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Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Marion, Choix de Chansons Galantes d'Autrefois. Avec une Introduction et des Notes. Ouvrage orné de deux planches gravées. Paris: H. Daragon, Libraire-Éditeur, 1911, 240 pp. Collection: Bibliothèque du Vieux Paris. Une édition numérique réalisée par Gustave Swaelens, bénévole, journaliste à la retraite en Suisse. Introduction Au cours d'un séjour dans la Haute-Provence, je traversais, peu après midi, un petit village des bords de la Durance quand je fus arrêté par une scène vraiment délicieuse. Sur le pas de sa porte, à l'ombre d'une belle treille, une jeune femme faisait sauter un bébé sur ses genoux, sans doute pour l'empêcher d'aller courir au soleil qui était, en effet, brûlant ce jour-là. Tout en jouant avec l'enfant, elle chantait une manière de complainte dont le refrain guttural semblait, de loin, quelque cri sauvage répété par trois fois «Tabou, tabou, tabou» ou «tamar, tamar, tamar n, je ne saisissais pas très bien. -- Ce qu'il y a de certain c'est qu'à chacun de ces cris, c'était chez le bébé une explosion de joie extraordinaire,des éclats de rire à n'en plus finir. Je m'approchai pour mieux entendre ce qui provoquait une telle gaîté. C'était une ronde enfantine, ingénue et morale à la fois, comme beaucoup de vieilles chansons de ce genre. Était-ce à cause de la fraîcheur du tableau que j'avais là sous les yeux? Toujours est-il que je trouvai la chanson charmante et que j'en voulus connaître l'auteur. Ma jolie chanteuse l'ignorait. Tout ce qu'elle savait c'est que, cette ronde, elle l'avait apprise autrefois d'une vieille institutrice, quand elle allait à l'école du chef-lieu. Et comme cette chanson l'avait beaucoup amusée jadis, elle en amusait maintenant son bambin qui ne se fatiguait point de l'entendre. Elle consentit aimablement à me la redire et j'écrivis sous sa dictée, textuellement, comme elle les chantait, - les couplets que voici:
Il est facile de se rendre compte, à la lecture de cette chanson, que la jeune femme qui me la dicta n'était point musicienne. Le même vers y compte indistinctement sept, huit, neuf ou dix syllables dans les différents couplets. Aussi, pour chanter ceux-ci, en transformait-elle nécessairement la musique à chaque coup, remplaçant ici une noire par deux croches, là deux croches par un triolet, afin de souligner d'une note chaque syllabe. Cela ne lui était d'ailleurs pas toujours très commode: elle était obligée, pour y arriver, d'éviter parfois des élisions indispensables et prononçait, par exemple, «être aussi belle» ou e la figure aussi noire», comme si le mot e aussi» se fût écrit avec un h aspiré. Ce qu'elle chantait là, ce n'était évidemment pas le texte exact de la chanson. Pourrais-je jamais en retrouver l'original?... Passant le lendemain par le chef-lieu, j'allai sonner à l'école indiquée. La vieille maîtresse en était morte depuis longtemps; ses livres et sa musique avaient été vendus; sa famille s'était dispersée. Aucune de celles de ses anciennes élèves que je pus retrouver et que j'interrogeai n'avait gardé le moindre souvenir de la chanson enfantine en question. D'autre part, les vieux du pays l'ignoraient de même: ce n'était donc pas une chanson locale. D'où venait-elle? Rentré à Paris, je me mis à fouiller les recueils de chansons, vieilles et nouvelles, qui me tombèrent sous la main. Si la ronde que je cherchais était d'un chansonnier plus ou moins connu, je finirais bien par la dénicher dans une anthologie quelconque. Et si c'était une chanson populaire, il me paraissait bien improbable qu'elle ne soit pas déjà venue aux oreilles de quelque «folkloriste» qui n'aurait point manqué de la recueillir. Cette dernière hypothèse était la vraie. C'est en effet M. Julien Tiersot, l'éminent historiographe de nos chansons populaires, qui a noté - et sans doute un peu arrangé - celle-ci, dont il a publié [1] cette très élégante version:
