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Première partie :
LES VALEURS NATIONALES
Chapitre III
“La région des Appalaches.”
par Benoît BROUILLETTE
La région des Appalaches est, en étendue, la. deuxième des trois grandes divisions physiques de la province de Québec. Dans la plaine du Saint-Laurent, on rencontre la surface d'érosion la plus basse. Les Laurentides forment le rebord du vieux Bouclier canadien, région la plus vaste de la Province. Considérons les Appalaches comme un ensemble géologique et non comme une région naturelle ; car elle se compose de trois régions bien distinctes, même d'une quatrième, si on englobe dans les Appalaches le bord sud de l'estuaire. Le terme géologique des Appalaches s'applique à la structure plus qu'au relief. En effet, les géologues sont d'accord pour appliquer ce nom aux sédiments primaires qui se sont plissés au sud-est du Bouclier canadien. Ceux de la plaine laurentienne sont à peu près horizontaux. Ici, au contraire, la région fut nettement plissée, et cela à deux reprises durant le Primaire : à la fin de l'Ordovicien et durant le Dévonien. Les partisans de la dérive des continents rattachent ces plissements à ceux des zones calédonienne et hercynienne d'Europe. Peu importe pour notre sujet. « Au moment où la région se plissait, des intrusions de granite et [80] de roches basiques se sont incrustées dans certains de ces plis. Enfin, postérieurement à la mise en place du plissement, une traînée volcanique a éparpillé ses cheminées d'Ouest en Est, depuis Montréal jusqu'à travers la zone appalachienne [1]. »
Ne nous attardons pas sur la structure géologique des Appalaches. Son histoire est connue, trop peut-être, ce qui cause de fâcheuses confusions. Les auteurs qui ont écrit sur le sujet confondent souvent la structure avec le relief. Gardons-nous en bien, sachant que la première étudie l'architecture du sous-sol, de la croûte terrestre, ses déformations et les forces qui les ont engendrées, tandis que le relief, c'est l'apparence extérieure des formes de terrain, telles que les ont sculptées les agents externes d'érosion. La confusion est d'autant plus redoutable entre la structure et le relief dans le cas présent que « les traits d'inversion du relief sont plutôt la règle que l'exception [2] ». Il ne faut cependant pas ignorer complètement les travaux géologiques. Qu'il nous suffise de signaler les principaux [3].
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La partie de la province de Québec qu'un géographe peut qualifier d'appalachienne est moins étendue que celle à laquelle un géologue applique le même qualificatif. Quelle est la raison de cette distinction ? Elle réside dans le fait que le géologue examine d'abord la structure tandis que le géographe observe le relief tel qu'il se présente aujourd'hui à ses yeux. Or la plaine laurentienne s'étend vers l'est sur le rebord plissé des Appalaches. La surface d'aplanissement que M. R. Blanchard appelle « la plate-forme de Québec » tranche des éléments géologiques de structure et de résistance différentes. « Vers le sud-est elle a arasé les plis appalachiens violemment redressés [4] ». En effet, on trouve le rebord de la plateforme de Québec non seulement en bordure des Cantons de l'Est, mais tout le long de la rive sud de l'estuaire entre Lévis et Matane.
Telle sera la première forme du relief de la région étudiée. La plate-forme de Québec, qui sert de plancher à la plaine laurentienne, est la surface la plus basse d'érosion. Elle s'est formée avant l'invasion glaciaire. M. Blanchard la date du Pliocène. Dès qu'on s'éloigne du fleuve et de l'estuaire vers l'est et le sud-est, on s'aperçoit que la surface du sol ondule d'abord, puis se relève franchement pour former un plateau. Voici la deuxième forme du relief, celle que M. Blanchard appelle la plate-forme appalachienne. Ce type de relief, écrit-il, « est particulièrement étendu et reconnaissable à travers le domaine des plis appalachiens. Il occupe en effet au sud-est la région des cantons de l'Est, se poursuit au sud de l'estuaire du Saint-Laurent et forme presque toute la presqu'île de Gaspé [5]. »
Comme toute pénéplaine digne de ce nom elle est inachevée. Son altitude varie de 8 à 12 ou 14 cents pieds. Elle n'a pas ou peu de rapport avec la structure. « On la voit trancher les plis et les couches les plus variés. » Là où le relief était plus difficile à abattre, on voit subsister les formes antérieures en « buttes-témoins ». Tels sont les racines des plis appalachiens, les épanchements granitiques, les intrusions de roches vertes, enfin les éléments les plus résistants qui constituent des « monadnocks », selon l'expression consacrée des géographes. Autre preuve encore plus convaincante de l'existence de la pénéplaine des Appalaches : son réseau [82] hydrographique. Les vallées ont entaillé la plateforme, jusqu'à parfois plusieurs centaines de pieds au-dessous de la surface d'érosion. Leur niveau de base se raccorde aisément à la surface de la plate-forme inférieure. C'est évidemment de là qu'est parti le travail de dissection de la pénéplaine en question. Quel âge peut-on lui attribuer ? Elle résulte d'un autre cycle d'érosion de l'époque tertiaire, cycle antérieur à celui qui a formé la plate-forme de Québec. M. R. Blanchard lui attribue un âge miocène.
Il existe enfin un troisième élément du relief dans la province de Québec, élément particulièrement bien développé dans notre région. Les plus hauts sommets forment au-dessus de la plateforme appalachienne les monts Shickshocks de Gaspésie et d'innombrables collines résiduelles ailleurs. Quand on examine attentivement les lignes de sommet de ces monts et collines, il est possible, sinon facile, de distinguer des formes d'aplanissement caractéristiques. On y trouve des surfaces planes ou faiblement ondulées, cernées elles-mêmes par des plate-formes inférieures. M. R. Blanchard l'appelle la plate-forme supérieure. Elle résulte vraisemblablement de plusieurs cycles d'érosion qui se sont produits durant le Tertiaire et même durant le Secondaire. On peut dater ces plate-formes, car il y en a plusieurs, soit de l'Eogène soit du Crétacé. C'est le plus loin que les géographes peuvent remonter l'échelle des temps géologiques. Lorsque certains auteurs nous parlent avec assurance du relief des temps primaires, qu'il nous soit permis de sourire. En tout cas, ces savants confondent la structure géologique et l'aspect extérieur du relief.
Cette mise au point étant faite, entrons dans le vif de notre sujet. Le terme d'Appalaches est une division commode ; mais il est trop étendu pour ne désigner qu'une région. Nous distinguons trois parties que nous pouvons appeler régions naturelles. Ce sont du sud-ouest au nord-est : les Cantons de l'Est, les Plateaux du Sud de l'Estuaire et la Gaspésie.
Nos lecteurs ont pris connaissance au chapitre premier d'une discussion sur le concept de la région naturelle et d'une carte indiquant les grandes régions de la Province. Cependant, nous ne saurions nous empêcher d'ajouter ici quelques autres réflexions [83] sur ce sujet, que nous avons faites en relisant le traité de Jean Brunhes [6]. Le maître nous avertit que « les géographes doivent toujours s'efforcer de constater avec exactitude où se produit le phénomène étudié. Cette préoccupation du lieu devra se traduire par des cartes sur lesquelles se trouveront figurés deux ordres de faits : les points ou les zones où le fait se révèle dans ses conditions de maximum ou d'optimum et, d'autre part, la limite qui marque l'extension générale extrême du phénomène. » Ailleurs dans son traité, Jean Brunhes discute de la géographie régionale. Il nous avertit qu'elle a un sens « relatif et très variable ». Il nous met en garde contre « la fausse uniformité administrative et contre les artificiels groupements politiques ». Il oppose même les régions géographiques aux régions historiques. Les premières « correspondent à des unités plus ou moins étendues, mais dont toutes les parties ont un certain nombre de caractères communs ; dans leur ensemble, elles sont ou elles tendent à être homogènes ». Les secondes, au contraire, sont « par excellence composées de plusieurs unités naturelles disparates. Elles sont à ce titre hétérogènes [7]. » Mon maître qui aime beaucoup les digressions, explique à cet endroit comment on a partagé la France en régions naturelles vers le début du XXe siècle. Il dit comment on a procédé en Belgique. Quel bel exemple ce serait pour nous ! C'est l'administration centrale de l'enseignement primaire (l'équivalent de notre Conseil de l'Instruction publique) qui a procuré à l'enseignement de la géographie un fondement régional. Elle a distribué dans toutes les écoles une carte en couleurs des grandes et petites régions, un plan d'une étude régionale et la liste détaillée des régions. Tout cela dans le but de diriger les enquêtes des inspecteurs et des instituteurs de chaque région. Quand entreprendrons-nous une tâche aussi utile dans la province de Québec ?
