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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La magie dans les sociétés primitives (1948)
Préface de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Hutton Webster, La magie dans les sociétés primitives. (1948) Une oeuvre publiée originalement en 1948. Traduction en français de Jean Gouillard, docteur en théologie. Parie Éditions Payot, 1952, 468 pages. Collection: Bibliothèque scientifique.

Préface
de l'auteur

La magie et le tabou viennent en tête des croyances et des pratiques sans fondement qui s'imposent à l'histoire de la psychologie humaine. L'attitude positive de la magie s'oppose à l'attitude négative du tabou. Il y a magie, par exemple, lorsque le chef tonga, grâce à sa richesse en mana, guérit l'un de ses sujets malades en le touchant du pied ; mais c'est un tabou qui interdit au chef maori de gratter sa tête sacro-sainte sous peine d'altérer ou de perdre sa sainteté en la communiquant à ses doigts, qui sont moins sacrés. Dans les îles Samoa, le propriétaire qui protège sa plantation au moyen d'un signe de Défense indiquant la présence d'une charge de mana pose un acte de magie ; en revanche, la Défense elle-même est un tabou dont la force réside dans la crainte qu'a le voleur possible d'être foudroyé par la puissance fatale attachée au signe. On voit d'ores et déjà que magie et tabou reposent sur la notion d'une puissance occulte impersonnelle. Il y a moyen d'utiliser l'influence bénéfique de cette puissance à condition, pour l'opérateur, de s'entourer des précautions voulues ; on peut, d'autre part, se soustraire à son influence maléfique en prenant des mesures d'isolement et d'isolation.

John H. King fut le premier à dégager la portée de cette conception dans les deux volumes de son livre, The Supernatural : its Origin, Nature and Evolution (London et New York, 1892). La belle tenue, la rigueur et l'information considérable du travail ne suffirent pas à lui mériter l'attention des contemporains. À vrai dire, l'opinion n'était pas préparée à celle voix nouvelle. Les théories animistes (âme et esprit des morts) formulées par E. B. Tylor, Herbert Spencer et leurs successeurs, ralliaient la majorité des historiens des origines religieuses ; quant aux phénomènes de la magie et du tabou, ils commençaient à peine d'occuper l'attention, grâce à J. G. Frazer, lui-même un adepte de l'hypothèse animiste. Aucun des savants que l'on vient de nommer n'avait conscience du rôle que la force « d'en haut » (supernal) - comme l'appelait King - a joué dans l'élaboration des croyances et des pratiques magiques. L'« efficacité mystique des formules, des malédictions et des bénédictions ; la « chance » des charmes et de la charlatanerie rituelle; la «vertu » immanente au magicien lui-même et à son équipement, tout cela continua d'être regardé non comme des qualités ou des propriétés impersonnelles, mais comme le mode d'activité d'êtres spirituels personnels.

Dans une communication sur la « religion pré-animiste » (Pre-animistic Religion), lue au Congrès de la « British Association for the Advancement of Science » en 1899 et publiée l'année suivante dans Folk-Lore, B. B. Marett, d'Oxford, contesta le monopole des théories animistes en faveur et sans même connaître le livre de King, avança plusieurs de ses arguments majeurs. En 1904, Marett publiait dans Folk-Lore un second article, intitulé From Spell to Prayer (« De la formule magique à la prière »), dans lequel il précisait ses vues. Indépendamment de King et de Marett, deux sociologistes français, H. Hubert et Marcel Mauss, publiaient en 1904 leur importante Esquisse d'une théorie générale de la magie (VIIe volume de l'Année Sociologique) qui reposait tout entière sur la notion de puissance occulte impersonnelle. En Allemagne, K. T. Preuss adopte les vues de Marett et les développe dans une série d'articles (Der Ursprung der Religion und Kunst), parus dans Globus (1904-1905). La brèche est ouverte dans les positions académiques ; d'autres vont s'y engager ; E. S. Hartland en Angleterre, Nalhan Söderblom en Suède, A. O. Lovejoy aux Etats-Unis, etc. De son côté, l'anthropologiste français, Arnold van Gennep, propose de baptiser « dynamisme » la théorie impersonnelle de la magie et du tabou par opposition à la théorie personnaliste des animistes.

