Charles Seignobos, Histoire politique de l Europe contemporaine. Évolution des partis et des formes politiques 1814-1896


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Histoire politique de l’Europe contemporaine.
Évolution des partis et des formes politiques 1814-1896. (1903)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Charles Seignobos, Histoire politique de l’Europe contemporaine. Évolution des partis et des formes politiques 1814-1896. Paris: Librairie Armand Colin, 1903, 814 pp. Troisième édition. Une édition numérique réalisée avec le concours de Pierre Patenaude, bénévole, professeur à la retraite et écrivain, Chambord, Lac-Saint-Jean, Québec.

[v]

Histoire politique de l’Europe contemporaine.
Évolution des partis et des formes politiques 1814-1896.

Préface

Au moment de publier une histoire contemporaine de l’Europe en un seul volume, je me sens tenu à justifier une entreprise aussi évidemment téméraire.

Je ne m’arrêterai pas à démontrer l’avantage de présenter en un court tableau d’ensemble l’histoire qui peut nous aider le mieux à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Il s’agit de décider, non si cette histoire vaudrait la peine d’être lue, mais s’il est possible de l’écrire. Je vais donc exposer franchement les difficultés de l’entreprise, les solutions ou les expédients que j’ai adoptés, et les sacrifices que je me suis résigné à faire. On verra pourquoi cette tentative téméraire m’a paru praticable à condition de me plier à des nécessités pratiques, et comment ces nécessités ont imposé le but, la méthode et le plan de cet ouvrage.

Le plus gros obstacle qui décourage d’écrire l’histoire du xixe siècle est l’abondance écrasante des documents. La méthode historique rigoureuse exige l’étude directe des sources ; or la vie d’un homme ne suffirait pas, — je ne dis pas à étudier et à critiquer, — mais à lire les documents officiels même d’un seul pays de l’Europe. Il est donc matériellement impossible d’écrire une histoire contemporaine de l’Europe conforme aux principes de la critique. Aussi les historiens de profession, jugeant leur méthode inapplicable à l’étude du xixe siècle, ont-ils préféré s’abstenir de toucher à cette période. Et ainsi le public [vi] ignore l’histoire contemporaine parce que les savants ont trop de moyens de la savoir.

Il m’a semblé possible de relâcher la rigueur de la méthode critique et de substituer à l’étude directe des documents, seule légitime logiquement, mais évidemment impraticable, un procédé plus imparfait logiquement, mais plus pratique et suffisant pour atteindre une partie au moins de la vérité historique. Tous les faits de l’histoire politique contemporaine sont exposés dans des monographies, des histoires spéciales ou des recueils annuels, tous faits de première main ; les extraits et les analyses de documents contenus dans ces travaux suffisent à représenter les faits assez sûrement pour dispenser d’ordinaire de recourir au document original. L’exactitude et l’authenticité propres aux documents contemporains permettent d’abréger beaucoup le travail de la critique. Enfin la concordance entre les travaux faits dans des pays différents sur les mêmes questions rend le contrôle très rapide, — à condition d’apporter dans le choix et l’étude de ces travaux la critique sévère qu’on appliquerait aux sources.

La seconde difficulté pour l’historien, c’est l’impossibilité de publier ses preuves. C’est une règle très nécessaire de la méthode historique, que toute affirmation doit être accompagnée des documents qui la prouvent. Or en histoire contemporaine le nombre des documents est tel qu’on doit renoncer à la méthode régulière de citation. Mais ce sacrifice aussi est excusable. Les faits généraux ressortent de la lecture des documents avec une telle évidence et sont établis avec une telle certitude, qu’il suffit d’indiquer les ouvrages où la démonstration est faite. J’ai donc cru pouvoir renoncer aux notes en bas du texte et me borner à une bibliographie critique à la fin des chapitres.

