central donnent lieu à des implantations agricoles et industrielles qui augmentent le nombre des travailleurs contraints. D. J. Dallin estimait que la population des prisonniers astreints au travail forcé devait osciller, selon les années, de 7 à 12 millions, chiffres imprécis qui ont donné lieu à de nombreuses révisions et qui restent encore en discussion (Dallin, 1949 ; Soljenitsyne, 1974 ; Wheatcroft, 1981). Cette population comporte à la fois des prisonniers de droit commun, des opposants politiques, des koulaks et des paysans suspects d’individualisme, des fidèles condamnés pour leurs convictions religieuses, des prisonniers de guerre, des personnes originaires des territoires occupés par l’armée allemande et suspectes de collaboration, des ethnies déportées, etc.
Un aussi vaste univers social exigeait une considérable organisation, une vaste bureaucratie réglée selon des normes formelles et informelles. Chaque camp comporte une hiérarchie sociale hautement différenciée depuis le représentant du Commissariat à l’Intérieur jusqu’aux détenus. Hiérarchie complexe qui comporte à la fois des membres de la police, des fonctionnaires locaux, des citoyens libres, d’anciens détenus assignés à résidence, des détenus politiques et de droit commun… Les témoignages qui nous sont parvenus font tous état des multiples violences subies par les internés : pénibilité des conditions de travail, malnutrition, insuffisance des soins entraînant un niveau élevé de mortalité, tortures diverses durant les interrogatoires. Ainsi, et malgré la puissance des moyens policiers mis en œuvre pour contenir cette population asservie, les témoignages font état, non seulement de résistances individuelles brisées quotidiennement par le personnel policier, mais aussi de véritables insurrections suivies parfois de plusieurs jours de combat (Soljenitsyne, 1974).
En Allemagne nazie, le travail forcé fut systématiquement pratiqué à partir de 1940. De nombreux prisonniers de guerre furent astreints aux travaux agricoles et industriels. À mesure du déroulement des opérations militaires, des millions de civils, du sud, de l’est et de l’ouest de l’Europe furent amenés, de gré ou de force, pour travailler dans les usines allemandes. En France, avec le soutien du gouvernement de Vichy, des travailleurs furent incités à travailler en Allemagne et toute une classe d’âge fut désignée, sous peine de sanctions, pour participer au « service obligatoire du travail ». Là encore certains camps rassemblaient à la fois des délinquants de droit commun, des prisonniers de guerre, des opposants politiques, des résistants ; [168] certains étaient davantage des camps de concentration dont les prisonniers devaient, par surcroît, effectuer des travaux de production que des camps de travail (Billig, 1967). C’est dans ces camps, d’après les témoignages recueillis, que les violences étaient les plus brutales, la mortalité la plus élevée, le sadisme des gardiens le plus fréquent, protégé par l’impunité. Et là encore, malgré l’étendue et la brutalité des répressions, les témoignages font état des résistances multiformes des prisonniers : résistances individuelles, actes de sabotage, insurrections réprimées de façon sanglante (Poliakov, 1964 ; Rousset, 1965 ; Wormser-Migot, 1968 ; Antelme, 1978).
Il serait essentiel de bien connaître les formes d’opposition, de résistance, qu’ont opposées les classes paysannes et ouvrières à ces emprises totalitaires. Mais c’est là l’un des points les plus obscurs de la sociologie des totalitarismes. En effet, les idéologies et les propagandes opposées n’ont cessé d’occulter toutes les formes de résistance : les unes en proclamant que les ouvriers travaillaient « dans l’enthousiasme » pour réaliser ou dépasser les objectifs du Plan, les autres en imputant toute résistance au sabotage de l’ennemi. Les appareils policiers ne manquaient pas d’effacer toute trace d’opposition. De plus, en de tels régimes où toute opposition ouverte entraînait les sanctions les plus brutales, les résistances ne pouvaient, sauf exception, que revêtir des formes secrètes et diffuses (Chiama et Soulet, 1982).
Mais l’ampleur des systèmes répressifs mis en œuvre pour contrôler les comportements paysans et ouvriers, pour contraindre l’ouvrier au travail, la cascade des ordonnances et des réglementations indiquent suffisamment l’étendue des résistances rencontrées par les détenteurs du pouvoir. En fait, les législations contraignantes comme l’inflation des messages de propagande auprès des classes populaires sont, pour ces totalitarismes, l’indice des menaces qu’ils avaient à conjurer. Les dirigeants soviétiques se heurtaient tout d’abord à une résistance diffuse que l’on pourrait qualifier de traditionnelle, liée aux difficultés de l’industrialisation et aux épreuves qu’elles entraînaient. Les documents officiels ne cessent de dénoncer et de reconnaître l’indifférence de beaucoup de paysans, l’absentéisme ouvrier, l’apathie, l’alcoolisme, autant de manifestations d’une résistance passive de travailleurs désenchantés et peu motivés. Mais de plus, la brutalité des décisions, l’irréalisme de certains projets, la dureté des conditions de travail sur certains chantiers ne pouvaient que susciter de violents mécontentements susceptibles de s’exprimer et de s’étendre. Paysans arrachés à leurs terres, ouvriers autoritairement enchaînés à leur entreprise et peu rémunérés, tous ces éléments formaient les conditions d’une résistance potentielle que les appareils répressifs avaient pour but de contenir.
Les efforts déployés contre les syndicats, tant en urss qu’en Allemagne nazie, indiquent bien le danger que pouvaient constituer, pour ces régimes, les syndicats et le risque toujours présent que les associations ouvrières ne deviennent des lieux d’expression des oppositions.
On peut considérer les concessions faites en urss aux paysans, concernant leur propriété privée, comme un compromis face’ aux résistances potentielles. Dès 1930, furent prises des décisions reconnaissant aux familles paysannes une marge d’initiative dont les conséquences devaient s’avérer considérables. Par une série de compromis maintes fois retouchés, les familles furent autorisées à conserver un lopin de terre et, selon les périodes, un nombre variable de têtes de bétail. De même, [169] en 1932, fut légalement reconnu le « marché kolkhozien » sur lequel les producteurs étaient autorisés à commercialiser leurs surplus disponibles après les livraisons à l’État. Ces dispositions, maintenues à travers de nombreuses péripéties, rendaient possible une production maraîchère et agricole pouvant entrer en concurrence avec le contrôle étatique (Kerblay, 1968).
Beaucoup plus largement, l’organisation étatique de la production, les pénuries provoquées par la lourdeur et le désordre bureaucratique ont engendré des formes de déviance économique maintes fois dénoncées par les journaux officiels. Ces journaux relatent de multiples vols, détournements, accaparements de la propriété collective et leurs condamnations par les tribunaux. La gravité des sanctions, les condamnations à la peine capitale soulignent l’ampleur de ces comportements qui concernent soit des productions illicites, soit des ventes illégales, soit des échanges interdits ressortissant du troc ou du marché noir. Les auteurs qui ont recensé ces comportements et leurs sanctions (Meney, 1982) font apparaître l’ambiguïté de cette « économie parallèle » qui est produite par la bureaucratisation, qui y remédie dans une certaine mesure, tout en restant passible de répression. Elle permet à ceux qui s’y adonnent de ruser avec les contraintes économiques et, dans une certaine mesure, d’y échapper.
2. Les systèmes sociaux
Les caractères particuliers des systèmes sociaux instaurés par les totalitarismes ont été l’objet d’interprétations opposées et d’un débat dont toutes les conclusions ne sont pas tirées. Faut-il caractériser essentiellement ces systèmes par leurs rapports et leurs conflits de classes, ou les tenir pour des sociétés de masse uniformisées sous un pouvoir absolu ? Faut-il déceler la permanence des mouvements sociaux, au sein de la totalisation étatique, ou souligner l’absorption de ces mouvements dans le Parti-État ? Faut-il y voir la résurgence de divisions anciennes ou, au contraire, y percevoir la dynamique neuve d’une modernisation industrielle ? Quelles y étaient les forces sociales prédominantes ?
Ces débats sont d’autant plus vifs et difficiles à clarifier que la société russe comme la société allemande ont connu des mutations profondes depuis le début de la phase révolutionnaire jusqu’au triomphe de l’État totalitaire. Et ce fut précisément l’une des illusions fortement soutenue par ces États que de se légitimer, aux yeux de leur population, par leurs origines, comme si leur structure sociale était conforme aux aspirations qui les avaient instaurés. Il importe au contraire de marquer combien la mise en place de ces totalitarismes s’est accompagnée de mutations profondes et aussi d’inversions des rapports de force initiaux telles que les interprétations, qui ont pu avoir quelque valeur pour penser la phrase d’instauration, perdent leur pertinence pour en analyser l’organisation.
Le modèle léniniste de la révolution bolchevique, abondamment repris par la propagande stalinienne, analyse essentiellement la révolution comme la réponse victorieuse de la classe ouvrière aux contradictions d’un système capitaliste particulièrement faible (« le maillon le plus faible »). Le système social issu de la révolution [170] serait par essence socialiste, fondé sur l’appropriation collective des moyens de production, sous la direction d’un parti centralisé trouvant, de façon privilégiée, son assise sociale dans la classe ouvrière (Lénine, 1958).
Quelle que soit l’ampleur des débats sur un sujet aussi complexe, notons que les historiens qui ont tenté d’analyser les préliminaires de ce processus qui allait conduire à l’instauration du stalinisme (Carr, 1950 ; Schapiro, 1967 ; Ferro, 1967 ; Medvedev, 1972) insistent au contraire sur la faiblesse numérique et organisationnelle du prolétariat russe de cette époque. Si l’on doit désigner une force sociale dont l’action aurait été décisive lors de la révolution de 1917, il conviendrait d’insister, en premier lieu, sur les actions massives des paysans russes qui, par leurs résistances contre le pouvoir tsariste, par leur refus de poursuivre la guerre contre l’Allemagne, puis par leurs initiatives pour s’emparer des terres des grands propriétaires, créèrent les possibilités de la conquête du pouvoir par les bolcheviques. C’est dans ce vide politique, face à l’extrême faiblesse de la bourgeoisie, que le Parti bolchevique, malgré les limites de ses effectifs, put s’emparer du pouvoir.