King, et après lui Marett, Hubert et Mauss ainsi que d'autres auteurs, adoptèrent le terme de mana, emprunté aux langues mélanésiennes, pour désigner la force occulte, la force « d'en haut » conçue comme impersonnelle. Le terme et sa signification avaient été révélés à la science européenne par B. H. Codrington, longtemps missionnaire en Mélanésie. Toutefois, les propres recherches de Codrington, complétées par celles de ses héritiers, ont démontré que, dans cette partie de l'aire Pacifique, mana revêt beaucoup plus souvent un aspect personnel, qu'il prend sa source dans les mânes et les esprits, qui à leur tour le communiquent aux hommes. On doit en dire autant d'autres régions. Il en résulte que le mana doit être désormais considéré comme une force occulte, tantôt désignant une qualité ou propriété impersonnelle, tantôt rattachée à la personnalité bien définie d'un être spirituel. On voit par là que la distinction entre magie et animisme demeure vague et incertaine dans les cultures inférieures. Elle ne se détache nettement qu'avec la personnalisation et l'anthropomorphisation croissantes d'esprits et de dieux. Ce n'est pas tout : King et ses successeurs conjecturent sans fondement une antériorité logique ou chronologique de l'aspect impersonnel sur l'aspect personnel. En fait, les éléments dont dispose la science ne permettent pas de conclure à une priorité de la magie plutôt que de l'animisme. L'état de nos connaissances autorise simplement à dire que les deux phénomènes sont nés et se sont développés en même temps dans la nuit des origines.

Notre livre embrasse la magie tout entière telle qu'elle apparaît chez les peuples « non civilisés ». Pour en retracer l'histoire et l'influence énorme dans les civilisations antiques et jusque dans les temps modernes, en passant par le moyen âge, il ne faudrait pas moins qu’une constellation de savants. Mon dessein est plus modeste ; j'ai voulu présenter les principes fondamentaux de la magie, dont l'illustration dans les collectivités incultes n'a rien à envier aux exemples des civilisations plus évoluées. On chercherait en vain dans la magie de l'Égypte antique, de la Babylonie, de l'Inde et de la Chine, de l'Occident chrétien et de l'Orient islamique, des éléments qui n'aient pas leur pendant dans l'ethnographie australienne, mélanésienne, africaine et amérindienne. La magie n'est pas moins primitive qu'elle est universelle.

Impossible d'exclure la divination du champ de la magie : le devin opère en vertu de la force occulte qui réside en lui ou est attachée à ses techniques ou à ses instruments. Sans cette force il ne serait bon à rien. Nous avons cependant renoncé à traiter systématiquement les diverses branches de la divination, tout en accordant l'attention voulue aux présages, aux rêves, aux révélations de l'état extatique et à l'inspiration prophétique. Quant au problème des relations abstraites entre magie et religion, qui a déjà fait couler bien de l'encre, nous l'avons résolument laissé de côté. C'est que, si la religion se définit comme chacun l'entend, magie et animisme sont des termes ayant une signification reçue. Faut-il dire que nous ne contestons pas pour autant cette évidence, que n'importe quel système religieux, du haut en bas de la hiérarchie, est saturé de magie comme il l'est d'animisme. La magie y figure toujours, qu'elle y trouve sa consécration ou sa condamnation officielles.

Le lecteur constatera lui-même que ce que l'on appelle magie ne mérite pas toujours rigoureusement ce nom. Si vaste que soit l'aire des croyances et des pratiques magiques, bien des « superstitions » restent en dehors de ses frontières e n'ont aucun rapport avec elle. Nous avons donné à des termes tels que homme-médecine, chaman, formule magique, charme et sorcellerie, des limites plus nettes que ne leur en assignent d'ordinaire même des travaux de spécialiste : en sociologie comme dans les sciences de la nature, les définitions sont importantes, et il est capital de s'y tenir.

Ce livre est allé constamment aux sources. Il n'en doit pas moins un tribut à tous ses devanciers. J'en ai nommé quelques-uns ; j'ajouterai, sans prétendre épuiser la liste, les noms de A. E. Crawley, F. B. Jevons, Carveth Read, Edward Wester-marck, Lucien Lévy-Bruhl, F. R. Lehmann, Wilhelm Schmidt, Gunnar Landtman, Rafael Karsten, Bronislaw Malinowski, J. H. Leuba, W. G. Sumner, A. G. Keller. J'ai pu parfois fausser compagnie à ces maîtres ; leur commerce ne m'a jamais été sans profil.


HUTTON WEBSTER. (1948)


Retour au texte de l'auteur: Hutton Webster Dernière mise à jour de cette page le mardi 12 avril 2011 12:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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