Pour la bibliographie aussi j’ai dû remplacer la méthode régulière par un expédient pratique. Une bibliographie de l’histoire contemporaine, dressée suivant les règles de l’érudition, suffirait à remplir un volume ; j’ai dû m’en tenir à l’indispensable. Mon principe a été d’indiquer seulement les bibliographies [vii] et les histoires générales qui renvoient aux travaux de détail, les grands recueils de documents, et les monographies les plus sûres et les plus commodes sur chaque question, de façon que le lecteur pût me contrôler en recourant aux ouvrages sur lesquels j’ai travaillé.

Cette méthode sommaire de lecture et de citation m’obligeait à restreindre mon exposition aux faits généraux de la vie politique, connus de tous les contemporains et admis sans aucune contestation ; mais ce sont précisément ces faits incontestés qui forment la matière de l’histoire politique. Je n’ai donc cherché à établir aucun fait contesté, à découvrir aucun fait inconnu ; c’est en rapprochant des faits généraux déjà connus, mais restés épars, que je pense avoir atteint des conclusions nouvelles.

En m’astreignant à n’exposer que des résultats que personne ne pût songer à contester, j’ai dû m’interdire toute recherche d’érudition et toute discussion sur un fait particulier sujet à controverse, car je me serais condamné à avancer une affirmation dont je n’avais pas le temps de fournir les preuves. J’ai donc dû renoncer, non seulement à toute polémique et à toute discussion de textes, mais à tous les récits d’événements, descriptions, portraits, anecdotes, qui sont presque toujours matière à contestation. Je ne me suis départi de cette règle que pour quelques événements suivis de conséquences considérables ; encore n’en ai-je raconté que les épisodes décisifs, et quand ils étaient connus par des documents concordants.

Ainsi m’étant privé à la fois de tout moyen d’action littéraire et de tout appareil d’érudition, je suis sorti des deux genres auxquels les historiens ont habitué le public, l’histoire narrative et l’histoire érudite. Mon but a été de faire comprendre les phénomènes essentiels de la vie politique de l’Europe au xix° siècle, en expliquant l’organisation des nations, des gouvernements et des partis, les questions politiques qui se sont posées au cours du siècle et les solutions qu’elles ont reçues. J’ai voulu faire une histoire explicative.

La date initiale s’imposait naturellement ; c’est 1814, l’année [viii] de la restauration générale des anciens gouvernements de l’Europe. Je n’ai voulu me lier à aucune date finale, pour conserver le droit de suivre l’évolution de la vie politique jusque dans les faits les plus récents.

Il s’agissait d’expliquer les transformations politiques de l’Europe contemporaine dans cette période de quatre-vingts ans. Ne pouvant donner le tableau de toute la civilisation européenne, je me suis volontairement renfermé dans l’histoire politique. J’ai écarté tous les phénomènes sociaux sans action directe sur la vie politique : art, science, littérature, religion, modes, usages privés. Je me suis attaché surtout à faire comprendre la formation, la composition, la tactique et les programmes des partis comme étant les faits capitaux qui ont décidé du sort des institutions. Mais je n’ai pas cru pouvoir borner l’histoire politique à un exposé des événements et des institutions proprement politiques. Préoccupé avant tout d'expliquer les phénomènes en montrant comment ils s’enchaînent, j'ai réservé une place à des faits non politiques — : administration locale, armée, Église, enseignement, presse, doctrines politiques, régime économique, — dans tous les cas où ils ont réagi sur la vie politique.

Ayant ainsi réglé le choix des faits, il restait à les classer. Encore une difficulté de l’histoire contemporaine. On pouvait imaginer trois ordres : l’ordre logique, qui consiste à analyser l’organisation politique des États européens et à l’étudier d’ensemble dans tous les Etats à la fois, en prenant successivement chacune des institutions qui la composent (gouvernement central, armée, finances, justice, etc.) ; l’ordre chronologique, qui consiste à découper en périodes l’ensemble des événements dans toute l’Europe, et à exposer période après période ; l’ordre géographique, qui prend les différents pays successivement, et épuise toute l’histoire de chacun avant de passer à un autre.