Mais la période postérieure à la révolution, période de l’instauration du régime stalinien, fut précisément celle du bouleversement de ce rapport des forces sociales. La paysannerie qui avait constitué la force de décomposition du régime tsariste accrut sa puissance durant la nep, mais la perdit brutalement autour des années 1930. Les classes ouvrières qui étaient numériquement faibles avant la révolution (16,7 % de la population en additionnant ouvriers et employés) s’accroissent rapidement pour constituer, en 1937, 34,7 % de la population (Schwarz, 1956, p. 53). Et cependant ce renforcement démographique des classes ouvrières ne va pas de pair avec le renforcement de leur force politique. Paradoxalement, les syndicats ouvriers perdent leur autonomie dans la période même où le nombre des ouvriers s’accroît. Pendant toute cette phase, s’affirme au contraire le pouvoir central, dominant le système social, brisant les résistances paysannes, organisant le prolétariat selon ses programmes d’industrialisation, surveillant et sanctionnant les velléités d’indépendance des cadres industriels, contrôlant les tensions du système social et, éventuellement, les provoquant.
Des phénomènes comparables se déroulent en Allemagne, dans le processus d’organisation du totalitarisme. Là encore, les forces sociales qui provoquent l’installation du régime en 1933 ne sont pas celles qui, trois ans plus tard, dominent son fonctionnement.
De nombreux travaux ont analysé avec minutie la nature de la crise dont devait profiter le mouvement nazi, crise qui n’était pas seulement économique comme le soutenaient des analystes marxistes (Guérin, 1965), mais aussi sociale (Parsons, 1954), politique et culturelle (Vermeil, 1940). Un éclairage particulièrement important pour la compréhension de la genèse et des inversions conduisant au totalitarisme hitlérien est donné par l’analyse des élections. Quelles forces sociales ont, en effet, porté au pouvoir le parti hitlérien ? Une théorie très largement admise attribue ce soutien aux classes moyennes et met en évidence, en particulier, leur hostilité ou leur peur du communisme (Lipset, 1963 ; Allen, 1967 ; Peich, 1972). Des travaux plus récents (Larsen, Hagtvet, Myklebust, 1980 ; Abraham, 1981 ; Hamilton, 1982) corrigent considérablement ces simplifications. L’analyse des scrutins [171] fait apparaître que deux variables qui contribuent à expliquer la montée du nazisme sont de nature géographique et religieuse. C’est en effet dans les petites villes de moins de 25 000 habitants et dans les campagnes que s’opère la croissance des votes pro-nazis. En juillet 1932, la moitié des votes en faveur de Hitler émanent des collectivités de moins de 25 000 habitants. Au contraire, dans les grandes villes comme Berlin et Hambourg, socialistes et communistes maintiennent leurs scores : à Berlin, les communistes obtiennent 27,3 % des voix en septembre 1930 et 31 % en novembre 1932. C’est donc dans les campagnes et dans les villes moyennes que se réalise la montée des effectifs pro-nazis. D’autre part, dans ces zones, ce sont plus particulièrement les protestants, qui précédemment votaient pour les partis conservateurs, qui reportèrent leurs voix vers le nazisme. Les catholiques des campagnes, organisés comme une collectivité distincte, restèrent fidèles au Zentrum grâce auquel ils disposaient d’une représentation politique propre. Enfin, le mouvement nazi recruta aussi une partie de ses voix auprès d’ouvriers conservateurs, auprès des classes moyennes supérieures et de la classe supérieure.
Et, là encore, il faut souligner, contrairement aux théories qui font du nazisme la fidèle reproduction de ses propres origines (Guérin, 1936 ; Reich, 1972), que les forces sociales qui instaurèrent le régime ne furent pas celles qui en assurèrent la direction ni n’en détinrent les lieux de pouvoir. Les agriculteurs ne furent pas particulièrement sur-représentés dans les instances dominantes non plus que les protestants. De même, de grands industriels soutinrent l’action de Hitler dès 1932 ; cependant, si ces industriels favorisèrent l’instauration du régime nazi, ils n’en déterminèrent ni l’organisation interne ni les orientations militaires.
Le système social du nazisme comme celui du stalinisme ne doivent donc pas être caractérisés par leurs origines mais essentiellement par leur organisation sociale interne telle qu’elle fut établie dès lors que fut réalisée la totalisation politique.
Mais n’y a-t-il pas là un paradoxe : le totalitarisme n’aurait-il pas pour effet de dissoudre tous les liens sociaux propres à la société civile ? C’est l’une des caractéristiques qu’attribue Hannah Arendt aux sociétés soumises au totalitarisme que d’être essentiellement « atomisées ». Dans son ouvrage, devenu classique, sur les origines du totalitarisme, H. Arendt fait, en effet, de la dissolution des liens propres à la société civile, de l’anomie sociale, une dimension explicative de la genèse des totalitarismes et leur caractéristique majeure (Arendt, 1972). À la fois, cette décomposition des liens sociaux, par la crise économique, politique et culturelle, expliquerait largement la montée des totalitarismes et elle en serait aussi une dimension essentielle ; le pouvoir terroriste s’imposant à une société dont il entretiendrait l’inorganisation. Et, en effet, cette « atomisation » de la société peut concrètement être vérifiée en des phases précises et comme une pratique politique de destruction de liens sociaux et des protections qu’ils assurent aux citoyens. Dans son étude sur l’histoire d’une petite ville nazie, W. S. Allen montre bien qu’au cours de l’année 1933, les nazis procédèrent à une désorganisation systématique des multiples associations et groupements amicaux, professionnels, confessionnels ou de loisirs : dissolutions et fusions de clubs, noyautage des organisations sociales (Allen, 1965). De même la terreur stalinienne exercée sur les campagnes tendait à provoquer la rupture des solidarités villageoises traditionnelles : en dressant les paysans pauvres [172] et moyens contre les paysans désignés comme riches, la terreur effectuait la dissolution des solidarités locales et réunissait la masse dans une entreprise collective de persécution.
Néanmoins, si ce processus de dissolution est, en effet, lié à l’imposition de la terreur politique, il ne va nullement jusqu’à la destruction de toutes les formes sociales et économiques d’intégration des individus. Au contraire, et par un processus inverse, ces régimes tendent à renforcer et à créer des formes d’intégration économique, institutionnelle, pourvu qu’elles restent dociles au pouvoir politique. En particulier, ces régimes ont renforcé ou forgé des structures de hiérarchie, renforçant ainsi la rigueur des organisations sociales et l’attachement des individus à leur catégorie dans un ordre gradué. En Russie, la mise en place progressive du totalitarisme se fit aussi par le renforcement des distinctions hiérarchiques dans les entreprises, dans la police, dans l’armée. Par une série de mesures contraignantes (établissement du livret de travail, contrôle des déplacements) furent instituées des règles destinées à attacher plus rigoureusement les ouvriers à leur lieu de travail et à combattre directement l’anomie des individus. Les Archives de Smolensk font apparaître, à côté des répartitions sociales traditionnelles, de nouvelles structures et de nouveaux liens sociaux : structures du Parti, de l’administration, de l’économie… En Allemagne, les hiérarchies de statuts et de pouvoir se trouvaient le plus souvent renforcées, pourvu, là encore, qu’elles ne soient pas en conflit avec le pouvoir central ; le Parti, avec sa hiérarchie des prestiges, l’armée, avec sa hiérarchie traditionnelle renforcée, devenant les paradigmes du bon ordre social. Dans les entreprises l’autorité des employeurs sur les ouvriers fut réaffirmée et, dans les familles, celle de l’homme sur la femme.
Corrélativement, ces systèmes sociaux, hautement divisés en hiérarchies rigoureuses, comportaient de nouveaux canaux de mobilité sociale, et, particulièrement, de mobilité sociale ascendante. Le Parti communiste soviétique offre, dès avant la révolution, de nouvelles voies de promotion sociale à des candidats qui, peu d’années auparavant, n’auraient pu accéder à un poste de direction. Pendant toute la période stalinienne, le Parti constitua un moyen privilégié de mobilité sociale ascendante, avec ses règles particulières, et hautement contrôlées, de promotion. Et de même, les organisations nazies offrirent à des individus d’origines diverses un champ de postes de prestige. Par ce double biais d’une société subtilement divisée, hiérarchisée, et cependant traversée de mobilités nouvelles, le pouvoir central se trouvait en mesure de dominer et de régenter les multiples concurrences entre les catégories rivales et, d’autre part, en situation d’attirer les éléments dont il avait besoin pour exercer son emprise. Cette juxtaposition d’une société éminemment divisée et d’une « élite » du pouvoir a été bien soulignée en ce qui concerne l’Allemagne nazie, mais elle se retrouve, avec des formes différentes, dans la Russie stalinienne.
Dès lors, ces totalitarismes ne sont nullement incompatibles avec le maintien des différences de classes. Ni l’Allemagne nazie, ni la Russie stalinienne ne se caractérisent suffisamment comme des « sociétés de masse » ayant perdu toute hétérogénéité sous l’emprise du pouvoir. Cette expression peut caractériser un phénomène d’élimination des pluralités politiques, mais elle risque de faire oublier les extrêmes disparités, inégalités, divisions et subdivisions de sociétés dans lesquelles les distinctions [173] et les hiérarchies (de ressources, de statuts, de pouvoir, de prestige) se trouvaient, au contraire, renouvelées ou renforcées. Mieux, en Russie soviétique, et dans une moindre mesure, en Allemagne nazie, le développement du régime va de pair avec la reconstitution d’une nouvelle classe dirigeante.