Quel que soit le concept de la région naturelle, il faut faire passer quelque part sur la carte les limites de nos régions naturelles. Personne n'ignore que les cadres que nous adoptons furent tracés par un maître de la géographie française, M. Raoul Blanchard, qui a mené des enquêtes géographiques à travers notre province entre 1928 et 1938. Nous connaissons et avons souvent commenté ses [84] travaux [8]. C'est guidé par ces travaux que nous avons inscrit sur la carte de la Province des limites aux régions dites naturelles.
Les Cantons de l'Est forment une région naturelle douée d'une forte originalité. Comprise entre la limite occidentale et septentrionale indiquée précédemment et les États du Maine, New-Hampshire et Vermont, sa superficie est de l'ordre de 9,000 milles carrés. Comment se présente le relief ? Laissons parler M. Blanchard : « La région des Cantons de l'Est est un vaste plateau descendant lentement dans la direction du Saint-Laurent. Mais de ce plateau jaillissent partout des verrues isolées, des archipels de collines, des lignes de crêtes continues sur de longues distances ; où qu'on se tienne à la surface de la plate-forme, on est sûr d'apercevoir au moins une de ces protubérances, de profil parfois hardi, qui rompent la monotonie des étendues horizontales. Comme par compensation, le plateau est également lacéré de vallées dont la profondeur au-dessous des surfaces planes peut atteindre et dépasser 100 mètres (32,0 pieds), alternativement larges et étroites, à versants le plus souvent abattus mais pouvant parfois donner des pentes vigoureuses. Telles sont les trois formes capitales du relief de la région : en fait, une plate-forme sur laquelle sont restées perchées des collines et à travers laquelle s'enfoncent des rainures de dimensions inégales. Ajoutons que tout au long de la périphérie nord-ouest, en bordure des pays du Saint-Laurent, ces rainures se font si nombreuses et si complexes que la plate-forme se trouve émiettée en collines basses dont les sommets sont moins élevés que le niveau d'ensemble du plateau aux abords ; celui-ci a littéralement fondu en une mosaïque de fragments cernés de dépressions, et c'est là le quatrième type de relief [9] » Bref, les quatre types de relief sont : la plate-forme appalachienne, les collines résiduelles, les vallées, le Piedmont. M. Blanchard explique chaque type et dit ensuite que le passage des glaciers du Quarternaire a peu modifié les plate-formes. Il montre enfin comment les dépôts morainiques forment aujourd'hui les sols cultivables. La mer Champlain aussi ne fut pas absente de la région, partiellement du moins, formant de basses terres et les « pointes de terre, joyaux des terrains agricoles ».
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Le relief de type appalachien se poursuit vers le nord-est par les plateaux du Sud de l'Estuaire. Entre Bellechasse et Matane, la distance est de 215 milles. Celle entre le rebord de la plateforme et la frontière du Maine varie dans chaque comté (la moyenne est probablement inférieure à 35 milles). On peut estimer la superficie totale de cette région à 6,500 milles carrés environ. M. Blanchard lui attribue 8,800 m.c, mais il englobe les Bords de l'Estuaire dans son étude de la région [10]. Nous croyons que les basses terres se rattachent mieux à la plaine laurentienne au double point de vue physique et humain.
L'élément principal du relief est la pénéplaine d'âge néogène, que nous avons observée dans les Cantons de l'Est et que nous retrouverons en Gaspésie. La pénéplaine s'incline vers le sud-est, semble-t-il, et est couronnée par des collines, bosses et crêtes, qui dépassent 2,000 pieds. Ce sont des roches dures qui forment de véritables crêtes dans Bellechasse, Montmagny et L'Islet. Ailleurs les sommets sont isolés. Les géographes appellent « monadnocks » ou « buttes-témoin » ces ruines d'une pénéplaine antérieure.
Non seulement la pénéplaine appalachienne surplombe au-dessus de l'Estuaire une zone de basses terres, mais elle est creusée en outre par deux dépressions transversales : celle de Témiscouata et celle de Matapédia. Ce sont deux bassins occupés chacun par un lac (Témiscouata à 482 pieds d'altitude et Matapédia à 513 pieds). Les glaciers venus du nord ont contribué à élargir ces couloirs qui forment aujourd'hui des voies utilisées par les routes et chemins de fer.
Nous renvoyons nos lecteurs à l'ouvrage classique de M. Blanchard pour étudier l'origine de ce relief surtout pour comprendre le problème que pose la présence de terrasses à la fois marines et fluviales qui bordent l'Estuaire.
La Gaspésie n'est guère plus étendue que les deux régions précédentes. Elle s'allonge sur 155 milles entre Matane et le cap Gaspé. La plus grande largeur de la presqu'île, entre La Madeleine et Bonaventure, est de 87 milles. La superficie est d'après M. Blanchard, de 9,220 milles carrés [11]. Ici les parties les plus élevées du relief forment les Shickshocks. « À cause de la raideur de leurs [86] vents septentrionaux, écrit M. Blanchard, ils méritent le nom de montagnes. Pourtant ils ne sont qu'un haut plateau, plus ou moins déchiqueté et correspondant à l'affleurement des roches dures axiales. » Tous les sommets sont aplatis : le mont Albert « plaine de 3½ milles sur 2 », le mont Jacques-Cartier, autrefois appelé « Table-Top », le mont Logan, etc… « La partie centrale, depuis le Bayfield à l'ouest jusqu'au Table Top à l'est, apparaît très clairement comme un fragment de pénéplaine soulevée [12]. » On a attribué à cette pénéplaine supérieure un âge crétacé. Des cycles d'érosion plus récents ont façonné une deuxième pénéplaine qui entoure la première. Elle serait d'âge néogène. Au nord, s'étend un plateau entre 1,000 et 1,600 pieds. Là se sont établies de récentes colonies près de Cap-Chat et de Cloridorme, par exemple. Au sud, le plateau est beaucoup plus vaste, s'étendant jusqu'à la Matapédia et la Baie des Chaleurs.
Cependant ces formes de relief ne sont visibles qu'à l'horizon ou qu'aux endroits les plus pittoresques, où les falaises se terminent brusquement, comme aux environs de Mont-Louis ou près de Gaspé et de Percé. Ailleurs le touriste comme le résident ne connaît que les formes des côtes. Nous avons évité de parler des formes littorales dans les régions précédentes ; ici, impossible d'y échapper.
Au nord de la presqu'île, c'est une côte rectiligne, à peine échancrée par de petites baies à l'embouchure des rivières. Les embouchures sont elles-mêmes obstruées par des cordons littoraux, flèches de sable appelées « bancs », qui renferment en arrière d'elles une lagune ou « barrachois ». Au sud, les baies et les pointes se succèdent alternativement depuis le fond de la baie des Chaleurs jusqu'à celle de Gaspé, qui s'enfonce d'une vingtaine de milles entre le Forillon et le Cap Saint-Pierre. Pourtant cette côte possède peu de qualités nautiques, sauf au fond du Bassin de Gaspé où l'on gagne le port par 8 brasses d'eau.
Les mouvements du sol expliquent les formes littorales actuelles. Il serait trop long d'étudier les mouvements multiples de surrection et d'affaissement qui ont formé les terrasses. Ces dernières sont « les facteurs les plus importants de l'activité humaine en Gaspésie [13] ». [87] Les unes sont d'abrasion, les autres d'accumulation. Elles caractérisent le paysage de la côte. C'est à travers elles que les pointes rocheuses arrivent jusqu'à la mer. À Percé, par exemple, ainsi qu'au Cap des Rosiers, le relief structural en forme de côtes perce le manteau des terrasses ; d'où les falaises magnifiques du Pic de l'Aurore, des Trois-Sœurs, de l'Ilot percé. On retrouve le même type de structure dans la presqu'île du Forillon au Cap des Rosiers : pente raide vers le nord avec affleurement rocheux, pente plus douce dans la direction opposée.
