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Collection « Les auteur(e)s classiques »

K’IUEN-HIO-P’IEN, EXHORTATIONS À L’ÉTUDE (1909).
Extraits


Une édition électronique réalisée à partir du texte de TCHANG Tche-tong (1835-1909), K’IUEN-HIO-P’IEN, EXHORTATIONS À L’ÉTUDE. Variétés sinologiques n° 26, Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1909, IV+198 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extraits

OPIUM

Hélas ! les ravages causés par l’opium sont épouvantables ; c’est de nos jours comme une inondation, ou comme une invasion de bêtes féroces ; c’est même encore pire. Car l’inondation du temps de Yao ne ravagea la Chine que pendant neuf ans ; les bêtes féroces n’infestèrent que le centre de l’Empire. Mais l’opium produit ses funestes effets depuis plus de cent ans ; il répand son poison sur nos vingt-deux provinces ; le nombre de ceux qui en ont souffert et en souffrent encore monte à des milliards, et dans la suite ses ravages, continuant à s’infiltrer, n’ont pas de fin. Les hommes de talent sont rendus inutiles, nos soldats perdent leur vigueur, les richesses de l’Empire sont dissipées et la Chine en est arrivée à l’état où nous la voyons. L’inutilisation des talents tant pour la paix que pour la guerre est bien plus grave encore que la dissipation de nos richesses. À cause de l’opium, le caractère des hommes n’a plus de ressort, leurs forces corporelles ne sont plus complètes ; les hom­mes ne sont plus diligents dans l’accomplissement de leur devoirs ; de jour en jour leur énergie s’affaiblit ; leurs yeux ne voient plus de loin : leurs oreilles n’entendent plus distinctement : ils ne peuvent plus voyager à de longues distances ; leurs dépenses sont démesurées et leurs revenus n’augmentent pas ; encore quelques dizaines d’années et notre pays sera tout changé ; ses habitants seront comme les diables des barbares qui de tous côtés nous entourent ; et ce sera la fin de l’Empire chinois.

COMMERCE

Les poils de chameau et la laine de brebis, les plumes de poules et de canards sont des objets de rebut ; les peaux de cheval et de bœuf sont des choses méprisables ; cependant les marchands européens emportent tout cela et, après l’avoir transformé, ils le rapportent en Chine ; mais le prix en alors est triplé. Le ciment, les p.153 briques combustibles, le bois de chauffage, le pétrole, le feutre européen, le papier européen, la cire européenne, le sucre européen, les aiguilles européennes, les clous européens, sont des objets faits d’une matière de peu de valeur et d’une fabrication facile ; devant acheter tous ces objets aux Européens, les pertes annuelles de la Chine sur ces articles sont incalculables. Mais toutes ces choses exposées plus haut, si les lettrés et les notables ne veulent pas s’en occuper, et si les autorités ne les recommandent pas [à leurs admi­nistrés], ne pourront jamais être réalisées. Siun K’ing a exalté beaucoup l’action des lettrés ; le sens de ses paroles est que s’ils ne peuvent pas apprendre ce que les cultivateurs, les industriels et les marchands savent, ils ne sont que des lettrés faiseurs des phrases, tels que ceux qui en ces derniers temps se sont préparés aux examens : comment y voir l’action vantée des lettrés ? 

RELIGION

Depuis que la Chine et les pays étrangers ont développé leurs relations, les églises des occidentaux se sont établies par tout l’Empire chinois. Outre que la prédication de la religion chrétienne est autorisée par les traités, l’incendie et la destruction des églises sont défendues par les décrets impériaux. Dernièrement, dans l’affaire du meurtre des missionnaires accompli par des brigands dans le Chan-tong, l’Allemagne en a pris prétexte pour occuper immédiatement Kiao-tcheou. Les autres royaumes ont à cette occasion fait des demandes pressantes à la Chine, et l’état de celle-ci est devenu par là de plus en plus critique. Les lettrés de résolution doivent seulement s’efforcer de perfectionner leur science, de développer en eux et dans les autres les sentiments de fidélité et de justice, d’éclairer nos grands devoirs, à nous, Chinois, envers les supérieurs et envers les parents, et d’expliquer les moyens principaux que nous, Chinois, avons d’enrichir et de fortifier l’Empire. L’Empire se fortifiant chaque jour et les efforts des lettrés devenant chaque jour plus manifestes, alors les églises des étrangers seront regardées avec la même indifférence que les pagodes des bouddhistes et les temples des taoïstes ; on pourra désormais les laisser tranquilles ; quel mal pourraient-elles nous faire ? Que si, au contraire, les lettrés abrutis s’abandonnent eux-mêmes et se plaisent dans leur état, s’ils ne savent pas faire des efforts sérieux pour agir d’après les principes de conduite morale et d’après les principes d’administration de Confucius et de Mencius, si leurs connaissances sont insuffisantes pour le gouvernement du peuple ; si leurs talents ne peuvent pas développer la grandeur de l’Empire, et que, d’un autre côté, ils se livrent inutilement à des diffamations et à des violences [contre les religions étrangères] en vue de les opprimer, à quoi nous servira tout cela ? Non seulement cela n’aura aucune utilité ; [cela peut même avoir les plus graves conséquences]. En effet dès que des lettrés auront commencé ces attaques, le peuple ignorant s’associera à eux ; les mauvaises gens en prendront prétexte pour faire quelque mauvais coup ; des malfai­teurs initiés aux sociétés secrètes et des soldats débandés profiteront de ces commencements de trouble pour voler et piller. Ainsi, sans raison suffisante, ils auront ouvert la porte à des hostilités qui, d’un côté, feront de la peine au Prince et aux parents, et de l’autre, occasionneront de graves malheurs au peuple. Or, est-il possible que des lettrés généreux et des hommes charitables puissent supporter de pareilles choses ? 