Aux deux extrémités de ces sociétés éminemment hiérarchisées, se forment deux classes ou deux groupes extrêmes dont les traits et les rapports vont marquer l’ensemble de ces systèmes sociaux : la classe gouvernante (détenant les moyens de contrôle de la totalisation sociale) et les groupes intégralement dominés et dépossédés. Cette accentuation de la division sociale en termes de domination socio-politique marque ces deux totalitarismes et devait les rendre longuement inintelligibles aux observateurs tant libéraux que marxistes. Les observateurs libéraux avaient peine à comprendre qu’une société civile puisse se trouver structurée selon une dichotomie à caractère politique (l’analyse de H. Arendt est marquée, dans une certaine mesure, par cette difficulté). Quant aux acteurs et observateurs marxistes attachés à voir dans un système social l’affrontement de la classe possédante et de la classe ouvrière, ils étaient portés à ne voir dans le nazisme qu’une nouvelle forme d’exploitation économique (Poulantzas, 1970) et pouvaient difficilement percevoir dans le stalinisme la formation de nouvelles classes sociales (Bettelheim, 1946 ; Trotsky, 1963). Ces deux approches, méconnaissant l’une et l’autre, la dynamique de la domination politique au sein de la société civile, détournaient d’analyser cette dichotomie socio-politique propre à ces totalitarismes entre une classe sociale accaparant l’essentiel des pouvoirs et des groupes sociaux totalement dominés et, à la limite, exclus de la société civile. Or cette opposition et cette radicalité de l’opposition vont marquer la société stalinienne comme la société nazie, et contredire les modèles antérieurs d’analyse (libéraux ou marxistes). Les termes mêmes de « classe » et de « conflit de classe » sont mal adaptés pour comprendre la spécificité de ces rapports socio-politiques de domination.
Pour la Russie stalinienne, la question de savoir si l’on assistait ou non à l’émergence d’une classe sociale d’un type nouveau a donné lieu à des débats décisifs pour la compréhension de la société soviétique de cette époque. La question fut, en particulier, formulée en ces termes par Trotsky, à partir de 1923 (Trotsky, 1923) : s’interrogeant sur la place sociale et sur les fonctions de la bureaucratie soviétique dans cet « État ouvrier dégénéré », selon son expression, Trotsky accordait que cette bureaucratie pouvait constituer une « strate », une « corporation parasite » ou même une « caste » mais refusait qu’elle puisse constituer une classe sociale. Pour Trotsky, à cette époque, la bureaucratie ne pouvait être désignée comme une classe puisque ses privilèges ne dérivaient pas de la détention des moyens de production et puisque, au contraire, ses privilèges économiques dérivaient de l’appropriation du pouvoir politique. Dès avant 1940, cependant, bien des auteurs trotskystes ou non trotskystes (Rizzi, 1939 ; Burnham, 1947) analysaient la bureaucratie stalinienne comme une nouvelle classe exploitante et gouvernante, propriétaire collectivement des moyens de production devenus propriétés d’État. En 1957, assimilant la Russie stalinienne à un nouveau « Despotisme oriental », K. Wittfogel proposera de rapprocher cette classe dirigeante des grandes bureaucraties totalitaires propres aux régimes de « despotisme asiatique ».
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Après 1945 cette « nouvelle classe dirigeante » (Djilas, 1957) a fait l’objet de très nombreuses analyses menées à partir de problématiques différentes, soit que les auteurs s’interrogent sur sa composition et son mode de renouvellement (Volensky, 1980), soit qu’ils analysent ses fonctions sociales et politiques (Fainsod, 1956 ; Bauer, Inkeles, Kluckhohn, 1957), soit qu’ils stigmatisent, en termes marxistes, l’exploitation qu’elle réalise contre la classe ouvrière. Ainsi Kuron et Modzelewski, en 1964, font de la bureaucratie politique centrale la nouvelle classe dominante, détentrice des moyens de production, réalisant l’extorsion du surproduit et faisant de l’industrialisation, c’est-à-dire de la production pour la production, son intérêt de classe (Kuron et Modzelewski, 1969). Quelles que soient ces divergences d’approches, ces analyses mettent en relief l’appropriation des privilèges économiques et politiques, la prééminence sociale de cette Nomenklatura (Volensky, 1980), mais soulignent aussi l’originalité historique de cette classe que ne permettent pas de comprendre adéquatement les schèmes issus du libéralisme ou du marxisme orthodoxe (Castoriadis, 1973).
Aux antipodes de cette classe dirigeante sont reléguées des fractions de classe, des catégories, des ethnies, et leur situation caractérise l’exercice de la domination politique qui marque l’ensemble de la vie collective. À l’inverse de ce que proclame l’idéologie officielle, la domination s’exerce radicalement, soit sur des groupes précisément désignés, soit dans le secret, et pour des raisons obscures aux victimes elles-mêmes. Ainsi la politique de collectivisation accélérée, entreprise en 1929, désigne à la vindicte publique toute une part de la paysannerie. Et durant ces quelques mois des années 1930-1931, la violence totalitaire s’exerce sur cette fraction de la classe paysanne par le relais des forces policières et des forces sociales mobilisées à cet effet. Mais les emprisonnements et déportations dont furent victimes soit des ethnies entières comme les Tatars de Grimée, les Kalmouks ou les Tchétchènes (Garrère d’Encausse, 1978), soit des militaires comme les soldats et officiers qui avaient été faits prisonniers par les Allemands durant la guerre, ne firent l’objet d’à peu près aucune justification officielle. La désignation de ces ethnies et de ces groupes, à l’extrême de la répression arbitraire, ne semble avoir été le fait que de l’étroite bureaucratie politique, du pouvoir personnel de Staline, et non plus seulement le fait de la bureaucratie en tant que classe. Au sein même d’un rapport de domination polarisant la société, s’exerçait un arbitraire échappant à la classe dominante elle-même.
Pour l’Allemagne nazie, là encore, la composition du groupe dirigeant fait apparaître l’inadéquation du concept de classe pour le désigner. L’analyse de cette « classe » ne confirme pas, en effet, les hypothèses selon lesquelles elle devrait être constituée, soit des représentants du grand capital (Guérin, 1936), soit de membres privilégiés de la classe moyenne (Poulantzas, 1970). C’est que le groupe des dirigeants n’est pas exclusivement constitué par rapport à une détention de capitaux, mais aussi par rapport à une détention de biens de pouvoir acquis par différents moyens, les uns traditionnels, les autres exceptionnels et politiques. Font partie de cette « élite » dirigeante les détenteurs des lieux de pouvoir institutionnels, tels que les chefs de l’armée, les grands dirigeants industriels et, d’autre part, les chefs politiques qui ont accédé à ces fonctions au cours des concurrences et des violences pour [175] la conquête du pouvoir. Ce dernier groupe se recruterait, selon D. Lerner, parmi }es marginaux des nouvelles classes moyennes (Lerner, 1951). L’ensemble de cette « élite » dirigeante est ainsi essentiellement hétérogène, traversée de tensions multiples et finalement subordonnée aux décisions et compromis du Führer.
À l’autre pôle du système social et comme cible extrême de la domination, le pouvoir rassemble des groupes essentiellement différents et dont l’hétérogénéité éclaire la domination dont ils sont victimes. Aux prisonniers issus de la délinquance de droit commun, le pouvoir politique ajoute en effet et assimile les opposants politiques (socialistes, communistes), les membres des ethnies désignées comme inférieures (juifs, gitans), les auteurs de déviations sexuelles. Durant la guerre, viendront s’ajouter à cette liste des populations étrangères désignées, elles aussi, comme inférieures selon des gradations imprécises et changeantes (Russes, Polonais). Le caractère parfaitement hétérogène des critères désignant ces populations (critères politiques, religieux, raciaux, sexuels) met en relief les caractères politiques et arbitraires de la domination. À côté des criminels de droit commun le pouvoir désigne arbitrairement des catégories de victimes (les juifs) en opérant sur celles-ci une entreprise systématique d’élimination.
Cette extrême opposition entre une « élite » gouvernante et des groupes sociaux désignés comme objets de la violence d’État marque l’ensemble du système social. La société se trouve ainsi déchirée, non seulement par une multiplicité de hiérarchies renforcées, mais par une dichotomie entre les dominants, détenteurs du pouvoir de mort, et les victimes. Cette polarisation est totalement entre les mains des dirigeants et, pour son application, entre les mains du chef suprême.
Ainsi, la distinction traditionnelle entre l’État et la société civile, et les définitions en usage pour désigner le système social se trouvent remises en question pour caractériser cette société totalitaire. Comme le note H. Arendt, l’État n’est plus lui-même qu’une façade puisque les décisions essentielles ne lui appartiennent plus (Arendt, 1972), mais la société elle-même n’est plus à proprement parler une « société civile » puisque son organisation et ses distinctions sont entre les mains d’un pouvoir absolu. Ce processus commença dès 1933 pour s’achever durant la guerre par la militarisation générale de la société.
Ainsi ces deux systèmes sociaux sont-ils parcourus par des rapports de violence très particuliers. Les rapports d’exploitation économique s’y renouvellent sans ambiguïté : en Russie soviétique où la bureaucratie politique organise l’extorsion de la plus-value en vue d’une industrialisation accélérée ; en Allemagne où la caste dirigeante organise cette extorsion en vue des entreprises militaires. La domination politique dépossède radicalement de tout droit les groupes et les classes désignés comme inférieurs ou nuisibles : en Russie soviétique où des fractions de classe et des ethnies sont victimes de déportation et de destruction ; en Allemagne où les opposants politiques et les juifs sont l’objet d’une complète dépossession de toute protection juridique. Et cependant, ni l’exploitation économique ni la seule domination politique ne spécifient suffisamment ces régimes : l’extrême de l’exploitation de la force de travail non plus que la domination politique ne requièrent les déportations massives et l’organisation du génocide. À l’exploitation économique et à la dictature politique, ces régimes ont ajouté des rapports de violence meurtrière, [176] violence totalitaire (Maffesoli, 1979) dépassant les logiques de l’exploitation et de la domination politique. Les classes et les groupes désignés comme inférieurs ou ennemis n’ont pas été seulement surexploités ou dominés politiquement, mais bien désignés à la destruction physique alors même qu’ils ne menaçaient en rien le régime en place.
Sans doute cette violence totalitaire s’exerçant jusqu’à la mort de millions de victimes ne frappait-elle qu’une fraction de la population, mais elle marquait l’ensemble du système social : à l’horizon de tout comportement d’opposition contre l’ordre établi se profilait directement ou indirectement la menace terroriste de la mort.