* Si je publie ici ces deux textes, si peu différents en somme, c'est pour montrer de quelle façon les chansons, - comme aussi les autres œuvres plus ou moins littéraires, (es récits, les relations d'événements, les légendes, les «traditions», - se transforment rapidement du tout au tout en passant de bouche en bouche. La Servante coquette n'est point une chanson populaire de Provence; personne ne la connaissait dans la région où j'eus l'occasion de la noter: ce n'était donc pas un chant entendu plus ou moins souvent par elle dans son entourage et mal retenu que ma chanteuse redisait ainsi; c'était, de son propre aveu, une chanson que sa maîtresse lui avait serinée à l'école; pas de doute possible, c'est bien le texte publié naguère par M. Julien Tiersot que cette jeune femme avait appris. Et, dès la première étape, voilà déjà, dans ce texte, des changements radicaux: par exemple, un seul «galant» remplaçant les «trois garçons» qui sont de tradition dans toutes les chansons populaires d'antan. Ici, évidemment, simple défaillance de mémoire; ailleurs, question de goûts, peut-être. C'est ainsi que ces goûts particuliers, les caractères, - et aussi les habitudes locales, le terroir, simplement l'accent, arrivent à modifier petit à petit les refrains au point de les rendre méconnaissables. On a souvent signalé les innombrables façons de chanter la célèbre complainte de Malbrough, qui n'est cependant pas encore bien vieille: mais il ne s'agit ici que «d'airs» différents attribués aux mêmes couplets, comme s'ils avaient été mis en musique par divers compositeurs. Les mêmes variations, des altérations beaucoup plus profondes se retrouvent dans la façon de colporter les textes eux-mêmes. On a noté des versions tout à fait dissemblables d'une même complainte. En voulez-vous des exemples? C'est ainsi que, dans les Brunettes ou petits airs tendres [2] de 1703, on trouve cette chanson:
Voici maintenant une toute autre version de la même chanson, qui a été recueillie sans doute naguère dans quelque recueil de folklore et que le chansonnier Aristide Bruant a reproduite dans le petit journal [3] où il a publié ses belles chansons avant de les réunir en volumes:
Ici, le fond de l'histoire est le même dans les deux versions: c'est la forme seule qui varie. Dans d'autres cas, c'est au contraire la forme qui reste sensiblement la même, tandis que le fond change singulièrement, comme dans les innombrables dialogues de Marion et de son jaloux. Vous n'ignorez pas qu'on a recueilli des versions de cette dispute fameuse dans toutes les provinces de France et même ailleurs. Voici celle du pays messin que vient de publier M. Mary-Gill, dans le volume de la collection de la «Renaissance du livre» qui est consacré à la Chanson française:
Lisez maintenant cette autre version si différente de la même querelle, qui fut recueillie dans l'ouest de la France par le regretté Charles de Sivry et publiée dans la Revue des traditions populaires de M. Paul Sébillot:
Il s'agit, dans les deux cas, d'une scène de jalousie: mais les reproches ne sont plus les mêmes, non plus que les explications, là assez vagues, sans cohésion, ici beaucoup plus nets, plus précis, plus serrés, plus logiques, émanant d'un observateur avisé et d'une rouée commère. Les deux versions, si variées de ton, si rapprochées de forme, synthétisent deux états d'âme fort différents, deux races bien distinctes. Et c'est cependant la même chanson!... On pourrait multiplier les exemples. J'en ai, pour ma part, noté pas mal d'assez caractéristiques au cours des recherches que j'ai faites à la poursuite de cette servante coquette qui se barbouillait si ingénument de cirage. Car il m'est alors arrivé, je l'avoue en toute franchise, - ce qui a dû arriver, j'imagine, à la plupart de ceux qui ont mis avant moi le nez dans les recueils de chansons. J'y ai très vite pris goût et, au fur et à mesure que j'en rencontrais une qui me plaisait, je la notais; de sorte que je possède maintenant une respectable collection de «cahiers de chansons» tout comme