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Région très étendue, les Appalaches présentent peu de différences au point de vue climatique. Partout règne le type continental de climat : fortes variations thermiques et précipitations réparties également sur toute l'année. Pourtant, à vue de carte, on pourrait croire à l'influence océanique. Le golfe Saint-Laurent est une mer bordière de l'Atlantique, et même au sud des Cantons de l'Est la mer n'est guère plus loin qu'à 200 milles à vol d'oiseau. La prédominance notoire du climat continental s'explique par la direction dominante des vents. En hiver, l'intérieur du continent est le siège de fortes pressions, d'anticyclones, qui se meuvent lentement, il est vrai. Ces masses d'air refroidies, parce qu'elles viennent surtout du nord-ouest, sont attirées par les basses pressions, les cyclones, qui voyagent rapidement en bordure de l'Atlantique. C'est la succion d'air vers la mer qui donne à l'est du Canada ses types de temps d'hiver. Nous n'avons pas le climat auquel notre latitude et notre position en bordure d'un océan nous donnent droit. Mais l'été prend sa revanche. Les pressions de l'intérieur faiblissent ; les masses d'air tropical venues du sud (jusque du Golfe du Mexique) nous atteignent dans leur course vers le nord-est. D'où des chaleurs d'étuve, inconnues dans d'autres pays situés à la même latitude.
Jetons les yeux sur quelques courbes de température. La moyenne des mois de janvier et de février oscille autour de 10°F., un peu moins en Gaspésie, un peu plus dans les Cantons de l'Est (12° à Sherbrooke). Celle du mois le plus chaud, juillet, ne dépasse [88] guère 60° en Gaspésie, mais atteint jusqu'à 67° dans les Cantons. Les nuances s'inscrivent mieux dans la longueur de la période de végétation. En Gaspésie le printemps est tardif, surtout sur la côte nord, balayée par le nordet. La neige ne fond qu'à la fin d'avril. Tout le mois d'ailleurs se maintient à la température de la glace fondante. Mai, au contraire, jouit d'une montée de température, qui n'est pas encore de la chaleur, mais permet aux feuilles de pousser vers la fin du mois (moyenne de 45°). Les quatre mois suivants sont relativement chauds : juin, 56° ; septembre, 52°. Ce sont les 120 jours durant lesquels se pratique la vie agricole, non cependant sans quelques risques de gelées tardives en juin. Les côtes méridionales jouissent « d'un écart favorable de 8 à 15 jours pour la moisson ». Ce climat comporte, selon l'expression de M. Blanchard « un hiver de six mois, sur la Côte Nord, un printemps maussade, compensé heureusement par un automne ensoleillé, sur la Côte Sud, un été plus précoce, avec un automne clément. L'été d'ailleurs est humide, un peu brumeux. Il reste cependant assez ; chaud et assez, prolongé pour permettre une agriculture pas trop aléatoire [14]. »
Mêmes rigueurs de climat sur les plateaux du Sud de l'Estuaire. Les seules stations, celles de Causapscal et d'Armagh, sont de type encore plus continental. La première n'a qu'une température moyenne de 2° en janvier, de 32° en avril, 62° en juillet et 50° en septembre. La secondé est plus favorisée : 6° en janvier, 35° en avril, 65° en juillet, 54° en septembre.
Les Cantons de l'Est vont nous apporter un peu de réconfort. Cinq mois au lieu de quatre ont une moyenne supérieure à 50°. « La végétation peut partir avec vigueur, écrit M. Blanchard ; elle dispose d'une durée variant suivant le relief de 125 à 150 jours. Cette durée est un peu plus forte dans le sud [15] » On constate même, en examinant attentivement les températures annuelles, que la plupart des stations des Cantons sont plus favorisées que celles de la plaine du Saint-Laurent. Est-ce dû au phénomène d'inversion de température ou au comportement différent des masses d'air à mesure qu'on se rapproche de l'Atlantique ? Nous [89] ne saurions étayer notre hypothèse d'arguments positifs avant d'avoir fait les recherches nécessaires.
Les précipitations sont partout abondantes sous forme de pluie et de neige. Aussi les rivières sont-elles nombreuses et bien alimentées [16]. Les rivières de la Gaspésie diffèrent de celles des autres régions. La glaciation fut moins forte. C'est pourquoi les rivières ont des profils en long moins accidentés ; les lacs sont relativement moins nombreux. Les rivières sont donc plus utilisables pour le flottage du bois, mais moins pour les aménagements hydroélectriques.
Les vallées des Cantons de l'Est doivent retenir davantage notre attention. Elles coulent dans deux directions principales : de l'intérieur vers le Saint-Laurent, du sud-est au nord-ouest, et (angle droit) du nord-est au sud-Ouest. Première direction (S.-E. vers N.-O.) : Etchemin, la Chaudière, sauf à sa source (Lac Mégantic), la Bécancour supérieure, les deux branches de la Nicolet, la Saint-François (cours moyen et la partie tout à fait à sa source : la Felton), la Yamaska supérieure et quelques affluents. Seconde direction (N.-E. vers S.-O) : le cours supérieur de la Chaudière et surtout de la Saint-François, la Massawipi, la Magog et autres petits affluents. La direction S.-E.-N.-O. s'explique par l'inclinaison de la pénéplaine appalachienne vers le niveau de base du Saint-Laurent. La seconde, par l'alignement des anciens plis : les affluents se sont établis parallèlement aux affleurements rocheux. D'ailleurs chaque fois que les rivières se sont surimposées aux plis ou relief, elles se rétrécissent et forment des gorges et rapides. La glaciation a accentué ces caractères en approfondissant les parties tendres en paliers et en laissant en saillie les roches plus dures : verrous glaciaires.
Sur ce relief ondulé, l'érosion régressive a eu beau jeu. Une rivière puissante comme la Saint-François fut « le grand triomphateur ». Remarquez ; d'abord que c'est la seule qui, au sud de la Beauce, traverse la double rangée des collines de l'Ouest et de la zone de Serpentine. Primitivement, elle prenait sa source dans [90] les rivières Moe ou Salmon-Sud. Mais son affluent de droite, qui se jetait à Lennoxville, a reculé sa tête vers East Angus, puis jusqu'au lac Saint-François qu'il a capturé, enfin jusqu'à la Felton. Cet affluent est devenu le cours supérieur principal.
L'influence glaciaire est manifeste, mais elle se marque surtout par son « œuvre de différenciation » le long des talwegs et par le creusement des lacs alignés entre les collines. Il y aurait ici une anecdote à raconter au sujet du verrou glaciaire que forme la Chaudière aux rapides du Diable [17]. Un géologue, ignorant la façon dont un glacier peut approfondir un talweg, imagine une ligne de collines en pleine Beauce, « fait valser » le relief actuel du sud du Lac Mégantic à la fin de l'ère Tertiaire, invente enfin une hypothèse absurde par manque des connaissances les plus simples de l'érosion glaciaire.
À l'état naturel une forêt recouvrait tout le paysage de ces trois régions sauf sur les sommets dépassant 3,000 pieds [18]. Les conifères dominent dans le nord-est. En Gaspésie, on remarque surtout l'épinette (épicéa), le sapin, le cèdre (thuya) et le pin. Les feuillus se mêlent aux conifères. Ce sont les espèces suivantes : bouleau, merisier, érable. Sur les plateaux de l'Estuaire, ce sont les mêmes avec prédominance du cèdre blanc et de la pruche. Il y a en outre plus de feuillus déjà : ormes, frênes, sorbiers.
Dans les Cantons de l'Est, les conifères cèdent peu à peu, vers le sud, la place aux bois francs. C'est une zone de transition entre la forêt boréale et tempérée. On y trouve des conifères, il est vrai : pin rouge, pin blanc (avant qu'on l'extermine !), cèdre et surtout pruche (tsuga). Cette dernière essence illustre le caractère de transition. Mais les feuillus constituent les peuplements principaux. Nombreuses variétés d'érables, dont une principale (Acer sacharifera), merisier, hêtres, divers bouleaux, frênes, tilleuls, ormes et platanes même, enfin une espèce encore plus méridionale : le chêne.
