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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Alfred Sudre, Histoire du communisme ou Réfutation historique des utopies socialistes. (1848)
Avant-propos de l'édition de 1848


Une édition numérique réalisée à partir du livre d'Alfred Sudre [1820-1902], Histoire du communisme ou Réfutation historique des utopies socialistes. Paris: Victor Lecou, 1848, 500 pp. Ajout des deux chapitres supplémentaires publiés dans la 4e édition, 1850, également chez Victor Lecou, Éditeur. Un fac-simile de la Bibliothèque nationale de France, Gallica.

[i]

Histoire du communisme
ou
Réfutation historique des utopies socialistes.

1848


Avant-propos de l'édition de 1848



Ce livre a été écrit au milieu des agitations de la vie publique à laquelle, dans ces temps de révolution, aucun citoyen ne peut rester étranger. Plus d’une fois, tandis que son auteur recherchait dans son passé l’origine et les traces des passions et des erreurs qui, naguère, menaçaient la civilisation d’un effroyable cataclysme, l’appel du tambour est venu le convier à soutenir par les armes les vérités sociales à la défense desquelles il consacrait les efforts de son intelligence. Qu’on ne s’étonne donc pas si cet écrit reflète parfois la tristesse, les craintes et les émotions que devaient faire naître dans tous les cœurs dévoués au pays et aux principes tutélaires de la société, les doctrines préconisées, les actes accomplis, les luttes sanglantes soutenues pendant ces derniers mois.

Ce serait cependant se tromper, que de voir dans ces paroles le prélude d’une exposition infidèle ou d’appréciations passionnées. Les impressions de l’homme n’ont pas altéré l’impartialité de l’écrivain. Mais, l’impartialité ne consiste pas à tenir d’une main impassible la balance égale entre la vérité et l’erreur, entre la vertu et le crime ; à n’avoir ni croyances morales, ni convictions politiques ; à [ii] se montrer sans indignation contre les coupables, sans pitié pour les victimes. Que d’autres continuent, s’ils le veulent, à considérer l’humanité comme livrée à une fatalité aveugle et inexorable ; qu’ils présentent les révolutions et tous leurs excès comme le résultat d’une force mystérieuse et irrésistible, qui broie les générations présentes pour frayer la route aux générations à venir ; qu’ils ne tiennent compte ni du sang ni des larmes ; qu’ils ne voient dans les doctrines les plus subversives que des opinions plus ou moins plausibles, dont le seul tort est d’avoir contre elles une majorité susceptible de changer. Pour nous, nous croyons que l’écrivain doit avoir un point de vue déterminé, des principes fixes et certains, et ne pas hésiter à juger les faits, les hommes et les doctrines d’après ses convictions et sa conscience. Exactitude scrupuleuse, étude approfondie des sources, voilà son devoir ; liberté entière et fermeté d’appréciation, voilà son droit.

Aussitôt après la grande surprise de février, il fut évident à nos yeux, comme cela dut l’être pour quiconque avait observé le mouvement que les partis extrêmes s’étaient efforcés d’imprimer aux masses, pendant les dix dernières années, que la question qui allait se poser pour la société était celle d’Hamlet : être ou n’être pas. Tandis que des préoccupations purement politiques dominaient exclusivement la plupart des esprits, le véritable danger de la situation nous parut résider dans l’invasion des doctrines communistes et socialistes, dont la funeste influence était soit ignorée, soit dédaignée par la généralité des classes éclairées. Dès le 6 mars, nous n’hésitâmes pas à signaler ce péril, dans une circulaire qui devint le manifeste de plusieurs réunions politiques.

Mais ce n’était point assez. Au moment où des théories subversives attaquaient la société jusque dans ses fondements, empoisonnaient les sources de sa vie et l’exposaient à périr violemment ou à s’éteindre dans le marasme, il nous sembla utile de remonter à l’origine de ces vieilles [iii] erreurs, de montrer le rôle qu’elles ont joué dans l’histoire de l’humanité, les folies et les atrocités par lesquelles se sont signalés les sectaires qui en ont tenté la réalisation. Bien que les générations, comme les individus, ne profitent guère que de l’expérience acquise à leurs dépens, peut-être le spectacle des aberrations du passé contribuera-t-il à neutraliser la déplorable influence de doctrines, qui n’ont chance de faire des prosélytes que lorsque leurs antécédents sont incomplètement connus.

Déjà quelques parties de ce sujet ont été traitées avec talent par un écrivain contemporain. Dans ses Études sur les réformateurs modernes, M. Louis Reybaud a tracé une rapide esquisse des opinions qui ont devancé celles des socialistes actuels. Malgré la valeur de ces travaux, il nous a semblé que ce champ était loin d’être épuisé, et qu’il y avait place pour un livre qui, au lieu de se borner à l’exposition de quelques théories, embraserait le tableau des applications, retracerait les grandes expériences tentées à diverses époques, pour organiser la société sur une base différente de la propriété individuelle et héréditaire.

Une autre tâche restait encore à remplir. Les communistes et les socialistes ont demandé à l’histoire des arguments à l’appui de leurs systèmes. Ils ont cherché partout des autorités à invoquer, et se sont notamment efforcés de se rattacher aux traditions du christianisme primitif et aux plus célèbres hérésies du moyen âge. Il y avait lieu de contrôler ces prétentions, de mettre un terme à la confusion déplorable à l’aide de laquelle on s’efforce d’établir une solidarité menteuse entre la religion et les plus monstrueuses rêveries. Enfin, il y avait à laver de la honte d’assimilations compromettantes d’anciennes sectes religieuses, pour lesquelles on peut avouer de l’estime et des sympathies sans partager leurs opinions.

C’est dans l’antiquité que se trouve la source première des théories communistes et socialistes. En y remontant, nous n’avons pas hésité à dire toute notre pensée et à frapper [iv] de vieilles idoles, qui sont l’objet d’une admiration banale et traditionnelle, et dont le culte a été l’une des principales causes des erreurs et des crimes de 93. Bien que les souvenirs classiques n’exercent plus une influence directe sur la génération présente, ils agissent plus puissamment qu’on ne le croit généralement sur les événements et les idées de notre temps, par l’intermédiaire des écrivains du xviiie siècle et des révolutionnaires de notre première période républicaine. L’heure est venue d’en faire justice.

Dans l’exposition des faits et des doctrines, nous avons dû négliger les détails secondaires, et réserver les développements pour les œuvres capitales des chefs d’école et les épisodes les plus frappants de l’histoire. Reproduire et discuter les opinions de tous les écrivains auxquels des tendances communistes ont été, à tort ou à raison, attribuées, décrire toutes les sectes religieuses qui ont pratiqué la vie commune dans des établissements analogues à ceux des ordres monastiques, eût été un travail aussi long que fastidieux. Nous avons donc surtout cherché à mettre en lumière les événements et les théories qui présentent le plus d’intérêt, par leur portée politique et leur caractère révolutionnaire.

De nos jours, c’est un devoir pour tous, pour le champion le plus ignoré comme pour l’athlète illustré par de nombreux triomphes, de combattre de toutes les forces de son intelligence et de son âme, les doctrines dont l’existence est une menace permanente contre l’ordre social. Quel que soit donc le sort de ce livre, sa publication aura pour nous le prix d’un devoir accompli.

Paris, le 1er novembre 1848.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 décembre 2012 14:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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