EXAMENS

Le philosophe Tchou, rapportant les discours des autres sur les affaires de son temps, a écrit ces mots : "Si la Cour veut revenir aux principes larges d’autrefois, elle doit suspendre pendant trente ans les examens." Oh ! quelles dures paroles que celles-là ! Les fon­ctionnaires de la Chine ont tous passé avec succès leurs examens. Bien qu’il y ait d’autres voies pour arriver aux charges, cependant pour obtenir les emplois les plus beaux et pour conserver les postes les plus importants, il est indispensable d’avoir réussi aux examens. Depuis la dynastie des Ming jusqu’à présent cela a eu lieu sans discontinuation pendant plus de 500 ans. Quand on accorde trop d’importance à la forme littéraire, il y a déclin dans les qualités solides des lettrés ; quand une méthode a duré depuis longtemps, de graves abus surgissent. En effet, les examinateurs, choisissant des sujets faciles, cachent leur incapacité, et les candidats, se sachant vulgaires, comptent pour le succès sur un coup de hasard. Il y a bien trois séances, cependant il y règne l’abus de ne pas fixer le choix que sur les compositions de la première séance. Les explica­tions que les candidats donnent ne sont que la doctrine placée en haut des pages de l’Explication suivie des livres : les compositions qu’ils étudient ne contiennent que des morceaux littéraires choisis que l’on achète chez les libraires. Quant au sens des livres Canoni­ques et aux opinions des anciens lettrés, en règle générale, ils n’en ont rien appris. Depuis quelques dizaines d’années, les compositions sont de jour en jour plus faibles : non seulement leurs auteurs ne com­prennent pas les choses de l’antiquité ni celles des temps présents, non seulement ils ne s’attachent pas à ce qui touche à l’administra­tion, mais de plus la forme même et le style propres à cette classe de compositions ont tout a fait disparu.

En ce moment l’état général des affaires se renouvelle chaque jour et cependant les candidats aux grades s’obstinent de plus en plus dans leur aveuglement. Plein d’orgueil ils disent même : "Ce que j’ai étudié est l’excellente doctrine de Confucius et de Mencius, et l’administration des Empereurs Yao et Choen." Que s’ils ren­contrent des hommes qui s’occupent des choses actuelles et de l’administration pratique, alors avec des sentiments et des paroles vulgaires, ils les repoussent et les réfutent, afin de protéger le faible de leur position. Il en résulte que les hommes de talent sont de plus en plus rares, et que l’on manque d’hommes qui puissent soutenir l’Empire en danger, et résister aux insultes des ennemis.

A cause de cela, le gouvernement impérial a établi des écoles en vue de former des hommes de talent qui s’entendent aux affaires du temps présent : il a ensuite institué un examen spécial pour les discerner et les choisir : mais quoique les écoles soient établies, comme les élèves ne reçoivent pas de grades, il n’y a personne qui veuille y étudier : ou bien les élèves qui y viennent étudier ne sont que des gens de la classe du peuple, des lettrés de peu d’intelligence, des talents vulgaires, incapables de faire des compositions littéraires. Quant aux élèves doués de talents extraordinaires fils de grandes familles, ils gardent, comme par le passé, leur esprit uniquement tourné vers les anciens examens. De plus, quoique l’on ait institué un examen spécial, cependant l’examen n’ayant lieu qu’une fois après chaque vingtaine d’années, ce terme étant excessivement long, quel élève sera assez patient pour l’attendre ! Sans aucun doute les élèves se porteront tous à composer des amplifications à huit membres, à faire des vers et à s’exercer dans l’écriture des caractères. Partant, quel moyen aura le gouvernement pour choisir les hommes capables ?


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Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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