Ces forêts ne sont malheureusement pas intactes. Même en Gaspésie où le peuplement est discontinu, disposé comme une frange en bordure de la presqu'île, les ennemis de la forêt sont à
[91] l'œuvre. L'homme l'a attaquée pour une juste cause, il est vrai, celle de la colonisation agricole, mais il a entraîné à sa suite des éléments de destruction : l'incendie et les maladies crytogamiques. On ne peut pas faire le périple de la Gaspésie sans voir des « brûlés » ou des épinettes séchées sur pied à cause d'un insecte qu'on appelle la mouche à scie. Les forêts des plateaux de la Rive Sud sont exploitées encore plus activement que celles de la région précédente. Les Cantons de l'Est fournissent des bois plus variés. Les bûcherons sont montés à l'assaut de cette forêt, mais les ravages furent moins brutaux qu'ailleurs dans la Province.
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En Gaspésie, les premiers établissements permanents datent de la fin du XVIIe siècle. Au moment de la perte du Canada par la France, la population n'était que de quelques centaines de colons établis autour de la Baie de Gaspé. Des déportés acadiens les y rejoignirent et s'installèrent sur la côte de la Baie des Chaleurs. Vers la fin du XVIIIe siècle, les premiers colons britanniques apparurent. Ce furent des Loyalistes de la Nouvelle-Angleterre, qui, puissamment aidés, prirent les meilleures places. « En 1800, écrit M. Blanchard, l'élément anglo-saxon avait la majorité en Gaspésie. » Au même moment, arrivaient les Jersyais des îles anglo-normandes. Ce furent des commerçants de poisson, et quels commerçants ! C'est à partir de 1800 qu'un autre courant de population envahit la presqu'île. Toutes les paroisses du nord furent fondées et peuplées par « une colonisation maritime venue du haut estuaire ». Les Gaspésiens d'origine canadienne-française sont des descendants des gens de Montmagny principalement, mais aussi du Cap Saint-Ignace, de L'Islet et jusque de Rimouski. Quelques-uns sont venus de l'autre rive : de La Malbaie et de la Baie Saint-Paul. Us ont fondé tous les lieux depuis Matane jusqu'à la Rivière au Renard et au Cap des Rosiers et se sont infiltrés à travers les autres habitants jusqu'à Percé, l'Anse du Cap et même Pabos.
Le courant à destination du nord s'arrêta vers 1860, époque où la Gaspésie commençait à son tour à fournir des contingents à l'émigration vers les États-Unis. Cependant un autre flot s'est[92] porté vers l'ouest à partir de 1880, vers la vallée de la Matapédia. Cette vallée fut envahie par les deux bouts, par des Canadiens venant de l'ouest et par des Acadiens venus de l'Ile-du-Prince-Édouard. Ces derniers fondèrent Saint-Alexis et Saint-Laurent. Le résultat est qu'aujourd'hui la Gaspésie est peuplée de 80 p.c. de gens de langue française.
Les genres de vie ont évolué en Gaspésie et sont encore en pleine évolution. La région, peuplée par des marins, se livra d'abord presque exclusivement à la pêche. Mais depuis le milieu du siècle dernier, il n'en est plus ainsi. Il ne reste que très peu de pêcheurs « purs ». On les trouve disséminés à travers la population entre Grande-Vallée, la Rivière au Renard et le Cap des Rosiers, autour de Malbaie dans l'extrême est. Il n'y a pas non plus un grand nombre d'agriculteurs purs, malgré que ce mode de vie ait beaucoup progressé. Un marché local qui s'est développé, des transports améliorés (par la route, principalement), de meilleures méthodes de culture et d'élevage, tels sont les facteurs de transformation agricole.
On ne les voit guère, ces agriculteurs purs, qu'au sud, autour de Carleton et à l'ouest de Port-Daniel ; quelques-uns entre Chandler et l'Anse du Cap. Le genre de vie le plus répandu est le type d'agriculteur-bûcheron. Le paysan s'occupe de son travail à domicile d'avril à septembre. Le reste du temps il travaille aux chantiers, au flottage ou au ravitaillement (« portageage ») des camps de bûcherons.
Il semblerait à première vue qu'une telle distribution du travail soit bonne, que les chantiers devraient favoriser l'agriculture en ouvrant de nouveaux débouchés. L'aide est cependant plus apparente que réelle. Le travail du bois a fait tort à l'agriculture comme à la pêche. Celui qui passe l'hiver aux chantiers, quelque médiocre que soit son salaire, néglige forcément les travaux de sa ferme au retour. Le labeur solitaire de l'agriculture lui répugne ; il tend à considérer son salaire comme suffisant, et son vrai métier d'agriculteur devient complémentaire. Il n'améliore pas sa terre, ne défriche plus. Ses fils le quittent s'ils ont quelque chance de s'engager dans le commerce ou l'industrie.
Pourtant il y a de la terre, beaucoup de terre cultivable, dont on connaîtra la valeur d'une façon plus précise lorsque la classification [93] des sols sera complétée ; le climat n'est pas tellement défavorable ; les marchés locaux requièrent sans cesse plus de produits ; certaines spécialités peuvent même être florissantes, comme les pois verts de l'Anse du Cap. Il manque une meilleure organisation professionnelle, une meilleure distribution du travail. Par elle-même, l'agriculture ne sera jamais très prospère. Il faudra l'appuyer sur une exploitation plus rationnelle du bois. La colonie de Grande-Vallée fait une expérience en ce sens.
Le genre industriel de vie se limite presque exclusivement à l'exploitation forestière. La forêt fournit du bois à pâte, dont une faible partie est travaillée sur place, à Chandler, le reste étant exporté vers d'autres usines du Canada et des États-Unis. Elle donne aussi du bois d'œuvre, qui alimente une foule de petites et moyennes scieries. Les principales se trouvent aux deux extrémités : Matane et Gaspé. Ces industries constituent un nouvel élément de richesse économique, me dires-vous. Leurs produits vendus à l'extérieur apportent de l'argent dans la région. Certainement. Elles n'en constituent pas moins des facteurs de perturbation. D'abord l'industrie du bois est affectée de crises. Les usines ferment leurs portes dès que leurs produits se vendent mal. D'où un chômage forcé. Les anciens pêcheurs et cultivateurs, s'ils ont le courage de le faire, reprennent sans enthousiasme leur métier. Même quand l'industrie fonctionne toute l'année, elle occasionne une perturbation des genres de vie. Celle que nous avons signalée précédemment est la désaffection des jeunes pour l'agriculture ou la pêche.
Il n'est pas étonnant de constater une forte émigration. Émigration temporaire d'abord, pour aller aux chantiers jusque sur la côte nord du golfe Saint-Laurent, au lac Saint-Jean ou ailleurs. Émigration définitive, vers les États-Unis il y a 50 ans, vers les lieux de colonisation plus tard : Matapédia et Côte Nord, vers le Nouveau-Brunswick et surtout vers les grandes villes, Québec, Montréal, celles de l'Ontario. Chaque recensement décennal présente un bilan déficitaire de la population des trois comtés gaspésiens.