Dès lors, l’une des questions décisives de ces systèmes sociaux est bien celle de leurs institutions (le parti, l’armée, la magistrature, les polices…) puisque l’exercice de la violence totalitaire, la désignation des victimes et les exécutions ne pouvaient être effectués que par des appareils suffisamment étendus et disciplinés pour exercer ces répressions.
Ainsi la sociologie des totalitarismes est-elle largement une sociologie des institutions totalitaires.
3. Les institutions
Si la genèse, le développement et le fonctionnement des institutions totalitaires sont connus dans leurs grandes lignes, leur extrême complexité en rend la connaissance malaisée ; mais, plus encore, les pouvoirs politiques ont multiplié les obstacles à cette connaissance qui les menaçait. Une sociologie des appareils totalitaires ne désigne encore qu’un projet malgré les travaux déjà réalisés et en raison de l’état très lacunaire des sources et archives.
Deux institutions ont retenu, et ajuste titre, l’attention : le Parti et la police ; c’est en effet à travers ces deux institutions majeures que se comprennent l’exercice des contrôles de la population, sa mobilisation et, complémentairement, l’exercice des répressions.
Rapprocher le Parti communiste de la période stalinienne et le Parti nazi se heurte à d’évidentes objections : nés de deux contextes sociaux très différents, fondés sur deux idéologies opposées, ils comportent trop de spécificités pour que les rapprochements ne soient que limités. Il y a lieu, néanmoins, de s’interroger sur ces points de comparaison, par-delà les particularités historiques. Ce sont ici ces interrogations que l’on soulignera.
Les historiens du Parti bolchevique et de ses chefs (Broué, 1963 ; Schapiro, 1967 ; Ferro, 1967) ont bien montré quelles mutations profondes ont marqué cette histoire. Mutations quantitatives successives qui scandent des périodes cruciales du Parti : quelques militants lors du Ile Congrès du Parti ouvrier social-démocrate où Lénine et ses partisans se désignent comme « bolcheviks » en 1903, 24 000 en 1917, 800 000 en 1925, plus de 1 500 000 en 1929. Mutation qualitative : des 24 000 membres clandestins de 1917 on ne retrouve plus que la moitié en 1922, et 8 000 seulement en 1929. En fait, le Parti de 1929 est profondément différent de ce qu’il était avant la révolution : la majorité des adhérents ont été recrutés pendant le « secrétariat [177] stalinien » avec des objectifs différents, une formation politique limitée et sur des critères de docilité et d’ « esprit de parti ». Du point de vue des fonctions sociales assurées par le Parti, elles étaient, en 1930, fort éloignées des fonctions initiales : au début du siècle le Parti bolchevique s’organisait dans la clandestinité pour le combat politique contre le pouvoir tsariste, en 1930, il était le parti officiel, parti unique soutenant l’action du secrétaire général. Là encore, l’image de la continuité historique ne doit pas occulter la transformation radicale de l’institution et ce fut précisément l’un des arguments de la propagande stalinienne que de présenter le Parti comme le fidèle réalisateur des projets révolutionnaires initiaux.
La critique formulée par Trotsky de la « bureaucratie stalinienne », prolongeant les doutes de Lénine durant les derniers mois de son existence, majore les aspects subjectifs de cette bureaucratisation du Parti antérieurement révolutionnaire : montée d’hommes nouveaux plus soucieux de satisfaire leur arrivisme que de se dévouer pour une cause, résurgence de la mentalité bureaucratique traditionnelle, médiocrité de la culture politique (Trotsky, 1923, 1935). Les aspects objectifs n’en sont pas moins explicatifs : dans les années 1930, la majorité des membres du Parti sont des fonctionnaires, le plus souvent d’origine urbaine. Si les statistiques de 1927 dénombrent 58 % d’ouvriers dans le Parti, 36,8 % seulement de ces derniers ont encore des activités manuelles. Plus importante encore est la transformation des structures du Parti : à un petit groupe politique succède historiquement un appareil étendu aux dimensions nationales, ramifié en de multiples organisations (comités régionaux, provinciaux, de district, ruraux, cellules industrielles et de l’armée) et sections spécialisées (information, organisation, inscriptions et affectations, campagne, travail féminin). Ces multiples rouages, relativement distincts les uns des autres, se distribuent nécessairement les tâches selon des règles formelles, offrent aux postulants des avantages précis et la promesse de promotions dans une hiérarchie instituée (Schapiro, 1967, pp. 269-291).
Les historiens du Parti bolchevique ont souligné combien toutes les périodes cruciales de cette histoire ont été marquées, sous l’apparence de l’unanimité idéologique, par des conflits violents au sommet de la hiérarchie : conflits successifs dont les victimes furent, en particulier, les vieux bolcheviques (Zinoviev, Kamenev, Trotsky, Boukharine…). La fréquence et la répétition de ces conflits, leur mode de résolution par le procès public et la réaffirmation du pouvoir de Staline ont conduit à formuler l’hypothèse d’une sorte de nécessité interne propre à ce Parti et à cette période, nécessité dont Staline aurait été l’agent principal mais soutenu par une logique du Parti, celle de la « purge permanente » dans la terreur et la soumission des victimes (Brzezinski, 1958 ; Koestler, 1954). Ces procès, en effet, avec leurs phases, leurs répits, et non sans une interruption pendant la guerre, se renouvelèrent depuis le meurtre de Kyrov en 1934, jusqu’au procès inachevé des blouses blanches en 1953, et furent l’occasion de la réaffirmation du pouvoir de Staline.
Enfin, parmi les traits généraux de ce Parti, on ne peut négliger l’omniprésence, à travers tous les niveaux de la hiérarchie et dans toutes les pratiques et manifestations, d’un même discours, d’une même « idéologie » qui se réduit, pour l’essentiel, à la déclaration de totale fidélité à l’égard de Staline. Comme en témoignent les Archives de Smolensk, les organes du Parti, les cadres locaux rivalisent [178] de docilité à l’égard du pouvoir central, trouvant là leur sécurité et l’instrument de leur autorité auprès de la population (Fainsod, 1967).
Entre le Parti bolchevique et le nsdap, il n’y a pas lieu de comparer deux histoires saturées de spécificités. Par contre, les structures et les fonctionnements n’en sont pas sans rapports : dans le parti nazi se repèrent aussi des phénomènes bureaucratiques, une répétition des conflits entre dirigeants, le rôle crucial du chef, la routinisation d’un discours dogmatique.
Là encore, l’histoire du Parti n’est pas seulement celle de l’accroissement des effectifs, mais aussi l’histoire des transformations de ses structures et de ses fonctions. Au nsdap qui n’est, lors du putsch de Munich en 1923, que l’un des multiples groupes politiques qui, dans l’Allemagne de Weimar, entretiennent l’agitation par des meetings et des défilés, succède, après 1933, une organisation devenue parti unique, présente dans toutes les institutions, dans les administrations, l’armée, le système scolaire.
La bureaucratie du Parti, l’organisation d’une hiérarchie, le morcellement des activités et leur endisciplinement se firent d’autant plus aisément que les mots d’ordre diffusés mettaient l’accent sur la discipline, sur l’ordre, sur le respect absolu dû au chef. Et, là encore, sous l’apparence d’une unanimité, se déroulaient des conflits incessants au sommet de la hiérarchie : exécutions sommaires des sa en 1934, conflits permanents de factions et de personnes. Et se reproduit, à partir de prémisses profondément différentes et sous des justifications opposées, un même processus de concentration du pouvoir au sommet du Parti et de docilisation de la base. L’idéologie unanimiste assure la discipline des membres, facilite le maintien de l’organisation en instrument de pouvoir entre les mains des quelques dirigeants. Présent dans toutes les institutions sociales, le Parti assure et contrôle la docilité de la population et rend possible, simultanément, l’autonomie des dirigeants.
Dans cette organisation de la docilité, l’importance de la police a été non moins soulignée : c’est l’une des thèses essentielles de H. Arendt sur le totalitarisme que, par-delà les façades du Parti et de l’État, le pouvoir réel se trouvait entre les mains de la police. Ainsi, et en dernier ressort, l’institution principale du totalitarisme serait bien l’ensemble de son appareil policier (Arendt, 1972).
Il importerait donc de parvenir, pour comprendre les totalitarismes, à une connaissance précise de ces appareils policiers : quels étaient les modes de recrutement de leurs membres, leurs origines et leurs attentes ? Quels étaient les systèmes de sélection, de formation et de promotion ? Quelles étaient les hiérarchies des différentes polices ? Leur discipline interne, leurs modes de contrôle et de sanctions ?… Or, c’est précisément sur ces points, les plus importants pour comprendre les mécanismes du totalitarisme, que les documents font le plus défaut ou sont de très inégale valeur. Les chefs politiques veillaient, en effet, à tenir soigneusement cachés les détails de ces institutions et de leurs œuvres, ou n’en laissaient connaître que les aspects généraux suffisants pour entretenir la crainte. Les membres des polices, quant à eux, étaient, sous des formes diverses, tenus au secret ou vivement intéressés à ne pas communiquer ce dont ils étaient les acteurs. Ainsi les exécutants rejoignaient les chefs politiques pour organiser le silence et le secret autour de leurs activités.