un matelot sentimental. C'est un de ces «cahiers» que je publie ici à l'instigation de l'ami Henri Daragon. On trouvera peut-être que le besoin ne s'en faisait pas sentir très impérieusement. Il existe en effet des centaines et des centaines de recueils de chansons de tous genres, historiques, guerrières, politiques, libertines, patriotiques, satiriques, chansons de circonstances et chansons de métiers, chansons à boire, à manger, à fumer, que sais-je? Dans ces derniers temps, surtout, l'on a multiplié les anthologies de ce genre, en particulier depuis que nos patients érudits ont recueilli et noté, avec un rare talent et une science impeccable, les vieilles chansons populaires de nos provinces ou de nos corporations. Mais, dans la plupart de ces publications du folklore, l'on s'est attaché, en même temps que les poésies naïves d'autrefois, à nous rendre les mélodies primitives, source intarissable où nos musiciens d'aujourd'hui s'en vont volontiers puiser leurs inspirations. Il nous a paru qu'à côté de ces recueils plus ou moins musicaux, il pouvait y avoir une petite place pour une anthologie plus spécialement littéraire. Car il est des chansons d'une forme, d'une «tenue» admirables, au point de vue du style. On a prétendu quelquefois qu'on ne pouvait décemment pas admettre celles-ci au rang des poésies véritables, parce qu'elles sont avant tout destinées à être chantées et non à être lues. En ce cas, faut-il donc prétendre que les «chansons rimées par Musset, par Hugo, par Banville, pour ne citer que ceux-là, ne sont point des poésies, uniquement parce que des compositeurs les ont mises en musique? Ce n'est point sérieux et qui donc oserait le soutenir? La vérité est qu'en publiant, depuis une trentaine d'années, tant de chansons populaires anonymes, dues à l'on ne sait qui, nées on ne sait où, transmises on ne sait comment, on a un peu trop oublié que des poètes - et les plus grands entre les plus grands - n'ont point dédaigné de rimer des chansons d'un incontestable mérite, qui ne le cèdent en rien à leurs autres poésies. Beaucoup de ces chansons, certes, sont déjà bien oubliées, tellement même qu'elles sont aujourd'hui pour ainsi dire inconnues. Cependant, l'on ne saurait songer à les sauver toutes de l'oubli: elles sont trop, comme disait l'autre! Il faut donc se résoudre à un choix; et un choix est bien difficile parmi tant d'œuvres de valeur. Il faut se décider, si l'on ne veut pas être débordé, à un classement par genres, par espèces, et adopter tel ou tel, ou les chansons historiques, ou les chansons bachiques, politiques, corporatives. Sans doute, la chanson historique ou politique offre l'avantage d'être plus qu'une autre un reflet de la vie tout entière de notre pays, «le visage, a-t-on dit justement, de notre passé a. III ais la chanson «galante» en est l'âme; elle synthétise à merveille, mieux que toute autre, les divers régimes sous lesquels elle s'est donné libre cours: plus exclusivement joyeuse et érotique sous la Renaissance, elle est devenue plus libertine pendant la Régence, plus gaillarde sous Louis XV, plus frivole sous Louis XVI, plus provocante au temps de la Révolution, plus effrontée sous l'Empire, plus insouciante sous la Restauration, plus légère et plus irrespectueuse sous la monarchie constitutionnelle, mais toujours tendre et spirituelle; elle est la vraie chanson française. Je me suis donc borné à publier ici un choix des meilleures chansons galantes d'autrefois, des plus originales, de celles qui reflètent le mieux les évolutions du genre aux différentes époques de notre histoire. Car la chanson galante a existé de tout temps. J'imagine qu'elle n'a pas d'autre origine que celle qui lui a été assignée par le chansonnier Armand Gouffé dans ce joli couplet que Romagnesi [4] a mis élégamment en musique:
