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Sylvain GAUDREAULT
Historien et professeur d’histoire
“Julien-Édouard-Alfred DUBUC.”
In ouvrage sous la direction de Jean-François Hébert, LA PULPERIE DE CHICOUTIMI. UN SIÈCLE D’HISTOIRE, pp. 49-54. Chicoutimi : Musée de La Pulperie de Chicoutimi, 1998, 100 pp.
Jeunesse et arrivée à Chicoutimi
Julien-Édouard-Alfred Dubuc naît le 21 janvier 1871 à Saint-Hugues, dans le comté de Bagot. Il est le fils aîné de Joseph-Alfred Dubuc, marchand, et de Marie Blanchard.
J.-É.-A. Dubuc n'a que trois ans lorsque ses parents déménagent à Sherbrooke. C'est donc à cet endroit qu'il complétera son cours commercial, au collège Saint-Charles-Borromée.
À la fin de ses études, en 1886, Dubuc est engagé à titre de commis à la Banque Nationale. Il se démarque rapidement et devient, en peu de temps, chef de bureau.
En octobre 1892, il continue son ascension à l'intérieur de la banque. On lui propose le poste de directeur-gérant de la toute nouvelle succursale à Chicoutimi. Dubuc a 21 ans. Il accepte de relever le défi. Il s'exile dans ce qui est alors réputé comme n'étant qu'une bourgade, loin, au nord de Québec.
Ce poste lui donne l'opportunité d'être au courant du développement de sa nouvelle ville et du potentiel industriel de la région. C'est pourquoi il se préoccupe, dès son arrivée au Saguenay, de l'essor économique. Plus particulièrement, il s'intéresse à la commercialisation de l'industrie laitière. Ainsi, Dubuc s'implique dans l'exportation du beurre et du fromage produits dans la région. Il regarde aussi du côté de l'exploitation des mines de mica dans le secteur de Tadoussac.
Ces démarches le font connaître et le mettent en contact avec les milieux financiers montréalais et étrangers, principalement ceux de Liverpool, en Angleterre. Sur chacune des demandes de ses clients, Dubuc se garde un certain pourcentage. Cette stratégie lui assure un revenu supplémentaire. Il investit une partie de ce surplus dans des compagnies naissantes à Chicoutimi. Cela lui permet de devenir administrateur de quelques-unes d'entre elles. À titre d'exemple, Dubuc contribue, en 1895, à la création de la Compagnie des eaux et de l'électricité de Chicoutimi. Ce dernier investissement lui sera fort utile lorsqu'il participera, l'année suivante, à la création de la Compagnie de pulpe. En effet, le site sur lequel sera bâti le premier moulin de la pulperie, l'île Électrique, appartient à la Compagnie des eaux et de l'électricité.
C'est également à titre de gérant de la Banque Nationale de Chicoutimi que J.-É.-A. Dubuc peut commencer à faire profiter l'ensemble de la communauté de ses qualités philanthropiques. En effet, c'est lui qui autorise le financement des dettes des institutions locales comme l'Hôtel-Dieu, le Séminaire, la commission scolaire et les fabriques paroissiales.
En 1893, Dubuc retourne dans son village d'origine le temps de se marier avec la fille du docteur Palardy, Anne-Marie, qui fut l'une de ses amies d'enfance. Cette union donnera quinze enfants dont seulement cinq survivront. À son retour au Saguenay, le jeune couple s'installe d'abord dans le secteur de Rivière-du-Moulin. Il habite l'une des propriétés de l'abbé Thomas Roberge, située au confluent des rivières Saguenay et du Moulin.
L'arrivée de Dubuc dans le chef-lieu du Saguenay bouscule quelque peu les habitudes des hautes influences de la ville qui ne sont pas immédiatement sympathiques aux étrangers qui décident de s'installer. Toutefois, [50] le jeune gérant de banque est rapidement remarqué et apprécié par l'élite locale. Pendant qu'il est étudiant à Rome, en 1893, Mgr Eugène Lapointe, qui deviendra plus tard l'un des proches de J.-É.-A. Dubuc, reçoit même une lettre de Mgr Victor-Alphonse Huard, alors libraire du Séminaire de Chicoutimi. Selon les mémoires de Mgr Lapointe, la lettre dit à peu près ceci : « Chicoutimi vient de faire une précieuse acquisition dans la personne d'un jeune homme du nom de Dubuc, gérant d'une nouvelle succursale de banque. »
Le démarrage de la C.P.C.