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Pour la Russie stalinienne, les deux niveaux extrêmes, les instances dirigeantes d’une part, et l’organisation des camps de concentration d’autre part, sont aujourd’hui assez bien connus. On peut suivre, à travers l’histoire de la Tchéka (créée dès 1918 par Lénine), de la gpu, de l’ogpu (1923), du nkvd (Commissariat du Peuple à l’Intérieur, 1934) (Garr, 1950 ; Schapiro, 1967 ; Medvedev, 1972), les efforts considérables menés par le pouvoir central pour prendre le contrôle absolu sur l’appareil policier. H. Carrère d’Encausse estime que, dès avant la mort de Lénine, en 1923, les rapprochements s’esquissaient entre les chefs de la police et Staline pour réaliser la collusion du pouvoir stalinien et de l’appareil des polices en dehors du contrôle du Parti (Carrère d’Encausse, 1979). Dès lors deux mutations majeures assurent la puissance et l’autonomie de l’appareil policier : comme on le voit lors de la lutte contre Trotsky et contre l’opposition de gauche (1926-1930), la police intervient dans la vie du Parti et sous les ordres de Staline. L’appareil policier devient alors l’appareil principal, susceptible de contrôler le Parti et les comportements de ses membres. Une seconde mutation intervient avec la révolution de 1929 et la collectivisation : l’ogpu y joue un rôle décisif, elle désigne et déporte les koulaks, remplit les camps de tous les « ennemis du peuple » ou supposés tels. C’est à cette époque que se développe le travail forcé et que se multiplient les camps de travail sous le contrôle de la police. L’ogpu devient alors à la fois un appareil répressif et un appareil économique organisant le travail de millions de prisonniers.
Cette organisation du Goulag, son histoire et son extension ont fait l’objet de nombreux travaux et témoignages successifs (Conquest, 1976), mais surtout de l’enquête décisive de A. Soljenitsyne (Soljenitsyne, 1974). L’ampleur de cette « industrie pénitentiaire », l’arbitraire des arrestations, les souffrances des prisonniers, le sadisme des tortures ont été en partie dévoilés. Cette enquête confirme sans ambiguïté l’autonomie d’action de cet appareil policier par rapport au Parti : ainsi voit-on les policiers locaux désigner des victimes pour se conformer aux ordres confus des échelons supérieurs, forger des accusations, décider de la culpabilité des victimes désignées, ou encore, sur les lieux de détention, les chefs de camp décider des tortures à appliquer avec une parfaite impunité.
L’appareil policier nazi est, dans son ensemble, mieux connu que l’appareil policier stalinien, grâce, en particulier, aux enquêtes et aveux liés aux procès de Nuremberg qui permirent de cerner les responsabilités des principaux dirigeants et, d’autre part, grâce aux nombreux témoignages des rescapés des camps de concentration.
Là encore, on peut suivre les entreprises menées par le pouvoir central pour conserver un contrôle absolu sur l’appareil policier, pour distribuer les fonctions entre les principaux dirigeants (Frischauer, 1953 ; Calic, 1965 ; Manvell, 1965). Et de même, grâce aux excellents témoignages et aux études faites sur les camps de concentration, connaît-on assez bien l’organisation des camps, le rôle des différents organes de police dans les arrestations, les déplacements, les sévices et les exterminations (Poliakov, 1964 ; Billig, 1967 ; Wormser-Migot, 1968 ; Rousset, 1971 ; Bettelheim, 1972 ; Tillion, 1973 ; Bernadac, 1977, 1978 ; Antelme, 1978).
Cependant, si les dirigeants sont bien connus et si l’organisation des camps a fait l’objet de travaux concordants, la structure interne de l’appareil policier, son [180] fonctionnement et l’intégration des agents dans l’appareil restent beaucoup plus obscurs. Malgré les efforts réalisés pour analyser les nombreux organismes imbriqués (Gestapo, ss, rsha) (Best, 1940 ; Hausser, 1953 ; Buchheim, 1955 ; Crankshaw, 1959 ; Delarue, 1962 ; Krausnick, 1965), ce fonctionnement interne de l’appareil policier, avec ses divisions, ses contrôles, ses conflits, ses modes d’embrigadement et d’aliénation des individus, reste encore incomplètement connu et compréhensible. Or, c’est l’analyse exacte de ces mécanismes institutionnels qui aiderait à comprendre la docilité de ces fonctionnaires, leur zèle à réaliser les ordres les plus meurtriers, ou, en d’autres termes, à comprendre cette « banalité du mal » sur laquelle s’interrogeait H. Arendt lors du procès de Eichmann (Arendt, 1966).
Dans les réponses des chefs nazis interrogés lors du procès de Nuremberg, on trouve, non une réponse satisfaisante à de telles questions, mais des fragments de réponse de valeurs diverses (Bernadac, 1982). Ces responsables affirmèrent que, tout en ayant une connaissance générale des objectifs poursuivis, ils étaient, pour la plupart, incapables de prendre une vue d’ensemble des répressions réelles. Ils soulignèrent que la complexité des rouages administratifs était telle, le « flou institutionnel » (Bernadac, 1982, p. 211) si bien entretenu, qu’aucun exécutant ne pouvait être informé de l’ensemble des actions des polices. La règle du secret interdisait à chacun de connaître ce qui ne concernait pas son seul service et interdisait de faire connaître les activités de son propre service. Ils soulignèrent encore que les exécutions sommaires étaient confiées à des groupes spécialisés (Einsatzgruppen) qui recevaient leurs ordres directement de l’autorité centrale. Presque tous, sous des formes diverses, répétèrent qu’ils n’avaient fait qu’obéir aux ordres reçus, conformément à leur place et leur rang dans l’appareil dont ils étaient les fonctionnaires (Arendt, 1966).
On peut penser qu’une sociologie de ces appareils de police permettrait d’aller plus avant dans l’analyse de cette soumission zélée aux administrations de mort (Buchheim, 1955).
Cette discipline quasi générale de l’appareil policier et le rôle majeur de cet appareil dans le fonctionnement de la société totalitaire nous paraissent apporter un argument aux théories qui voient essentiellement dans le système totalitaire une combinaison des appareils sous une direction centralisée. Dans cette interprétation, plutôt que de rechercher l’explication dans les rapports de classe, dans le mode de production, dans la culture des agents ou leur psychologie, il conviendrait d’insister sur la puissance et la docilité des appareils d’État et leur soumission au pouvoir central. C. Friedrich caractérise ainsi le système totalitaire comme la combinaison de cinq monopoles sous la direction centralisée du pouvoir : monopole politique (le Parti), idéologique, mass-médiatique, militaire et policier (Friedrich, Brzezinski, 1954). Sans entrer ici dans le débat théorique soulevé par ces interprétations, relevons qu’une telle interprétation, mettant l’accent sur les institutions, leur fonctionnement et leur docilité, souligne, à juste titre, quelles transformations de la société sont opérées par le régime totalitaire, quel mode de totalisation socio-politique, et par quels moyens combinés sont obtenues la docilité et la mobilisation de la population. Il resterait à préciser l’importance relative de ces cinq monopoles selon les régimes et selon les périodes et à mieux mettre en évidence le rôle crucial des polices.
Il resterait surtout à vérifier ce modèle en s’interrogeant sur l’ « efficacité » de [181] ces appareils : est-il exact que ces appareils ont obtenu, et par quels moyens, l’adhésion de la population, sa docilité, sa soumission, ou sa mobilisation fervente ? La domination politique obtenait-elle l’adhésion ou suscitait-elle des formes de rejet de la part de la population et de quelles parties de la population ? Question générale, trop générale pour que des réponses unilatérales puissent y être apportées, mais qu’il importe de poser ; au terme, en effet, d’une étude des appareils totalitaires qui ne concernent nécessairement qu’une partie de la population, peut-on penser que ces appareils parvenaient à atteindre leurs objectifs, c’est-à-dire le soutien actif et sans réserve de la population ? Sur un tel sujet qui concerne les attitudes réelles des populations, leur adhésion, leur passivité ou leur résistance, les documents font nécessairement défaut puisque l’un des objectifs des appareils répressifs était précisément de faire disparaître toute trace des attitudes et des comportements non conformes. Seront ici particulièrement importants les documents partiels ou les témoignages privés ayant, pour des raisons diverses, échappé à la censure.
Si l’on peut caractériser l’ordre établi sous le régime de Staline comme un « ordre par la terreur » (Carrère d’Encausse, 1979), il importe de bien distinguer, sur cette longue période et dans un pays aussi étendu, les lieux privilégiés de la terreur et ceux qui pouvaient en être relativement protégés. C’est que la terreur stalinienne n’a pas émergé d’un projet systématique de domination par la force, mais d’un ensemble de conflits politiques et bureaucratiques, de circonstances économiques aux multiples avatars. Ce n’est que progressivement et plus particulièrement entre 1924 et 1930 que s’est organisé l’exercice systématique de la terreur.
Les cibles de cet exercice de la terreur n’ont rien d’homogène. On peut y distinguer, d’une part, ces groupes et fractions de classe dominés qui, selon les conjonctures politiques et économiques, sont l’objet d’une répression sanglante (paysans, ethnies déportées, militaires désignés comme suspects…) (Conquest, 1976). La terreur isole le groupe victime, épargne son environnement social, mais exhibe la puissance du pouvoir et le danger mortel de s’y opposer. La « purge » atteint d’autres lieux sociaux : elle prend pour cible les appareils eux-mêmes, le Parti, l’armée, l’appareil judiciaire, les cadres économiques… Terreur particulière qui atteint les privilégiés et jusqu’aux chefs du Parti lors des purges des années 1935-1938. Les auteurs qui ont tenté de relater cette terreur (Grossman, 1972 ; Soljenitsyne, 1974 ; Dombrovski, 1978) ont évoqué l’étendue de l’angoisse sociale provoquée : la peur quotidienne d’être arrêté, la crainte d’être dénoncé, le désespoir des familles détruites, le destin traqué des enfants des « ennemis du peuple » abandonnés sous de faux noms…
Rares, néanmoins, sont les documents qui permettent de prendre la mesure des conséquences de cette terreur auprès des populations moins directement menacées ; des observations quotidiennes (Mehnert, 1960) montrent combien cette terreur diffusait, au-delà de ses lieux d’application, une prudence généralisée, un conformisme vigilant derrière lequel chacun cherchait à se protéger. De plus l’omniprésence de la propagande habituait chacun à percevoir les dangers et jusqu’au danger de penser différemment (Zinoviev, 1977).