Nous ne croyons pas inutile de citer ici, au risque même de faire une redite, toute la conclusion de M. Blanchard : « La presqu'île de Gaspé est beaucoup plus riche et mieux exploitée qu'autrefois ; [94] ses habitants vivent plus confortablement ; pourtant le pays est en crise. Crise d'ordre géographique tout au moins, en ce sens que les nouveaux genres de vie tendent à se faire concurrence et même à se détruire les uns les autres. Ceux qui sont le mieux adaptés aux ressources permanentes du pays, ceux de pêcheur pur et d'agriculteur pur, sont fortement contaminés par une industrie encore désordonnée et anarchique ; celui d'ouvrier d'industrie, vivant l'hiver aux chantiers et l'été au moulin (ou au moulin toute l'année), est encore mal assis, exposé à des chômages et à des déracinements. Comme résultat : ce fait qu'un pays, dont une faible partie seule est activement exploitée, ne peut suffire à nourrir ses habitants ; le précieux avantage d'une forte natalité transformé par là en cause de gêne, presque de détresse, et aboutissant à un intense mouvement d'émigration [19]. »Il nous faudrait répéter pour la deuxième région, les plateaux du Sud de l'Estuaire, ce que nous avons dit de la précédente sur le peuplement et les modes de vie. Ici la colonisation est plus récente. Elle date de moins d'un siècle. En 1851, il n'y avait que 4,000 âmes contre 80,000 dans les basses terres de l'Estuaire. Les paroisses des plateaux ont aujourd'hui 100,000 h., contre 120,000 environ dans les vieilles paroisses du littoral. Elle se répartit en trois groupes : le bassin du Témiscouata, 30,000 ; le bassin de la Matapédia, 25,000 ; et l'arrière de trois comtés : l'Islet, Montmagny et Bellechasse, 18,000. Cette colonisation s'est faite, selon l'expression imagée de M. Blanchard, « par le grignotage au départ des vieilles paroisses ». On y trouve il est vrai des Beaucerons dans le sud : à Saint-Fabien, à Saint-Juste, au lac Frontière. Mais la presque totalité du peuplement est une extension naturelle des vieilles paroisses limitrophes.
D'ailleurs les ressources étaient attrayantes, le relief, pas trop difficile. Deux vastes bassins : Matapédia et Témiscouata ; des plateaux très largement ondulés. Des sols en général excellents : les moraines donnent de bonnes terres. Leur inconvénient est d'être caillouteuses, trop dans certaines paroisses du sud de l'Islet et de Montmagny. Un climat plus continental que celui du bord de l'eau, donc doué d'un cycle végétal plus rapide. Et surtout [95] une forêt splendide, énorme : des cèdres à bardeaux, de l'épinette blanche partout. Ajoutez ; à cela des voies de pénétration : deux chemins de fer qui se croisent, et des routes transversales dans chaque comté.
« Ces colons français, écrit M. Blanchard, à la différence des Anglo-Saxons, sont des bûcherons nés, et ces rudes tâches semblent leur procurer de vraies jouissances. Lorsque arrive la saison du bois, le goût de la bataille contre les arbres revient irrésistiblement aux plus rassis [20]. » Il n'est pas étonnant de constater qu'ici comme précédemment, l'agriculture n'est qu'« une forme subordonnée de l'activité humaine ». C'est le bois qui apporte l'argent, l'agriculture ne vise qu'à satisfaire les besoins domestiques.
Là comme ailleurs la forêt s'épuise et les habitants doivent demander à la terre une part plus grande de leur subsistance. Alors, c'est la crise de réadaptation qui commence. La terre qu'on n'a pas ou peu travaillée est rébarbative. D'autre part, ces agriculteurs qui recommencent ne peuvent pas être considérés comme des colons, jouir de l'aide de l'État comme tels, tandis qu'ils en auraient besoin presque autant que dans les vraies colonies. M. Blanchard a calculé qu'entre les deux derniers recensements, la région a perdu 8,000 personnes. Au moindre signe de reprise industrielle, on les voit affluer vers les villes. Gare à la prochaine période de chômage ! Ce ne serait pourtant pas tellement difficile d'adopter une politique économique qui tienne compte des exigences régionales, qui tende vers un semblant d'équilibre dans chaque région.
Le peuplement des Cantons de l'Est a commencé par la Beauce sous le régime français. Le premier dénombrement en 1739 y trouve 262 h. Sainte-Marie, Saint-Joseph et Saint-François étaient fondés avant la Conquête. Peu de temps après, en 1790, on recensait 2,500 habitants, tous d'origine française. Ce furent les ancêtres de la population des Cantons de l'Est.
Comment résumer ici en peu de mots les pages où M. Blanchard décrit la colonisation britannique d'abord, puis « la marée française » ! Il faudrait tout dire, tant ces pages sont remplies d'intérêt, [96] sont passionnantes. Nous connaissons cette histoire et pourtant le sujet est exposé avec une telle vie et sous une forme si nouvelle qu'il nous semble que nous n'en savions rien avant de lire ces pages. Est-ce véritablement une colonisation par des Loyalistes, comme on le répète si souvent ? Les premiers en furent, oui, mais ils ne furent pas les plus nombreux d'entre les Britanniques. La subdivision du pays en cantons fut faite pour eux. Les Loyalistes arrivèrent durant les 15 dernières années du XVIIIe siècle. Les colons américains qui continuèrent d'affluer plus tard ne sont plus des Loyalistes. Ce sont des émigrés du Vermont, du New-Hampshire, du Massachussetts, des « fils de la Nouvelle-Angleterre ». Leur immigration continue jusqu'en 1845. M. Blanchard la qualifie d'excellente, ce fut le « levain de la pâte des Cantons de l'Est ». Il y eut ensuite une colonisation britannique venue d'outre-mer. Le chemin Craig tracé (à peine !) depuis plusieurs années servit aux Irlandais entre 1820 et 1840. Des protestants de l'Ulster vinrent avec eux et des Écossais. Les moins nombreux d'entre les Britanniques furent les Anglais eux-mêmes.
Ce mouvement, qui s'arrêta au milieu du XIXe siècle, n'a jamais été très vigoureux. Causes : le peu de propagande sauf en Nouvelle-Angleterre et le fait que les arrivants ou Britanniques s'orientaient naturellement vers le Haut-Canada. Cependant le résultat fut qu'au milieu du siècle, sauf dans Dorchester et la Beauce où la majorité fut toujours française, les deux tiers des Cantons de l'Est proprement dits sont britanniques : 65,127 sur 95,000.
La marée française avait commencé tôt à se faire sentir. Dès le début du XIXe siècle, les cadres des vieilles paroisses de la plaine laurentienne étaient remplis. L'invasion commença par les comtés de Dorchester et de Beauce, en remontant les rivières Etchemin et Chaudière. Au milieu du siècle, les Français occupent le sud-ouest du bassin de la Chaudière jusqu'aux rives du lac Aylmer. D'autres quittent simultanément, de 1830 à 1850, les comtés de Lotbinière et de Nicolet, traversent sans chemins le désert des « savanes » et s'installent sur les bonnes terres du Piedmont. Ce furent les colons des « Bois Francs », qui ne tardèrent pas à envahir le plateau intérieur. Le comté de Wolfe fut en grande partie toujours français. [97] Les éléments britanniques, installés dans le nord de ce comté et dans celui de Mégantic, se trouvèrent encerclés.
Le sud du Piedmont fut envahi lui aussi par une lente expansion des habitants de la plaine de Montréal. Drummondville a une majorité française en 1840. On aborde Shefford en 1848 et les Canadiens forment le quart de la population de Missisquoi en 1851. Les Français s'insinuent isolément à travers les Britanniques du sud-est en 1851. Ils étaient déjà 500 à Sherbrooke et 1,000 autour.
À partir de cette date, la construction des voies ferrées et les premières industries donnent un nouvel élan au peuplement par les Canadiens français. Le travail du bois les attirent un peu partout autour du lac Mégantic principalement ; celui de l'amiante, autour de Thetford. Lorsqu'en 1854, on mit en vente les parties jusque-là réservées des cantons, ce furent les Canadiens qui les achetèrent. Déjà les Irlandais et les Écossais quittaient le pays, émigrant vers les États-Unis ou l'Ontario. « Le vent a donc tourné. » Au recensement de 1861 les Canadiens sont 51 p.c. de l'ensemble, 43 p.c. des Cantons proprement dits, où ils n'étaient que le tiers dix ans plus tôt. En 1871 (M. Blanchard est le premier à mettre cet important phénomène en lumière), les Français ont la majorité dans les Cantons de colonisation anglaise : 71,590 contre 67,191, 106,400 contre 70,750 dans l'ensemble. Il y aura bientôt 70 ans que les nôtres sont en majorité.
La proportion s'accroît depuis le début du XXe siècle. Dans les centres industriels principalement, car les Canadiens forment la main-d'œuvre. À Sherbrooke, par exemple, leur nombre passe de 7,500 à 22,000 entre 1901 et 1931. Ils se répandent aussi dans les régions rurales les plus éloignées de la plaine. Brome est le seul comté ayant au dernier recensement (1931) une majorité britannique (53 p.c), encore est-elle très faible (45 p.c. de Français) . Il n'est pas sûr qu'il y ait un seul comté où les Britanniques soient en majorité de nos jours. Nous le saurons après le recensement de 1941.