Lorsque J.-É.-A Dubuc arrive à Chicoutimi, en 1892, l'économie de la région est au ralenti. Cette situation est imputable à la stagnation et au dépérissement de la scierie de la compagnie Price Brothers Co. qui est, incidemment, le principal employeur de la ville.
Les activités sociales de Dubuc l'amènent à rencontrer Joseph-Dominique Guay. Ce dernier est un journaliste qui nourrit de fortes ambitions pour sa ville. Pour lui, l'arrivée du train à Chicoutimi en 1893 est l'occasion rêvée pour sortir la petite ville de sa léthargie. Il veut exploiter ce nouveau moyen de communication au maximum. Avec l'aide de Dubuc, notamment, J.-D. Guay se fait élire comme maire de la municipalité en 1895. Il réalise alors de vastes projets, comme l'installation du téléphone, de l'électricité et d'un aqueduc. Dubuc est associé à chacun de ces chantiers.
Les deux hommes sont conscients du potentiel énorme de l'environnement de Chicoutimi pour le lancement d'une manufacture de pulpe. À leur avis, sans compter le fait que la main-d’œuvre est largement disponible, les trois ingrédients de base se retrouvent dans les environs immédiats de Chicoutimi pour mener à bien un projet de pulperie. En effet, il y a d'abord la proximité des immenses forêts d'épinettes qui assure un accès presque sans fin à la matière première. Ensuite, la rivière Chicoutimi possède une forte énergie hydraulique garantissant le fonctionnement de tout l'appareillage. Enfin, la présence de la rivière Saguenay signifie que l'expédition vers les marchés extérieurs, par bateau, ne sera pas un problème.
Cependant, malgré toute leur bonne volonté, J.-É.-A. Dubuc et ses associés restent confrontés au problème du financement. Dans un premier temps, ils cherchent des ressources financières du côté de l'Europe : Allemagne, Angleterre et France. Ils tentent également de dénicher des bailleurs de fonds chez les Américains.
En fin de compte, c'est un capital actions de 10 000$, provenant uniquement de l'épargne canadienne-française, principalement de la famille de J.-D. Guay, qui sera à l'origine de la Compagnie de pulpe de Chicoutimi (C.P.C). Quelques mois plus tard, cette somme sera haussée à 50 000$. Ce montant vient d'un financement de la Banque Nationale, cautionné par des amis de Dubuc qui sont issus du monde des affaires de Québec. D'autre part, les contrats d'approvisionnement provenant des marchés anglais et américains rassurent les investisseurs. De cette manière, Dubuc en arrive à incorporer, en association avec d'autres actionnaires canadiens-français, la C.P.C. Nous sommes en 1896. L'année suivante, Dubuc résigne définitivement ses fonctions de directeur de la succursale de la Banque Nationale de Chicoutimi. Il devient alors le directeur-gérant de la nouvelle entreprise.
En peu de temps, le pari de J.-É.-A. Dubuc est gagné. La C.P.C. répond à une hausse de la demande de papier journal, tant sur les marchés européens (Angleterre et France à partir de 1908) que sur les marchés américains. Dès novembre 1897, le capital actions passe à 250 000$. La croissance est aux portes de l'entreprise. Elle débute par l'achat du pouvoir d'eau de la rivière Chicoutimi. Puis, viendront le barrage, le moulin, les concessions forestières, le port, le tramway électrique, la digue du lac Kénogami, le deuxième moulin (1903), les agrandissements, les prises de contrôle, Val-Jalbert (1909), le chemin de fer Rober-val-Saguenay, la compagnie électrique, etc.
Dubuc : « Le Roi de la pulpe »
- Le monde des affaires
L'implication de J.-É.-A. Dubuc dans le monde des affaires est loin de se limiter [51] à la Compagnie de pulpe de Chicoutimi, bien que cette dernière occupe la majeure partie de son temps. En effet, le succès que Dubuc connaît en affaires le fait devenir promoteur de plusieurs autres entreprises, dont la Compagnie des eaux de Chicoutimi, la Société d'éclairage et d'énergie électrique du Saguenay, la Compagnie de Téléphone Saguenay-Québec, la Ha ! Ha ! Bay Sulphite Company (1918), la maison de gros Côté & Boivin, la Compagnie du Port de Chicoutimi et Le Progrès du Saguenay.