Pour comprendre la singulière combinaison de la terreur et de la persuasion, les « Archives de Smolensk » constituent une mine irremplaçable de renseignements. On [182] sait que ces archives, abandonnées par l’armée soviétique en juillet 1941, tombèrent entre les mains des officiers de renseignement allemands, puis, en 1945, entre les mains de l’armée américaine. Ces 500 dossiers contiennent les procès-verbaux des réunions de cellule ou de comité, les travaux des organisations de base du Parti, les dossiers individuels d’admission ou d’expulsion des communistes locaux, toutes traces directes de la vie quotidienne du Parti à Smolensk de 1918a 1938. Ces dossiers, malgré leur désordre et leurs lacunes, offrent des documents saisissants sur les attitudes de la population, sur les réactions des militants de base, sur l’efficacité des appareils pour maintenir la conformité de la population et des membres du Parti (Fainsod, 1967 ; Werth, 1981).
Ces multiples procès-verbaux de réunions, ces rapports sur les campagnes économiques ou politiques ne cessent de faire état de l’insuffisance de la mobilisation dans la population, des réticences multiformes des paysans et des ouvriers. Les militants du Parti, au contraire, font preuve d’un activisme sans cesse proclamé, d’une fidélité affichée à toutes les directives du pouvoir central (Fainsod, 1967, pp. 238-266). À la lecture de ces documents, on ne peut souscrire ni à l’imagerie officielle d’une population unanimement dressée contre quelques ennemis du peuple, ni à l’image d’un appareil de Parti ne se maintenant que par l’exercice de la terreur policière. Plus valablement convient-il de s’interroger sur la logique de l’institution enfermant ses adhérents dans l’obligation de la conformité enthousiaste puisque le maintien de leur sécurité n’est assuré que par la reconnaissance de leur ferveur politique. Ainsi voit-on ces militants, durant les périodes successives de purges, participer activement aux épurations, dresser des listes de suspects et dénoncer ces « traîtres » au Comité du Parti et au nkvd…
Ainsi se dessine, derrière l’apparence du soutien populaire unanime, une séparation sans cesse renouvelée entre les appareils d’encadrement, lieux d’organisation de la mobilisation, et la population dans son ensemble. Soutenus par des militants actifs et qui ne cessent de se légitimer par leur activisme ces appareils ont bien pour tâche incessante d’encadrer, de surveiller, de stimuler l’ensemble de la population. La docilité ou la mobilisation de la population est moins le signe d’une confiance une fois acquise envers le pouvoir que le résultat de ce travail incessamment mené sur cette population par les appareils politiques et policiers.
Dans l’Allemagne nazie, ce double objectif de terroriser et de mobiliser avait été explicitement formulé par les dirigeants dès avant la prise du pouvoir et reçut une ample réalisation. Les campagnes électorales du Parti nazi de 1930 à 1933 en portaient déjà la marque, campagne d’intimidation à l’égard des concurrents et de séduction à l’égard des électeurs potentiels, tous les moyens du mensonge et de la menace étant alors utilisés. Après la conquête du pouvoir, les massacres systématiques (la « nuit des longs couteaux » contre les sa en juin 1934), les arrestations d’opposants, les menaces avertirent la population des risques qu’encourrait tout comportement d’opposition. En même temps, une intense propagande usant de multiples moyens visait à entretenir la mobilisation dans toutes les couches de la société.
Depuis la chute du IIIe Reich, ont été menées de nombreuses enquêtes de détail visant à cerner plus exactement les attitudes et les changements d’attitudes des [183] différentes populations sous l’emprise du régime hitlérien. Il faut, en effet, pour saisir exactement les nuances des adhésions, des soumissions, des réticences et des résistances, considérer non plus les statistiques d’adhérents ou les mises en scène théâtrales organisés par les techniciens de la mobilisation des masses, mais les traces discrètes des attitudes quotidiennes : archives des polices locales, comptes rendus d’associations diverses, correspondances privées ou semi-privées ; de même ont été réalisés de très nombreux entretiens de personnes ayant vécu sous le nazisme, qu’elles aient été sympathisantes ou hostiles.
L’enquête de W. S. Allen sur une ville moyenne de Basse-Saxe (Allen, 1967) montre comment de nombreux électeurs des classes moyennes de cette ville furent rapidement persuadés par l’activisme, le nationalisme et l’anticommunisme affichés par les nazis, sans connaître plus avant leurs principes ni prévoir les conséquences de leurs votes. Mais si la majorité de la cité se laissa dominer sans grande résistance, elle abandonna rapidement sa confiance initiale pour sombrer dans la routine et l’inquiétude.
L’examen attentif des infractions au travail obligatoire dans une usine aéronautique (Karner, 1981) fait supposer qu’un certain nombre d’ouvriers, sans pouvoir manifester une résistance ouverte, manifestaient leur résistance par les ruptures de leur contrat de travail. Plusieurs études menées sur les attitudes et les comportements des femmes limitent considérablement l’imagerie, produite par la propagande, de femmes allemandes toutes dévouées à la cause nazie. Les nazis échouèrent dans leur tentative d’attirer les femmes dans leurs usines d’armement, tant auprès des femmes des classes supérieures qu’auprès des femmes issues des classes populaires, conscientes qu’elles étaient des discriminations liées à l’idéologie nazie (Rupp, 1980).
Ces enquêtes détaillées marquent les écarts profonds entre des appareils exceptionnellement actifs et bureaucratisés, enserrant les citoyens dans le réseau des menaces policières et dans l’inflation des messages de propagande et, d’autre part, une population inquiète et massivement silencieuse. Sous des formes différentes, se reproduit l’écart entre les appareils d’encadrement, lieux de mobilisation et d’organisation de la persuasion, et la population dans son ensemble.
4. Culture et idéologies
Toute étude générale du stalinisme et de l’hitlérisme aborde nécessairement l’important problème de leurs idéologies. En effet, toutes les pratiques manifestes de ces régimes, qu’elles soient économiques, sociales, culturelles ou politiques, n’ont cessé d’être justifiées, légitimées par référence à un ensemble de représentations systématisées (marche vers le socialisme condamnation du capitalisme ; supériorité du peuple allemand condamnation du communisme…). Ces systèmes d’idées et de sentiments n’étaient aucunement abandonnés à l’inventivité des citoyens ou des partis, mais bien contrôlés par le pouvoir central, reproduits fidèlement par les appareils d’État chargés de corriger et de réprimer les déviances. Le terme d’ « idéologie politique » convient bien pour caractériser ces systèmes de représentation en ce que [184] ce terme désigne non nécessairement des conceptions politiques originales, mais tout système d’idées, de valeurs et de sentiments, concernant des objectifs politiques et les moyens de les réaliser, système qui remplit, dans une société donnée, un ensemble de fonctions sociales (Ansart, 1974).
L’importance accordée à la production et au contrôle de ces formations idéologiques par les propagandistes de ces totalitarismes (Jdanov, 1947 ; Rosenberg, 1938) comme par leurs chefs politiques (Staline, 1945 ; Hitler, 1934) indique suffisamment l’étendue du problème pour une interprétation générale de ces régimes. Aussi bien, dès les années 1930, s’est ouvert un considérable débat sur ce sujet : nous n’évoquerons ici que les thèses opposées concernant les origines lointaines ou directes de ces idéologies. Un large débat concerne en effet, par-delà les circonstances particulières de leur apparition, leur véritable place dans l’histoire : doit-on y voir des phénomènes historiques particuliers à la Russie et à l’Allemagne, ou, tout au contraire, la résurgence d’une longue tradition qui les aurait préparées ?
L’interprétation historique et généralisante du totalitarisme en interroge les origines lointaines et, loin de le restreindre au XXe siècle, y voit une nouvelle figure d’une profonde tradition historique. En ce sens, la conception du pouvoir total prolongerait la vision illustrée par Platon de l’indifférenciation du politique dans la vie des communautés humaines, vision selon laquelle l’homme ne s’accomplit véritablement que dans la politique (Neumann, 1944). Ainsi J. L. Talmon situe le totalitarisme dans une longue continuité historique dont les figures exemplaires seraient successivement : J.-J. Rousseau, Robespierre, Gracchus Babeuf (Talmon, 1966). Il conviendrait, dans cette ample tradition, de distinguer totalitarisme de droite et totalitarisme de gauche. Le totalitarisme de droite reprendrait le thème nihiliste de la corruption définitive de l’homme et légitimerait un régime élitiste et répressif, chargé d’imposer à la masse le sens d’un destin supérieur et tragique. Le totalitarisme de gauche reprendrait, au contraire, le thème de la perfectibilité de l’humanité dont il importerait d’assurer la réalisation ; à partir de ce postulat et selon le principe de l’unicité de la vérité politique, les dirigeants seraient érigés en incarnation de cette vérité, habilités à imposer cette perfection au peuple et à écarter par la violence les obstacles à la réalisation de cet idéal (Talmon, 1966).
Pour une seconde école, ce n’est pas en se référant à une tradition si lointaine que l’on pourrait expliquer les particularités du stalinisme et de l’hitlérisme, mais, bien au contraire, par leurs antécédents culturels directs. Ainsi la reprise, par le stalinisme, de certaines orientations étatistes présentes dans l’œuvre de Marx et la substitution d’une religion de l’État à l’humanisme marxiste devraient beaucoup à une longue tradition socio-politique russe marquée à la fois par le conformisme communautaire subordonné au tsar et à la religion orthodoxe, par des habitudes d’obéissance à un État idéologiquement légitimé, par un très long passé de violence politique (Besançon, 1976, 1977). De même, concernant l’idéologie nazie, un ensemble de travaux ont cherché à mettre en évidence la spécificité de cette idéologie et ses liens avec des dimensions particulières de la culture allemande : le romantisme allemand du xixe siècle, la philosophie idéaliste, le pangermanisme (Vermeil, 1940). Une certaine continuité devrait être repérée entre une certaine tradition philosophique marquée, en particulier, par Fichte et Nietzsche aboutissant à poser le primat de la [185] supériorité raciale et à légitimer, avant Hitler, la subordination de la masse au chef (Horkheimer, 1983).