« Victoire pacifique, une grande victoire », car il y a de nos jours 300,000 Canadiens dans la région contre moins de 50,000 Britanniques. Notons que les relations entre eux sont excellentes parce que les nôtres, devenus les plus forts n'ont pas rendu les coups [98] qu'avaient reçus leurs ancêtres. M. Blanchard a un mot plein d'humour. « Les Français ont raison, il vaut mieux faire aux Anglais d'honorables funérailles. »
Quelles en sont les causes ? Les Français doivent leurs succès à leurs qualités propres : l'endurance contre les adversités (solitude, faim, froid), et leur ardeur au travail de défrichement et au dur travail des chantiers. Mais ils le doivent peut-être davantage à leur débordante natalité. Le taux a souvent dépassé 40, il se maintient encore à 33 pour mille.
Deuxième facteur : la défaillance anglaise. La natalité s'est abaissée à moins de 10 pour mille en 1934-35. Elle est au-dessous du taux de mortalité. La raison en est que la majorité est devenue une population de vieillards. Ce sont pour la plupart des rentiers qui, ayant vendu leurs biens à des Canadiens-Français, vivent en retraités dans les villages. Ces derniers ont un aspect anglais et sont entourés de fermes canadiennes-françaises. M. Blanchard ne s'est guère plu dans ces villages. Il dit qu'ils ont « l'avant-goût d'une nécropole ». Par conséquent, la défaillance des Britanniques s'ajoute à l'allant des nôtres. Robert Sallar se trompe quand il explique le triomphe des Canadiens par l'influence de l'Église catholique. M. Blanchard lui répond justement que le succès de l'invasion française « s'apparente au jeu des grandes forces naturelles, et que la faim de terres et la nécessité de trouver un exutoire à une population en accroissement rapide ont été plus efficaces que les exhortations [21] » des prêtres catholiques.
Quelle devrait être la population française des Cantons de l'Est ? Ici l'agriculture se pratique avec plus de succès que dans les régions précédentes, l'industrie existe véritablement, y est même très active. Pourtant, la densité de la population actuelle est inférieure à 40 au mille carré pour l'ensemble. Elle tombe à 28 pour les densités rurales. M. Blanchard affirme qu'on pourrait loger un demi-million de Canadiens français dans les Cantons de l'Est. On ne les y trouve pas pour deux causes : état de l'agriculture et principalement l'émigration.
Nous avons fait allusion à l'émigration britannique. Disons immédiatement qu'« il est parti plus de Français que d'Anglais ».[99] Ce sont peut-être 100,000 des nôtres qui ont quitté la région vers les États-Unis et après 1929 vers les villes canadiennes, même vers les lieux de colonisation (Abitibi et Témiscamingue).
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Nous connaissons le milieu physique et le peuplement des Cantons de l'Est, examinons brièvement la mise en valeur de la région. L'agriculture d'abord. Ses conditions sont loin d'être défavorables : des sols variés, fertiles en général, un climat humide, qui s'adoucit vers le sud, une végétation naturelle abondante. La première forme d'exploitation rurale fut celle de la forêt. Passons sous silence la fabrication de la potasse qui n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique, pour signaler celle du sucre d'érable. Nous savons que c'est une industrie rurale, intermédiaire entre l'industrie forestière et l'agriculture. Elle se pratique uniquement dans le Canada oriental et dans quelques États de la Nouvelle-Angleterre. Elle couvre le domaine de la répartition géographique de l'Acer saccharifera, mais là seulement où se réalisent certaines conditions climatiques. Il faut de grands froids l'hiver pour permettre à la glucose de l'arbre de se développer ; de la neige en abondance, qui donne en fondant une épaisse lame d'eau dans la forêt (l'abondance de la sève dépend du volume d'eau au pied de l'arbre) ; une forte amplitude diurne de température. Ces conditions, souvent capricieuses, ne se réalisent pas toujours ; alors la récolte est manquée. Cependant ce sont les Cantons de l'Est qui s'y prêtent le mieux. On entaille plus de deux millions d'érables dans la Beauce, un million et demi dans Mégantic, un million dans Shefford et un peu moins dans Frontenac, Dorchester et Arthabaska. Il n'y a pas un seul comté des Cantons qui n'ait pas ses érablières. La vente du sucre et du sirop rapporte un million de dollars à la région, bon an, mal an. On pourrait sans doute faire beaucoup mieux si les cultivateurs savaient mieux organiser leur production et amélioraient surtout leurs méthodes de vente. Il y a des progrès. Constatons qu'une coopérative (La Société des Producteurs de Sucre d'érable de Québec) donne désormais l'exemple. Elle possède son usine et ses entrepôts au cœur de la région, à Plessisville, où elle classifie sucre et sirop, en soigne l'emballage et s'efforce de trouver les meilleurs débouchés, soit au Canada ou à l'étranger.
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L'exploitation forestière proprement dite reste encore assez importante. Les produits principaux sont le bois de chauffage, le bois d'œuvre et le bois à pâte. On compte qu'il reste environ 40 p.c. de la superficie en forêts qui appartiennent à des propriétaires ou à l'État. C'est la région d'où vient le plus de bois durs, servant à la menuiserie du meuble et à d'autres usages. Les revenus des cultivateurs qui vendent du bois à pâte ne sont pas négligeables. En moyenne, on tire jusqu'à deux millions de dollars par année de la forêt.
Des diverses formes de l'exploitation agricole, c'est l'élevage qui domine dans les Cantons [22]. Un auteur parle d'une fromagerie qui fut établie dès 1865 dans Missisquoi [23]. Depuis cette date le nombre de vaches laitières se multiplie. Dans un cheptel bovin d'environ 500,000 têtes, on compte 240,000 vaches. M. Blanchard a calculé le nombre de ces dernières par 100 habitants ruraux : 218 dans Shefford, 211 dans Brome, 181 dans Missisquoi, 171 dans Stanstead, 161 dans Richmond, 150 dans Compton, 141 dans Bagot, 118 dans Drummond, 132 dans Wolfe, 102 dans Mégantic, 84 en Beauce, 79 dans Frontenac et 66 dans Dorchester. Ce sont les centres d'ancienne colonisation britannique qui en possèdent le plus grand nombre. Le marché du lait nature est celui qui rapporte le plus ; mais il est très restreint : autour de Sherbrooke et de Thetford, le marché de Montréal qui ne dépasse guère (en hiver surtout) les localités du piedmont, surtout entre Danville et Richmond. On fabrique surtout du beurre avec le lait de la région. C'est le beurre de ferme d'abord, celui que fabrique le cultivateur pour sa famille et pour la vente soit dans sa localité soit aux entrepôts ; puis le beurre de beurrerie, qui constitue le volume le plus considérable de la production. On compte aujourd'hui 250 établissements de ce genre dans la région, dont la production oscille entre 25 et 26 millions de livres, soit le tiers du total de la Province. Notons que la région produit en outre des animaux de boucherie et que ces bêtes sont mieux sélectionnées ici qu'ailleurs. Dans les concours provinciaux des jeunes éleveurs, il est bien rare que les premiers prix n'aillent pas à des habitants [101] des Cantons de l'Est. L'élevage des porcs se greffe naturellement sur l'élevage laitier à cause du petit-lait servant à leur nourriture. « Shefford est le premier comté de la Province pour la vente des porcs sur pied » écrit M. Blanchard [24]. Le mouton est plus répandu dans les comtés où faiblit l'élevage laitier. La Beauce arrive au premier rang avec un troupeau de 50 à 60 mille têtes. On trouve une usine de tissage de la laine à Saint-Georges.