Parmi toutes ces réalisations, le développement et l'installation de la téléphonie au Saguenay, à partir de 1898, sont sans aucun doute celle qui retient le plus l'attention après la Compagnie de pulpe de Chicoutimi. En effet, croyant au potentiel que représente le téléphone pour le développement local et l'ouverture sur le monde, Dubuc achète le système de téléphone public de la ville de Chicoutimi en 1898 et l'étend jusqu'à Québec.
Quant à la Compagnie de pulpe de Chicoutimi, c'est avec le XXe siècle que débute vraiment son ascension. Dès 1900, Dubuc est en mesure d'apprécier les retombées d'une haute distinction d'envergure internationale lorsque son entreprise se mérite, dans le cadre de l'Exposition universelle de Paris, une médaille d'or qui souligne la grande qualité de sa production. Trois ans plus tard, face à la croissance de son entreprise, il inaugure un nouveau moulin de vingt meules, ce qui porte à 70 000 tonnes le volume de la pâte exportée. Ce dernier moulin est construit au coût de 1 500 000$.
La croissance de la C.P.C. dans les premières années du XXe siècle fait en sorte qu'en 1910 elle est réputée comme étant la plus importante compagnie de pâte mécanique au Canada. D'ailleurs, avec l'addition de Val-Jalbert et des deux moulins de pâte chimique des sociétés filiales de Port-Alfred et de Chandler, les capacités de production dépassent les 110 000 tonnes annuellement après une vingtaine d'années d'existence de la C.P.C. À Chicoutimi seulement, les moulins emploient environ 1 000 hommes. Avec l'arrivée de l'hiver, c'est au moins 1 500 ouvriers qui se rendent dans les chantiers forestiers. En 1920, la masse salariale de la compagnie est évaluée aux environs de 30 000$ par année.
Sur la structure même de la ville de Chicoutimi, l'établissement puis la croissance des entreprises de Dubuc entraînent aussi leurs conséquences. De 2 277 habitants en 1891, Chicoutimi passe à 10 000 habitants en 1925. L'espace urbanisé double de superficie. Ce fort développement fait en sorte que le nom de Dubuc est associé à de nombreuses réalisations : alimentation en eau, protection contre les incendies, électricité, téléphone, chemin de fer, port de mer, journal, Chambre de commerce, quartier ouvrier, etc.
Le grand succès de son entreprise n'aveugle cependant pas Dubuc. Ce dernier demeure préoccupé par la consolidation de son empire. À son avis, à partir des années 1920, le papier sera plus en demande que la pâte mécanique, ce qui le force à réorienter ses établissements dès 1914.
Pour ce faire, il cherche de nouveau du côté de l'Europe. Cette fois, il tente de trouver des capitaux et des partenaires pour former un consortium. Une première tentative avec des hommes d'affaires français échoue à l'hiver 1914. Dubuc se tourne du côté britannique et réussit à former un projet qui libère la C.P.C. de ses obligations, agrandit la compagnie à Chicoutimi et à Val-Jalbert, lance la construction du chemin de fer Roberval-Saguenay et organise la fondation d'une usine de pâte chimique à Port-Alfred. Cependant, Dubuc se fait doubler par la situation politique. La guerre est déclarée à l'été 1914 et gèle tous ses projets.
Finalement, c'est du côté américain que Dubuc réussira à trouver ce qu'il cherche. Sans perdre de temps, il rencontre à l'automne 1914 un groupe de financiers de Philadelphie, New York et Boston. Ces hommes d'affaires sont intéressés à relancer l'usine de pâte chimique St. Lawrence Pulp and Lumber Corp. de Chandler, en Gaspésie. Après discussions, ils forment un trust avec Dubuc le 5 mai 1915 lors d'une réunion à Boston. C'est alors la naissance de la North American Pulp and Paper Companies (N.A.P.P.). La C.P.C. y est intégrée.
Le mandat de la relance de Chandler est confié à Dubuc à l'été 1915. Il part donc là-bas avec sa famille. Quelques mois plus tard, l'usine de Chandler est effectivement en marche et fabrique près de 125 tonnes de pâte chimique par jour. Grâce à ce succès, Dubuc s'assure le soutien financier des Américains. La N.A.P.P. possède un actif de près de 30 000 000$ dont plus de 16 000 000$ au SaguenayLac-Saint-Jean. Elle a des sièges sociaux à Montréal, Boston et Philadelphie. Elle est la plus puissante organisation de pâte et papier en Amérique du Nord. Le président est nul autre que J.-É.-A. Dubuc. C'est à partir de ce moment qu'il se voit coiffé du titre de « Roi de la pulpe ».