Ces deux premières écoles majorent particulièrement des origines intellectuelles sans que l’on perçoive clairement comment de telles traditions ont pu constituer une force historique dans la genèse immédiate de ces totalitarismes. Ainsi une troisième école propose de rechercher dans les forces sociales qui les ont directement soutenus les éléments constitutifs de ces idéologies ; elle invite à rechercher les origines de l’idéologie totalitaire, non plus dans les créations intellectuelles du passé, mais, au contraire, dans les attitudes populaires immédiatement déterminantes. Pour le stalinisme, plutôt que d’en chercher la préfiguration dans les écrits de Hegel et de Marx, il conviendrait plus d’en chercher le support dans un certain totalitarisme populaire, « totalitarisme venu d’en bas » selon l’expression d’Alexandre Zinoviev (Hanson, 1982). Le stalinisme répondrait à un ensemble d’attitudes populaires marquées, en Russie, par la soumission de l’individu au groupe, le « holisme » social opposé à l’individualisme démocratique moderne (Dumont, 1977). Pour l’hitlérisme, W. Reich en cherchait les éléments constitutifs dans une psychologie de masse présente, en premier lieu, dans la petite bourgeoisie allemande : le respect du chef, le goût de l’autorité aux différents niveaux de la société, l’aptitude à la soumission et aux renoncements pulsionnels. Dans cette analyse originale du nazisme, Reich proposait de concilier l’approche de Marx, majorant les conséquences de la crise économique, et celle de Freud majorant les conséquences politiques des structures intrapsychiques.
Une sociologie des idéologies ne prétend pas trancher entre ces interprétations opposées mais s’efforce de répondre à des questions plus précises concernant les contenus exacts des messages imposés et, particulièrement, leurs fonctions et leurs utilisations dans les pratiques politiques. Quels sont les contenus exacts des discours et leurs schèmes répétitifs ? Quelle autorité peut modifier les éléments essentiels de l’idéologie ? Quels appareils d’État les véhiculent et les imposent ? Avec quels effets ? Avec quelles résistances ? C’est en répondant à ces questions que l’on pourrait vérifier quelle théorie générale éclaire le mieux ces phénomènes d’idéologie totalitaire.
Considérer l’histoire et le changement de l’idéologie importe particulièrement dans le cas du stalinisme. Il s’opère, en effet, des années 1900, où l’héritage de la pensée de Marx-Engels est tenu pour vérité dans le groupe bolchevique, aux années 1935, où Staline devient l’autorité idéologique incontestée, une transformation que l’on peut tenir pour radicale. Aux appels de Marx à une action collective de la classe ouvrière succède, avec Lénine, une théorie de l’action révolutionnaire d’un parti de professionnels (Lénine, 1902), puis, avec Staline, la légitimation de la « construction du socialisme dans un seul pays » sous la direction du parti hégémonique et de son chef (Trotsky, 1940). Il ne s’agit pas là seulement d’histoire des idées, marquée de coups de force théoriques, mais aussi d’une succession de changements dans les fonctions de ces formations idéologiques. Dans les années 1900-1917, la théorie de Marx est essentiellement le langage commun d’un petit groupe révolutionnaire auquel il sert de moyens de cohésion et d’élaboration stratégique. Après 1917 et jusqu’à la mort de Lénine, le marxisme, non encore dogmatisé, est un lieu symbolique [186] des conflits politiques, ouvert aux concurrences et aux créations. Avec le triomphe de Staline, le « marxisme-léninisme » devient l’idéologie officielle de l’État légitimant le pouvoir totalitaire et servant de moyen de contrôle des expressions politiques et culturelles.
De 1930 à 1954, l’idéologie officielle ne cessa de rester fidèle à quelques principes généraux, et, d’autre part, de modifier profondément ses principes secondaires au gré des circonstances (Sartori, 1969). Les principes de la « marche vers le communisme », de l’absolue supériorité du régime socialiste sur les régimes capitalistes, de l’industrialisation nécessaire, de la fidélité au marxisme-léninisme, n’ont cessé de constituer des principes permanents incessamment ressassés. Après 1936, le principe de l’infaillibilité de Staline, formulé en de multiples expressions lyriques, devint l’une des constantes majeures de l’idéologie officielle. Mais si l’on peut valablement considérer ce discours répétitif comme une langue mécanisée (la « langue de bois »), les contenus secondaires n’ont cessé d’osciller et de se contredire en fonction des circonstances et des tournants de la ligne politique. Le changement le plus profond fut marqué par la guerre de 1940-1945 durant laquelle les thèmes de l’attachement au sol national (la « guerre patriotique ») et de la défense des traditions prirent provisoirement le pas sur le principe de la fidélité au chef et au Parti.
Après 1930, l’idéologie « marxiste-léniniste » officielle est érigée en vérité exclusive dans le Parti et dans l’ensemble des appareils d’État ; toutes les déviances par rapport à cette orthodoxie sont désignées comme des trahisons et pourchassées comme telles. L’idéologie d’État n’a pas seulement pour objet de contrôler les expressions politiques, mais bien de s’imposer à toutes les créations culturelles, artistiques ou même scientifiques. Ainsi l’idéologie impose à la communauté scientifique d’adhérer au principe des « deux sciences » : science prolétarienne - science bourgeoise ; elle impose de soutenir, contre les théories génétiques, le dogme de l’hérédité des caractères acquis (le « lyssenkisme »).
L’idéologie officielle est totalitaire en extension et en intensité. En extension, elle est effectivement reprise et diffusée par l’ensemble des appareils d’État, le Parti, les média, la police, les institutions scolaires, elle devient ainsi un moyen de contrôle et de mobilisation s’étendant à l’ensemble de la vie sociale. En intensité, elle se pose comme vérité englobant toutes les formes de l’existence et la vie privée de chaque citoyen (Monnerot, 1949).
De plus, et cet aspect est non moins important pour saisir la fonction de contrôle social assuré par l’idéologie, l’instauration du pouvoir politique absolu va de pair avec l’appropriation, par Staline et ses proches, du pouvoir symbolique. Seul, en fait, ce pouvoir central est en mesure de modifier les contenus discursifs, d’autoriser leurs changements, même s’il use de compromis sous la pression des circonstances imprévues.
Dès lors a-t-on pu caractériser ce régime comme une « logocratie » ou une « idéocratie » en ce sens que le verbe idéologique y devient, en effet, décisif, et que les détenteurs de ce pouvoir détiennent par là un instrument essentiel pour le contrôle de toute la société (Besançon, 1976). On le vérifie pour ce qui concerne les milieux dirigeants dans lesquels les prétendants aux postes de direction ne pouvaient conserver leur rang qu’en exhibant leur rigoureuse fidélité idéologique. Plus encore, durant [187] les purges, ils risquaient de se voir étiqueter, définir comme opposants, selon le vouloir et les changements de vocabulaire de la direction. Les grands procès de Moscou ont illustré cette dimension extrême du pouvoir symbolique : des chefs politiques se voyaient alors désignés, par le pouvoir central et la police, comme des traîtres à la nation, agents de l’étranger… alors que rien ne justifiait ces définitions. En même temps on peut penser que leur adhésion aux principes idéologiques et leur fidélité au Parti les plaçaient dans une situation de contradiction quant à leur propre défense (Koestler, 1954).
Pour les appareils bureaucratiques et répressifs, un tel système idéologique avait pour effet de transformer chaque institution en appareil idéologique ; chaque institution, l’armée, les polices, les syndicats, les systèmes éducatifs, devant rappeler et ressasser les thèmes de la propagande. De plus, l’obéissance aux ordres y était rigoureusement maintenue par ce contrôle des mots : chaque agent se trouvant enfermé dans le devoir de manifester son enthousiasme, sa vigilance, et la crainte des sanctions en cas de défaillance.
Il ne faudrait pas en conclure que ce totalitarisme idéologique parvint à réaliser son propre mythe d’une société homogène, docile et mobilisée. Tout au contraire faut-il bien comprendre que ce gigantesque travail d’inculcation et de propagande combattait incessamment les réticences, les divisions potentielles, l’apathie toujours présente d’une grande partie de la population. De plus, et malgré les efforts déployés pour les faire disparaître, les idéologies religieuses, la religion chrétienne comme la religion islamique, parvinrent à subsister, recréant des formes directes ou indirectes de résistance (Struve, 1963 ; Carrère d’Encausse, 1978).
Il semble paradoxal de rapprocher, fût-ce provisoirement, l’idéologie hitlérienne et l’idéologie stalinienne et c’est, semble-t-il, à ce niveau que la comparaison est la plus contestable. Deux objections majeures sont ici à rappeler : l’une portant sur l’existence même d’une idéologie « national-socialiste », l’autre sur les contenus opposés.
Une école de pensée aux expressions diverses (Rauschning, 1939 ; Laski, 1946 ; Lukâcs, 1958) invite à ne voir dans le discours hitlérien qu’un opportunisme au service d’un mouvement politique. Les thèmes du national-socialisme, issus du nationalisme, du pangermanisme, du nihilisme moderne, de l’antisémitisme moyenâgeux, ne constitueraient pas, à proprement parler, une idéologie originale et un système de pensée cohérent. Mais le critère ainsi retenu, celui de l’originalité, est très secondaire pour juger de l’importance historique d’une formation idéologique. Le national-socialisme synthétise, en effet, plusieurs traditions intellectuelles (Faye, 1972), mais dans une unité dont l’efficacité sociale devait s’avérer exceptionnelle (Nolte, 1969).
S’agissant des contenus, on ne peut que rappeler, en effet, les oppositions entre les thèmes de l’idéologie hitlérienne et ceux du marxisme-léninisme. Dès avant 1924, Hitler construit un programme résolument nationaliste visant l’expansion de la seule nation allemande, en contradiction avec l’universalisme marxiste. Il affirme le principe de la supériorité raciale des Aryens à l’opposé de l’humanisme. Il proclame l’urgence de reconstituer les hiérarchies et l’obéissance à l’opposé de l’égalitarisme communiste. Il se fonde sur une vision pessimiste de l’homme qui légitime le recours à la force et à la guerre. Ces oppositions pourraient être poursuivies tant elles sont [188] claires au niveau explicite : c’est, largement, contre la vision socialiste et communiste du monde que s’est élaborée la pensée national-socialiste.