On cultive de moins en moins de céréales dans les Cantons de l'Est. Les emblavures, par exemple, ont diminué de 24,000 acres en 1891 à 800 aujourd'hui. Seule l'avoine a légèrement augmenté ; mais sa récolte ne suffit pas encore à nourrir le bétail. M. Blanchard a calculé que 100 habitants ruraux ne mettent en céréales que 160 acres de terre contre 257 pour l'ensemble de la Province. C'est la production du foin et autres plantes fourragères qui occupe les trois-quarts de sols cultivés. Ce serait ici le lieu de parler des procédés agricoles et des rendements. Nous renvoyons le lecteur au travail de M. Blanchard qui étudie ces facteurs en fonction des habitants de la région. Il excelle à brosser un tableau humain comme celui-ci, intitulé la tendance à l'égalisation (p. 89-91).
- « De l'enquête très impartiale et très pressante à laquelle je me suis livré partout [25], auprès d'hommes des deux races, il me paraît résulter que les Britanniques n'ont guère bougé, tandis que les Français se sont rapprochés d'eux, tout en gardant les traits propres à leur tempérament.
- « Les Anglais sont restés d'excellents éleveurs, par goût et aussi par nécessité parce que la main-d'œuvre leur fait défaut. Ils sont dans l'ensemble plus avancés intellectuellement. (...) On peut dire qu'ils ont l'esprit pratique. (...) Il faut dire aussi qu'ils ont moins de charges que les Français : peu d'enfants à élever ; (...) pas de dettes, parce qu'établis depuis des générations sur leurs terres, ils n'ont pas eu à les acquérir à grands frais en supportant le poids de lourdes créances hypothécaires. Ils ont ainsi plus d'argent à consacrer aux engrais, aux améliorations agricoles. (...) Au passif, il faut bien constater qu'ils sont moins endurants que les Français à l'ouvrage. (...) Ils aiment à prendre [102] des domestiques. (...) On dit que leur goût de l'élevage leur fait négliger la culture proprement dite. (...)
- « Les Français ont de gros travers. Ils paraissent avoir l'esprit moins pratique ; donc d'une part plus routiniers, moins ouverts aux améliorations, aux conseils des agronomes. D'autre part, plus aventureux, se lançant dans des entreprises risquées comme l'élevage des renards. Leur prédilection pour les travaux du bois leur fait tort (...). Ils portent dans cette rivalité des races, un lourd handicap. Ils ont aussi à élever de grandes familles, nourrir six, dix, douze enfants. Ces familles, il faudra essayer de les placer plus tard sur la terre. Pour installer ces nouveaux venus, nécessité est d'acheter des propriétés que les Anglais leur cèdent au prix fort. Aussi le fardeau des dettes hypothécaires écrase les Canadiens français. Les Anglais n'ont pas de dettes, parce qu'ils n'ont pas d'enfants à caser ; les Français ne peuvent pas n'en pas contracter, et leur tempérament aventureux les y pousse encore. (...).
- « En revanche, ils ont de vraies qualités. De l'avis unanime, ils sont durs à l'ouvrage ; ce sont des laborieux auxquels les gros travaux ne font pas peur. La race est plus économe, encore que cette vertu est en baisse ; pourtant jamais les Anglaises n'accepteraient de se remettre au tissage des « étoffes » de laine comme le font les Canadiennes ; ce sont les Français seuls qui ont ressuscité depuis la crise une petite culture de lin dans le nord et l'est des Cantons pour permettre à leurs femmes de fabriquer à domicile des toiles solides. Enfin, au contact des Anglais, les Français, plus souples, ont su améliorer leurs procédés agricoles ; ils les ont devancés parfois. (...). Ainsi, les Anglais apportant et gardant leurs qualités, les Français s'assimilant celles de leurs concurrents, on peut espérer trouver dans les Cantons de l'Est une agriculture moins extensive que celle de beaucoup de parties de la Province. »
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Les Cantons de l'Est sont animés en outre par une activité industrielle qui permet de comparer cette région, toute proportion gardée, à la Nouvelle-Angleterre. Quels sont les facteurs de cette activité ? On y trouve certaines matières premières, telles que le [103] bois et les produits miniers, de la force motrice provenant des nombreuses chutes d'eau, et une main-d'œuvre sur place, issue du peuplement rural. Mais c'est l'avènement des voies ferrées qui a provoqué le développement industriel. Le Grand Trunk atteignit Sherbrooke en 1852. La ligne de Lévis à Richmond fut construite deux ans plus tard. Le Canadien-Pacifique traversa le sud de la région en 1888, un peu après la construction des premières lignes du Québec-Central, reliant Sherbrooke à la Beauce.
« Comme par ondes successives, trois types d'activité industrielle se sont affirmés à travers la région et l'ont marquée de leur empreinte : le travail du bois, l'exploitation des ressources minérales, la manufacture des fibres textiles [26]. » Les plus grosses scieries se déplacent vers le sud. Elles furent d'abord dans Beauce et Dorchester, et se trouvent maintenant dans Compton et Frontenac. Les petits ateliers d'articles en bois sont largement répandus, mais n'emploient chacun que très peu de menuisiers. Cependant quelques fabriques de meubles et de placage, utilisant les bois durs, se répartissent dans le domaine des « Bois Francs » : Victoriaville et Arthabaska, Waterloo, Lac Mégantic. Il y a de 700 à 800 ouvriers du meuble à Victoriaville.
C'est toutefois la fabrication du papier et de la pâte de bois qui domine l'industrie de la transformation du bois. Les entreprises n'ont pas l'ampleur de celles du Saint-Maurice ou du Saguenay. Les principales sont situées le long de la vallée du Saint-François : East-Angus, Bromptonville, Windsor Mills. Ajoutons-y quelques usines de façonnage de papier : sacs à East-Angus, divers papiers à Drummondville et autres produits à Sherbrooke. Le travail du bois retient plus de 5,000 ouvriers d'usines.
Nous passons sous silence les produits miniers, qui ne sont plus que des produits de carrières et l'amiante, parce qu'on donnera plus tard une leçon sur les mines. Ce travail occupe environ 4,000 ouvriers.
Le travail des textiles s'explique par la présence des ressources hydroélectriques et d'une abondante main-d'œuvre. La laine [104] occupe environ 1,300 personnes. C'est une industrie traditionnelle à Sherbrooke. L'usine Paton (1867) occupe encore de 500 à 600 personnes. Mais on trouve 3 fois plus d'ouvriers dans le tissage du coton, dont toute la matière première peu pondéreuse est importée. La Dominion Textile s'installa à Magog dès 1882. Elle emploie à elle seule de 1,600 à 1,700 personnes, la moitié de l'effectif total. La même société possède deux autres usines, l'une à Sherbrooke, l'autre à Drummondville (coton pour pneus).
C'est la soie qui est la plus récente des industries textiles et celle aussi qui occupe le plus grand nombre d'hommes : 8,000. Cet effectif se partage entre 8 ou 9 centres, les deux principaux étant Drummondville et Sherbrooke. La confection enfin donne du travail à 1,300 ou 1,400 personnes. Au total les textiles ont une main-d'œuvre de l'ordre de 14,000 dans les Cantons de l'Est. Le travail des fibres est « la vraie caractéristique industrielle de la région ».
Ajoutons à cela, pour compléter le tableau, les autres industries : le travail des métaux, occupant environ 3,000 hommes (Sherbrooke) ; le travail du cuir, environ 1,350 (Sainte-Marie de Beauce) ; le traitement du caoutchouc, 1,400 ouvriers (Granby) et divers autres. Somme toute, c'est une armée ouvrière de l'ordre de 30,000, chiffre presque aussi considérable que celui des cultivateurs.
Il n'est pas étonnant de constater que les villes se sont rapidement développées mais aucune n'est une grande ville. « Le pays, écrit M. Blanchard, est trop fragmenté et trop restreint pour avoir pu engendrer une capitale [27]. » Sherbrooke (33,400 h.) possède une variété d'industries, gage de sécurité : textiles et confection, métaux, bois, papier et caoutchouc. Drummondville (10,000 h.) a pris son essor depuis qu'elle est pourvue d'électricité (1915). La rayonne est sa principale industrie. Thetford avec ses 12,000 h., est le principal centre d'extraction de l'amiante. Granby (13,300 h.) est aussi une ville transformée par les textiles. Magog (8,340 h.) doit ses progrès à sa grande filature de coton. Coaticook (4,440 h.) travaille le bois, un peu les métaux et surtout les textiles. Restent les petites agglomérations urbaines le long de la Saint-François : [105] East-Angus (3,300 h.), pâte de bois et papier ; Windsor-Mills (3,200 h.), papeterie ; Richmond (3,150 h.), soierie, chaussure, bonneterie.