Dubuc a une manière d'opérer non traditionnelle : on dit qu'il construit pour emprunter. Ses premiers prêts viennent des institutions financières de Chicoutimi, Québec, Montréal, Toronto, New York et Londres. Cependant, en 1918, malgré des actifs impressionnants, la N.A.P.P. a un capital d'exploitation qui est proche du zéro. Dubuc a besoin de nouvelles liquidités. La guerre étant terminée, c'est d'abord un groupe de financiers français, la Banque Versailles-Vridricaire-Boulais Limitée en tête, qui fournit les liquidités. Vient ensuite la Banque d'Hochelaga, par le biais de son vice-président F.-L. Béïque, qui est aussi le président de la Compagnie de pulpe et de pouvoirs d'eau du Saguenay. Cette dernière compagnie succède à la N.A.P.P. et chapeaute toutes les entreprises subsidiaires formées à l'origine par Dubuc lui-même.
Au début des « années folles », la Compagnie de pulpe et de pouvoirs d'eau du Saguenay est encore en tête au Canada pour le volume de sa production. Le président du trust, J.-É.-A. Dubuc, gravite au coeur du [52] monde des affaires nord-américain. Il participe à des réceptions en son honneur, comme celle de Philadelphie en mars 1916, où 80 personnalités de la haute finance américaine et canadienne se déplacent pour rendre hommage au Roi de la pulpe. En sa qualité de président de l'Association canadienne des manufacturiers de pulpe, il est également invité à l'étranger afin de faire part de son expérience. À une époque où la grande industrie canadienne et le monde des finances sont largement dominés par les anglophones, Dubuc est présenté par les médias nationaux comme étant le type parfait de l'entrepreneur canadien-français.
- La vie sociale
J.-É.-A. Dubuc est un citoyen impliqué dans son milieu et réputé comme étant généreux à l'endroit de sa communauté. C'est pourquoi il n'hésite pas à contribuer à de nombreuses oeuvres sociales. Par exemple, le Séminaire étant détruit par le feu de 1912 qui a rasé une bonne partie du centre-ville de Chicoutimi, Dubuc fait un don de 100 000$ pour favoriser sa reconstruction. Il encourage également des artistes dont certains se sont démarqués, tel Charles Huot.
Par ailleurs, Dubuc participe activement à la fondation de la Chambre de commerce du district de Chicoutimi, en 1897, qui sera à l'origine, dix ans plus tard, de la Chambre de commerce du Saguenay. À l'intérieur de celle-ci, il sera notamment vice-président puis président. Cette implication le conduira même à occuper la présidence de la Fédération des Chambres de commerce du Québec.
Fig. p. 52. Villa-Marie, la résidence d'été de Dubuc située près du lac Kénogami,
à Laterrière. Source : ANQC, fonds Dubuc.
Du côté des relations de travail, il n'est pas exagéré de dire que Dubuc est un patron qui a contribué à améliorer les conditions ouvrières. En effet, il est le premier industriel canadien à instaurer dans ses usines un système de trois équipes travaillant chacune sur des quarts de huit heures. Il paye en argent ses ouvriers et encourage chez eux l'épargne en créant une caisse de petite économie. Ces nouvelles conditions, innovatrices pour l'époque, n'ont pas l'heur de plaire à tous ses concurrents, particulièrement Price dont les installations sont situées à Kénogami.
Le respect que Dubuc porte à l'endroit du monde ouvrier le fait remarquer par les membres du clergé qui voient en lui un laïc qui met en pratique de façon intégrale la doctrine du pape Léon XIII, enseignée dans l'encyclique Rerum novarum (1891). En effet, comme employeur, Dubuc remplit ses devoirs de chrétien à l'égard de ses ouvriers. Il les considère et va même jusqu'à encourager la création du premier syndicat catholique d'Amérique du Nord. À ce propos, il joue un rôle important, en compagnie de son ami intime, Mgr Eugène Lapointe, dans la fondation en 1907 de la Fédération ouvrière de Chicoutimi, qui deviendra la Fédération ouvrière mutuelle du Nord (F.O.M.N.).