Mais, précisément, est-ce bien ici le paradoxe historique de ces deux régimes que de s’être légitimés par deux idéologies incontestablement opposées et d’être parvenus, sur bien des points, à des résultats que nous pouvons rapprocher. C’est que l’opposition des contenus explicites ne suffit pas à opposer deux idéologies dans leurs réalités sociales : il convient aussi de comparer les fonctions remplies par ces formations discursives, les modes d’imposition des contenus, leur manifestation, leur utilisation dans l’exercice du contrôle social et de la terreur. Or, de ces points de vue, les rapprochements entre l’idéologie national-socialiste et l’idéologie stalinienne sont nombreux.
Après 1933, selon un plan clairement défini, toutes les oppositions idéologiques furent pourchassées et l’idéologie national-socialiste imposée comme la seule vérité politique. Par de multiples moyens d’intimidation, de pressions et de violences, toute expression d’opposition fut réduite puis interdite (Allen, 1967, pp. 217-250). Une organisation exceptionnellement dense fut réalisée pour rendre continuellement présents à l’opinion publique les messages politiques : multiplication des meetings, des défilés, destinés à mettre en scène et à imposer à tous l’idéologie officielle.
Là encore, le contrôle idéologique ne porte pas seulement sur les expressions directement politiques ; il s’étend à toutes les formes de la vie culturelle : la littérature, la philosophie, l’architecture. L’idéologie est totalitaire en ce qu’elle présente et régente toutes les institutions : l’obligation de manifester sa ferveur inconditionnelle n’épargne aucune institution (scolaire, confessionnelle…) ; toute institution doit, sous peine de sanctions, se faire le relais de l’idéologie officielle (Richard, 1978). Elle est aussi totalitaire en intensité en ce qu’elle tend à marquer tous les aspects de la vie privée et les contrôler. En ce sens la propagande privilégie les techniques visant à provoquer de fortes émotions collectives et à renforcer les rapports affectifs au mouvement et à son chef (Taylor, 1981).
Les interprétations qui ont mis l’accent sur le « totalitarisme d’en bas » n’ont pas manqué de souligner combien certains axes de l’idéologie nazie correspondaient à des thèmes populaires, présents, à des degrés divers, dans les différentes classes sociales : le nationalisme, l’aspiration à une affirmation de l’unité allemande, le militarisme, l’antisémitisme (Reich, 1972). De plus, la promesse de résoudre les problèmes économiques et le chômage répondait à la profonde peur provoquée par la crise. Cette correspondance entre l’idéologie nazie et des attentes sociales explique, dans une large mesure, son acceptabilité. Mais ces justes analyses n’expliquent néanmoins qu’une partie des fonctions de l’idéologie nazie : ces éléments thématiques furent, après 1933, totalement gérés, transformés et imposés par le pouvoir central. Et, là encore, ce pouvoir central s’était donné les moyens de contrôler seul les expressions et les comportements, de décider seul quelle utilisation il serait fait des contenus symboliques pour la réalisation de ses objectifs.
Dès lors l’idéologie, appropriée par le pouvoir, devient un moyen majeur de l’exercice des contrôles à tous les niveaux de la vie sociale. On ne saurait, en particulier, comprendre la discipline des fonctionnaires de police, comprendre le comportement des bourreaux dans les camps de concentration ou dans les groupes spéciaux [189] chargés des exécutions sommaires, sans faire la part de ce contrôle symbolique venant interdire toute expression critique et légitimer les actions meurtrières. Pour le fonctionnaire de police, pressé de garder le secret sur ses activités, menacé des sanctions capitales en cas de défaillance, la justification donnée par l’idéologie venait compléter et comme saturer l’urgence de l’obéissance. Pour l’agent des groupes spéciaux, une idéologie particulière, au sein même de l’idéologie commune, en faisait un personnage d’exception, dépositaire d’une vocation hors du commun, engagé dans un rapport personnel et mystique avec le chef suprême (Kogan, 1970). À ce niveau, l’idéologie concrète n’a guère de rapport avec les élaborations théoriques de quelque nature qu’elles soient, elle réactive des liens archaïques d’identification et facilite les conduites meurtrières (Freud, 1951).
Là encore, on ne saurait conclure que l’idéologie nazie fut admise par toute la population. Dès avant 1939, elle suscitait de multiples réticences, peurs et résistances passives ; après le déclenchement de la guerre, elle suscita de multiples résistances combattues par la terreur et, à partir de 1942, une résistance au sein même de l’armée allemande.
De nombreux rapprochements s’imposent donc entre l’idéologie hitlérienne et l’idéologie stalinienne, si l’on considère, non les élaborations savantes mais leur production et leurs fonctions sociales. Ces rapprochements conduisent aussi à remettre en question les oppositions manifestes.
Du point de vue des contenus, l’École de Francfort a bien montré qu’une même illusion de la rationalité soutient ces deux idéologies (Horkheimer, 1983 ; Marcuse, 1941, 1963) ; dans l’une et l’autre, le mythe de l’État rationnel, le mythe de l’organisation sociale rationnelle ne sont pas mis en question. Et de même, s’y retrouvent, sous des modalités et des dénégations différentes, les mythes du peuple, de la nation élue, et de la politique comme salut. Plus clairement encore se reproduit l’illusion du chef omniscient, incarnateur de la collectivité et des valeurs suprêmes ; dans le régime stalinien comme dans l’Allemagne nazie, la dévotion à l’égard du chef, le rapport de la masse au chef, ont constitué un aspect majeur de ces idéologies vécues (Arendt, 1972).
Dans leur exigence essentielle, ces idéologies, apparemment opposées, légitiment le principe de la totalité contre les différences et contre les individualités. Elles créent l’image d’un homme abstrait, d’un individu dont tout le destin est de se dissoudre dans le « bon corps politique » (Lefort, 1981, pp. 53-55). La logique du discours entre ainsi en profonde congruence avec une politique totalitaire visant à abolir toutes les autonomies dans la société civile. Le mythe du corps, de l’organisme social unifié, être de raison et de perfection, parcourt tous les discours et sert ici inépuisablement à légitimer les exclusions et jusqu’aux éliminations physiques. Selon une logique imparable, toute déviance est désignée comme une menace contre l’ordre bénéfique et sa répression contribue, selon les modèles les plus archaïques, à la régénération de l’ordre social.
Il convient, en terminant cette recension des recherches, de reprendre notre question initiale : est-ce que le concept de « totalitarisme » appliqué à ces deux formations sociales, et qui incite à mettre en relief leurs traits communs, se justifie [190] au niveau de leurs réalités sociales ? On proposera ici une réponse affirmative mais nuancée.
Les lacunes de l’information, tout d’abord, incitent à une certaine prudence dans les conclusions. Sur des points aussi importants que le nombre des prisonniers dans les camps de travail, le nombre des victimes des déportations, trop d’incertitudes demeurent pour que l’on puisse prendre une connaissance exacte de l’étendue de la terreur. De plus, s’agissant de processus complexes comme la décomposition des anciens rapports sociaux et leur survivance cachée, la transformation des motivations individuelles, la résistance silencieuse des familles… l’on est souvent réduit à formuler des hypothèses. La sociologie de ces régimes est tributaire de l’insuffisance des données et souvent menacée de prendre pour typiques des documents particuliers.
On ne saurait, d’autre part, négliger tout ce qui, au niveau des phénomènes sociaux, différencie ces deux régimes. En dehors de toutes les particularités héritées du passé, les mœurs, les cultures, et qui spécifient toute société chargée de son histoire propre, les transformations réalisées différencient ces deux formations sociales. De 1930 à 1940, la Russie soviétique opère une mutation accélérée de la société rurale à la société industrielle, alors que l’Allemagne poursuit une industrialisation largement développée dès avant 1930. La Russie soviétique inaugure ce développement dans un système social où la bourgeoisie industrielle est exceptionnellement faible, alors que la grande bourgeoisie, les classes moyennes et la paysannerie sont, en Allemagne, majoritaires face à la classe ouvrière. Et si, dans les deux cas, l’État s’empare de la direction de l’économie, c’est selon deux modèles différents, l’un par l’accaparement général des moyens de production, l’autre en maintenant systématiquement les rapports d’appropriation capitaliste (Organski, 1965 ; Moore, 1969).
Mais c’est précisément la fécondité heuristique de ce concept de totalitarisme que de mettre en relief, dans ces deux systèmes sociaux, ce qui tendait à les rapprocher malgré ces prémisses si évidemment différentes. Le concept de totalitarisme, s’il est retenu ici comme instrument d’interrogation et d’investigation, peut nous aider, s’agissant non plus seulement des régimes politiques mais des systèmes sociaux dans la pluralité de leurs dimensions, à repérer ce qui leur est, paradoxalement, commun. Malgré tant de divergences, ces deux sociétés ont en commun d’être, non pas et comme tant d’autres avant elles, soumises à un État autoritaire et lointain, mais en proie à un État dynamique, gestionnaire et terroriste, qui tend à transformer toutes les relations sociales dans une mobilisation violente conforme à ses objectifs. Ces sociétés sont alors l’objet d’un gigantesque travail de totalisation mené par le pouvoir central, travail qui se heurte à des résistances multiformes, toujours changeantes et renaissantes. Aussi, dans cette sociologie des sociétés totalitaires, faut-il souligner l’importance décisive des institutions qui vont rendre possible et qui vont réaliser ce travail de contrôle, de répression et de mobilisation : les organes de police et les appareils idéologiques d’État. Dans ces deux régimes stalinien et hitlérien, ce travail incessant de contrôle et de totalisation s’opère en effet sous la pression de la menace policière, les appareils de coercition organisant à la fois l’élimination des opposants et l’intimidation généralisée de la population. L’idéologie unitaire, ressassée par toutes les institutions transformées en appareils idéologiques d’État, complète cette mobilisation temporelle par la mobilisation des esprits et des désirs individuels. À [191] travers des formes différentes, ces deux sociétés ont en commun de comporter ces deux appareils terroristes et mobilisateurs et ce type d’articulation entre la terreur et la persuasion. Aussi bien le point central de leur compréhension résiderait dans une exacte interprétation de la genèse et du fonctionnement de ces appareils mortifères.
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