L'exploitation touristique des Cantons de l'Est est une ressource, qui, sans être comparable à celle des Laurentides, n'est pas négligeable. Le tourisme d'été se pratique à trois endroits principaux : North Hatley, Ayers Clifr, aux deux bouts du lac Massawipi, et Knowlton, sur le lac Brome. On commence depuis quelques années à pratiquer le ski sur les pentes qui s'échelonnent depuis le rebord de la plaine de Montréal jusqu'au lac Mégantic.
Malgré ses ressources variées, mieux équilibrées peut-être qu'ailleurs dans la Province, la région n'arrive pas à avoir une densité de population rurale supérieure à 25 au mille carré, là où cinq ou dix fois plus d'habitants de la vieille Europe tiendraient à l'aise. Si l'économie était vraiment prospère, on ne constaterait pas une émigration, dont M. Blanchard estime le chiffre à 150,000. Mais pour terminer par un mot d'optimisme, relisons la très belle conclusion de notre maître en géographie :
- « Quelle belle réussite ! Une réussite physique, sensible au cœur du géographe, dans cet ample développement de la plate-forme appalachienne nivelant les plis primaires si redressés et si variés, et conservant comme un témoignage des reliefs du passé, le cortège de ces gracieuses collines résiduelles qui réussissent parfois à jouer la montagne ; en creux, les amples vallées transversales gonflées de riches allusions, les beaux lacs associés aux collines comme pour en rehausser la parure. Réussite agraire, en dépit de toutes les réserves, puisque nulle part dans la Province on n'a eu plus de succès avec les produits laitiers, l'élevage des bovins, et que l'usage des engrais, des assollements, y sont moins rétrogrades qu'ailleurs. Réussite industrielle, complète celle-là et digne de la Nouvelle-Angleterre, tirant heureusement parti des forces hydrauliques, développant la transformation des textiles, l'extraction minière, le travail du bois, la construction mécanique même, mieux qu'on ne l'a fait nulle part ailleurs dans la Province, Montréal excepté. Réussite humaine : rien avant 1780, pas un être dans la région que la poignée de Français en flèche le long de la Chaudière, et aujourd'hui 350,000 habitants, qui sont parmi les plus actifs du Québec. Réussite [106] canadienne-française enfin : la race pauvre et conquise se substituant, malgré tous les desseins de l'écarter, à la race conquérante et riche ; sans la brusquer, prenant peu à peu sa place, grâce à sa vertu prolifique, à son acceptation paisible des travaux rudes et des tâches sans gloire. Il devient impossible de gronder lorsqu'on rappelle tous ces résultats : pour tous ceux qui aiment le Canada français, les Cantons de l'Est resteront toujours l'exemple qu'on cite, le sujet sur lequel on repose volontiers sa pensée [28]. »
[1] Raoul Blanchard, « Les formes du relief de la province de Québec (Canada français) », Annales de Géographie, tome XLVI, p. 408.
[2] Henri Baulig, Amérique septentrionale, première partie, Géographie Universelle, tome XIII, Paris, 1935, p. 11.
[3] John M. Clark, Sketch of the Geology of Gaspe, New-York, State Museum. Mémoire 9, pp. 11-366. 48 planches, nombreuses cartes et illustrations en couleurs. Albany, 1908. Gros travail détaillé sur le Forillon, Gaspé et Percé.
T. H. Clark, « Structure and stratigraphy of Southern Québec », Bulletin of the Geological Society of America, vol. 45, pp. 1-20, 3 fig., 28 février 1934, New York. Courte étude de géomorphologie sur les feuilles de Lacolle, Sutton et Memphrémagog.
L. W. Bailey et W. Mclnnes, Certaines parties de la province de Québec, etc.. Rapport annuel de la Commission Géologique du Canada, vol. V, 1ère partie, rapport M. 1890-91, pp. 5-16, Ottawa, 1893. Géologie sommaire des comtés de Témiscouata et de Rimouski.
R. Chalmers, Géologie des dépôts superficiels de la partie orientale de la province de Québec. Compte rendu sommaire de la Commission Géologique du Canada, 1904, pp. 257-270, Ottawa, 1905. Terrasses et action glaciaire.
F. J. Alcock, La région cartographiée du Mont Albert (Québec). Mémoire 144, Commission Géologique, Canada, 79 p., 6 planches, 5 fig., 1 carte en couleurs à 1 mille au pouce, Ottawa, 1927. Le Mont Albert se trouve au centre de la Gaspésie.
John A. Dresser, Rapport préliminaire sur la serpentine et les roches connexes de la partie méridionale de Québec. Mémoire 22, Commission Géologique, Canada, 122 pages, 11 planches, 7 fig., 3 cartes en pochettes, Ottawa, 1914. La zone de serpentine est celle des roches ignées venues à la surface par intrusion à travers les sédiments primaires.
B. R. MacKay, La région de Beauceville (Québec). Mémoire 127, Commission Géologique, Canada, 117 p., 13 planches, 7 figures, 3, Ottawa, 1927. Le Mont-Albert cartes en pochette, Ottawa, 1923. Étude régionale d'un vif intérêt.
Carl Tolman, Région du Lac Etchemin (Québec). Mémoire 199, Commission Géologique, Canada, 22 p., 1 fig., 1 carte en pochette, Ottawa, 1936.
A. P. Coleman, Physiography and Glacial Geology of Gaspe Peninsula, Bulletin no 34, Commission géologique, Canada, Ottawa, 1932.
Rapport annuel du Service des Mines de Québec, 1929, 1930, 1931, 193a, 1933, 1934, 1935. Travaux de I. W. Jones en Gaspésie, Bertrand T. Denis, F. R. Burbon, H. W. McGerrigle, E. Aubert de la Rue et l'abbé J. W. Laverdière dans les Cantons de l'Est et la rive sud de l'Estuaire.
[4] R. Blanchard, « Les formes du relief, etc. », op. cit., p. 408.
[5] R. Blanchard, op. cit., p. 409.
[6] Jean Brunhes, La géographie humaine, Tome II (4e édition), Paris, 1934, p. 832.
[7] Jean Brunhes, op. cit., p. 747.
[9] Raoul Blanchard, Études canadiennes (deuxième série), p. 8.
[10] Raoul Blanchard, L'Est du Canada français, tome I, pp. 107-228.
[11] Raoul Blanchard, op. cit., tome I, pp. 11-106
[12] Raoul Blanchard, op. cit., tome I, p. 16.
[13] Raoul Blanchard, op. cit., tome I, p. 23.
[14] Raoul Blanchard, op. cit., tome I, p. 30.
[15] Raoul Blanchard, Les Cantons de l'Est, op. cit., p. 61.
[16] Ceux qui veulent se documenter sur le régime des eaux courantes, débits, profils de rivières, etc.. doivent consulter la collection des rapports annuels de la Commission des Eaux Courantes, publiés par la Législature provinciale, Québec, depuis 1912.
[17] Raoul Blanchard, Les Cantons de l'Est, op. cit., p. 42 et 43.
[18] Voir pour la Gaspésie la collection des cartes aériennes à un mille au pouce, du Ministère des Terres et Forêts (Québec).
[19] Raoul Blanchard, L'Est du Canada français, op. cit., tome I, p. 105.
[20] Raoul Blanchard, L'Est du Canada français, op. cit., tome I, p. 212.
[21] Raoul Blanchard, Les Cantons de l'Est, op. cit., p. 194.
[22] René Monette, Le problème des pâturages dans la province de Québec, Thèse économique H.E.C., 1938.
[23] C. Thomas, Contributions to the History of the Eastern Townships, Montréal, 1866. Ouvrage cité par R. Blanchard, op. cit., p. 75.
[24] Raoul Blanchard, op. cit., p. 80.
[25] L'auteur de ces pages, qui accompagna M. Blanchard au début de sa campagne, peut confirmer ses dires.
[26] Raoul Blanchard, op. cit., p. 121.
[27] Raoul Blanchard, op. cit., p. 142.
[28] Raoul Blanchard, op. cit., pp. 203, 204.
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