Cette façon de faire plutôt surprenante pour un patron répond à un objectif à long terme que s'est fixé Dubuc. De l'aveu même de Mgr Lapointe dans ses mémoires, Dubuc et lui entretiennent la même vision d'avenir pour le Saguenay : affranchir la population locale de la domination d'une entreprise anglophone, celle de Price. En ce sens, la C.P.C. représente pour Dubuc plus qu'une entreprise lucrative, mais aussi une oeuvre visant à implanter les Canadiens français dans le monde économique. À ce sujet, il confie un jour à Mgr Lapointe : « Je ne travaille pas pour de l'argent ». Au moment de ces paroles, il venait tout juste de refuser de vendre pour 3 000 000$ ses intérêts dans la C.P.C.
Tout cela n'est pas sans faciliter les entrées de J.-É.-A. Dubuc chez les membres du haut clergé, car sur le plan religieux il est reconnu comme un catholique modèle. Cette réputation est bâtie assez tôt, c'est-à-dire au moment même où il arrive à Chicoutimi. En effet, il aide alors financièrement les professeurs de son ancien collège de Sherbrooke. Ensuite, en tant que patron, il suspend toute production le dimanche dans ses moulins.
Cette ferveur fait en sorte que le pape Pie X décerne à Dubuc en 1904, grâce à l'intervention de Mgr Michel-Thomas Labrecque, évêque de Chicoutimi, la croix de Chevalier de l'Ordre de St-Grégoire-Le-Grand. Ce titre honorifique lui échoit en reconnaissance de son dévouement aux oeuvres religieuses et sociales. Bien que symbolique, ce statut lui facilite, en 1918, le droit à la concession d'une chapelle [53] privée qu'il installe à la « Villa-Marie », sa résidence d'été du Portage-des-Roches, à Laterrière.
Enfin, malgré tous les égards portés à l'endroit de ses employés qui le lui rendent bien par le respect et l'estime qu'ils lui portent, J.-É.-A. Dubuc demeure un aristocrate distant de la classe ouvrière. Il n'entretient aucune familiarité avec la masse. C'est un homme d'affaires rationnel qui ne prend pas de décisions sous le coup de la passion.
Le retrait des affaires
Plusieurs facteurs expliquent le retrait de J.-É.-A. Dubuc de l'industrie des pâtes et papiers. Cette situation s'annonce dès 1921 alors que la Compagnie de pulpe et de pouvoirs d'eau du Saguenay connaît une baisse importante de ses activités. Ce déclin est causé notamment par l'abolition de la régie des prix au Canada et aux États-Unis, par la contraction du marché, par le monopole de plus en plus grand exercé par sir Herbert Holt dans la production canadienne et par la croissance de la compétition venant de la Scandinavie.
Par ailleurs, les besoins particuliers de la clientèle et des prêteurs de Dubuc, qui réclament de la pâte chimique et mécanique plutôt que du papier, n'aident en rien l'entreprise. Ce dernier élément bloque la modernisation que Dubuc aimerait apporter à ses usines afin de pouvoir fabriquer, comme ses concurrents, un produit fini. Dubuc est donc littéralement prisonnier de ses bailleurs de fonds qui refusent de financer la modernisation des moulins.
En plus de ces facteurs importants, Dubuc fait face à l'échéance de ses créances. Devant cette situation, l'entreprise est incapable de supporter la diminution de sa production. Dubuc apporte alors une solution en lançant, en 1922, une émission d'obligations à court terme qui s'élève au montant de 2 900 000$. D'une part, ces obligations sont garanties par un contrat de dix ans avec la firme Becker& Co., de Londres. D'autre part, une hypothèque sur les actifs de la compagnie fournit une seconde sûreté. Deux entreprises se partagent de façon égale les nouvelles actions : Ha ! Ha ! Bay Sulphite Company et Price Brothers & Co., cette dernière étant l'adversaire de toujours de Dubuc. Celui-ci démissionne en juin 1923 prétextant des raisons de santé du comité exécutif de la Compagnie de pulpe et de pouvoirs d'eau du Saguenay. Il quitte alors le pays pour séjourner quelque temps en France et en Angleterre.
Cependant, dans l'élaboration de sa solution, Dubuc n'a pas prévu la faillite de la Becker& Co. à la fin de 1923. Il va sans dire que cette banqueroute provoque un manque à gagner à Chicoutimi. Ainsi, la Compagnie de pulpe de Chicoutimi dépose son bilan le 6 mars 1924. Elle est liquidée par le Royal Trust Company.