Cette légende n'est pas seulement tout ce qu'il y a de plus vraisemblable: elle a encore le mérite d'être pimpante, gracieuse, et, tout bien considéré, d'une morale aussi sûre et plus accessible que l'épître de Luce de Lancival à Clarisse «sur les dangers de la coquetterie». * Il ne faut point en effet se méprendre sur la prétendue immoralité des chansons dites «galantes». Il importe d'ailleurs de bien s'entendre et de reconnaître qu'on peut utilement prêcher la morale avec impudeur. C'était, à tout prendre, ce que faisaient les Spartiates quand ils montraient des ivrognes à leur fils pour dégoûter ceux-ci de l'ivrognerie. On peut, en somme, soutenir très sérieusement que la meilleure façon de mettre les jeunes filles en garde contre les faux-pas, c'est de leur raconter comment leurs grand'mères en firent. Le tout est, en pareil cas, de ne pas dépasser la mesure permise et de ne pas verser dans la trivialité. Pour gaillardes, libertines même, voire érotiques que soient les chansons réunies ici, elles ne sont cependant point licencieuses - ou si peu, à coup sûr pas graveleuses: uniquement préoccupé de leur mérite littéraire, je ne pouvais pas ne pas laisser de côté les insanités pornographiques qui sont encore plus ineptes qu'ordurières. C'est du reste pour un motif de même nature que je me suis borné à ne joindre à ces chansons que des notes purement biographiques sur les poètes qui les ont rimées, sans appréciations d'aucune sorte sur la valeur de l'oeuvre générale de chacun d'eux. Voici pourquoi: sauf Béranger, qui a pu dire sans trop d'exagération [5], et qu'il n'était et ne voulait être qu'un «chansonnier»tous ces faiseurs de chansons ont rimé d'autres poésies, composé d'autres oeuvres; et Désaugiers lui-même à écrit plus de cent cinquante pièces de théâtre. En étudiant ici chacun de ces écrivains ainsi qu'on a coutume de le faire dans les autres anthologies, il eut donc fallu apprécier leurs «manières», signaler leurs qualités, dénoncer au besoin leurs défauts. Mais c'est uniquement comme chansonniers qu'ils figurent dans ce recueil: or, la meilleure façon de louer les poètes étant de les citer, les chansons d'eux qui sont reproduites ici doivent suffisamment plaider en leur faveur sans qu'il soit nécessaire d'insister; ce ne sont pas en effet les beautés de Rolla ou du Barbier de Séville qui ajouteront ou retrancheront le moindre mérite aux jolies chansons qu'ont pu faire Beaumarchais ou Alfred de Musset. D'autre part, il ne faut pas qu'on s'étonne par trop de ne pas trouver ici des chansons archiconnues, peut-on dire, comme Ma Grand'-mère de Béranger, -
- ou comme l'immortel dialogue de Monsieur et Madame Denis, qu'a si spirituellement noté Désaugiers. Ce sont là chansons galantes qui ont été si souvent reproduites que tout le monde les sait par coeur: j'ai donc pensé qu'il valait mieux donner ici à leur place quelques chansons moins connues des mêmes auteurs; aussi bien, le bagage de la plupart de ceux-ci est-il assez riche pour qu'on puisse leur faire de nombreux emprunts. Et, pour terminer, si quelqu'un me faisait observer que toutes ces explications ne constituent pas une «préface», je me bornerai à répondre, comme Désaugiers: «La plaisante chose qu'une préface à la tête d'un recueil de chansons!» * * * [1] Chansons du vieux temps, p. 21. (Hachette, édit.) [2] Le recueil des Brunettes ou petits airs tendres...mêlées de chansons à danser a été publié par Christophe Ba1lard au début du dix-huitième siècle, en 1703, 1704, 1711, etc. [3] Le Mirliton, n° 66, d'octobre-novembre 1890. [4] Antoine-Joseph-Michel Romagnesi, né a Paris en 1781, mort dans la même ville en 1850. Ce musicien d'origine italienne a composé un nombre considérable de romances. Il a longtemps dirigé le journal l'Abeille musicale et publié une méthode de chant estimée, la Psychologie du chant. [5] Béranger lui-même ne s'est, en effet, pas borné à rimer uniquement des chansons. Outre sa Biographie et les préfaces que l'on sait, on a trouvé dans ses papiers des oeuvres théâtrales, une comédie en vers, un opéra-comique, un «à propos» - qui ont été publiées par M. L.-Henry Lecomte. H. Daragon, édit.
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