Dans les années qui suivent, J.-E.-A. Dubuc concentre ses activités professionnelles dans les domaines suivants : téléphone, distribution de l'énergie électrique, propriétés foncières en Gaspésie, à Montréal et au Saguenay. Sa vie d'homme d'affaires est donc loin d'être finie. En plus de prendre la direction de la maison de marchands de gros Côté et Boivin et du Progrès du Saguenay, il réorganise en 1927 la Compagnie électrique du Saguenay au capital autorisé de 2 500 000$. Il préside aux destinées de cette compagnie jusqu'en 1939. Il assure la distribution de l'électricité dans les environs de Chicoutimi et jusqu'au Lac-Saint-Jean. Par cette entreprise, il joue également un rôle de premier plan lors de l'implantation de l'industrie de l'aluminium au Saguenay, au milieu des années 1920.
La vie politique
Après son passage remarqué dans le monde des affaires, J.-É.-A. Dubuc touche au monde politique. Cette aventure débute le 29 octobre 1925, alors qu'il se fait élire comme député libéral indépendant à la Chambre des Communes. Il recueille 37,4% des voix. Son plus proche adversaire est le libéral Louis-Joseph Lévesque. À ce moment, le Toronto Star coiffe Dubuc du titre de la personnalité la plus marquante élue aux élections fédérales de 1925.
À titre de député, Dubuc se fait réélire successivement aux élections générales de 1926, 1930, 1935 et 1940. Entre temps, il devient veuf. Son épouse, Anne-Marie Palardy, décède en 1928. Il ne se remariera jamais.
À partir de 1930, il enlève son étiquette « indépendant » [54] et il représente le Parti libéral jusqu'en 1945, au moment où il se retire définitivement de la vie publique.
Deux éléments principaux sont à retenir de Dubuc comme député à Ottawa. D'abord, c'est un politicien tranquille en Chambre. Il adresse, en effet, très peu de discours à partir de sa banquette. Au moment de la conscription, le député Dubuc s'exprime contre ce projet. Deuxièmement, il a contribué à de grosses immobilisations dans son comté, telles la réfection de la route régionale, la construction du port de Chicoutimi et celle du pont de Sainte-Anne, qui relie les deux rives du Saguenay à la hauteur de Chicoutimi, au début des années 1930.
La vie politique de J.-É.-A. Dubuc a été également marquante sur le plan municipal. Alors qu'il est député fédéral depuis sept ans, Dubuc est élu maire de Chicoutimi en 1932. Il complétera un seul mandat à ce poste. Il quitte effectivement la mairie en 1936. Il est maire quatre ans, soit le temps de remettre sur la bonne voie sa ville qui traverse de lourdes épreuves économiques avec la fermeture de la Compagnie de pulpe et la crise économique.
Le maire Dubuc se fait surtout remarquer par la mise sur pied de son ambitieux programme de travaux publics, à l'intention des prestataires du secours direct. Grâce à ce programme, Dubuc préside à la construction de la promenade de Rivière-du-Moulin et voit à la canalisation de la rivière aux Rats. Il fait également construire un hôtel de ville tout neuf.
La façon de faire de l'administration Dubuc est bien simple : il suffit de concentrer dans la trésorerie de la ville tous les octrois versés par le gouvernement pour venir en aide aux chômeurs. Quant à ces derniers, ils sont payés par un système de bons spéciaux. Le résultat concret est que la ville de Chicoutimi est maintenue, en cette période générale de crise, en bonne santé économique. On assiste même à un développement de la petite propriété.
Le 30 octobre 1947, dans sa résidence de Laterrière, J.-É.-A. Dubuc meurt à l'âge de 76 ans. Il laisse derrière lui un héritage imposant, tant sur le plan économique que social. Encore aujourd'hui, le souvenir de sa présence dans le développement de sa communauté est constamment rappelé à ceux et à celles qui visitent la Pulperie et Val-Jalbert, qui empruntent le pont Dubuc, qui habitent la rue Dubuc, le comté Dubuc et le quartier Port-Alfred.
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Linteau, Paul-André, Durocher, René et Robert, Jean-Claude, Histoire du Québec contemporain. De la Confédération à la crise (1867-1929), Boréal, Montréal, 1989, 758 p.
« M. J.-E.-A. Dubuc » dans Le Progrès du Saguenay, 10 juin 1915.
« M. Julien-Édouard-Alfred Dubuc est un grand professeur d'énergie » dans Le Canada, Montréal, vol. XIV, numéro 188, 13 novembre 1916.
Veullot, François, « Un grand patron canadien-français » dans Allô !, 29 novembre 1947.
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