L’ordre logique fait mieux ressortir les traits communs à toutes les nations de l’Europe et les traits particuliers à chacune.

L’ordre chronologique est plus commode pour présenter les [ix] événements communs à plusieurs pays et l’action réciproque des États [1].

L’ordre géographique permet d’expliquer plus clairement l’organisation politique et l’évolution particulières de chaque peuple, car dans l’Europe contemporaine tout pays correspond à une société soumise à un même régime politique et se transformant par les mêmes causes.

Ainsi chacun de ces trois ordres met mieux en lumière un des aspects de l’évolution contemporaine ; si j’en adoptais un à l’exclusion des autres, je risquerais de présenter confusément une partie des phénomènes. J’ai préféré les employer tous les trois successivement, et j’ai groupé les faits de l’histoire contemporaine en trois parties successives.

La première partie est remplie par l’histoire de la politique intérieure des États européens. J’y suis l’ordre géographique. Après une description sommaire de l’Europe de 1814, telle que l’ont faite les restaurations territoriales du congrès de Vienne, j’étudie séparément et successivement l’histoire intérieure de chacun des États de l’Europe. J’ai rangé les pays à peu près suivant leur ordre d’ancienneté dans la pratique de la vie publique ; — en tête l’Angleterre, qui a fourni le modèle de l’organisation politique à toute l’Europe ; puis la France et ses voisins les plus civilisés, Pays-Bas et Suisse ; puis les pays ibériques ; — ensuite le groupe de l’Europe centrale, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, les pays Scandinaves ; — enfin le groupe des empires orientaux, ottoman et russe, qui ont conservé le plus longtemps les formes politiques du xviiie siècle. J’ai laissé à cette partie la forme sous laquelle elle se présentait naturellement, celle d’une série d’histoires nationales juxtaposées et entièrement indépendantes ; on apercevra plus distinctement la structure nationale de chaque peuple et les événements qui ont dominé son évolution politique.

[x]

Dans la seconde partie, composée suivant l’ordre logique, j’ai groupé quelques phénomènes politiques communs à différentes sociétés européennes ; je les ai détachés de l’évolution de chaque peuple, pour en faire ressortir le caractère universel : ce sont les transformations des conditions matérielles de la vie politique et l’action des partis internationaux (catholique et socialistes révolutionnaires).

La troisième partie est consacrée aux relations extérieures entre les États ; les faits y sont présentés par périodes, suivant l’ordre chronologique ; chaque période est marquée par la prépondérance d’une des grandes puissances, Autriche, Angleterre, Russie, France, Allemagne. Il s’agit, non de raconter les opérations diplomatiques et militaires dont le détail est déjà familier au public, mais de marquer pour chaque période les traits capitaux de la politique extérieure des principaux gouvernements et d’expliquer comment se sont transformées les relations entre les États et la distribution des territoires et des influences.

Le style a été aussi pour moi une question délicate. Ayant adopté pour ce travail la forme d’un manuel de science, je devais tendre à un style court, clair et précis. La nécessité pratique m’a forcé à rechercher avant tout la brièveté, parfois, je le crains, jusqu’à l’obscurité ; mais jamais je n’ai sacrifié la clarté à l’élégance. Chaque fois qu’un mot déjà employé m’a paru rendre la phrase plus claire, je n’ai pas hésité à le répéter ; entre deux termes j’ai toujours choisi le plus familier comme étant le plus facile à comprendre ; j’ai évité les métaphores qui éblouissent sans éclairer. Le lecteur ne se doutera pas du temps que j’ai dépensé à chercher l’expression qui devait exiger de lui le moindre effort.

La précision a été plus difficile à atteindre. L’histoire est une science encore si rudimentaire (si même on peut sans dérision l’appeler une science), qu’elle n’a pas de vocabulaire technique. Pour désigner les phénomènes politiques, les historiens ont emprunté au vocabulaire des juristes ou des philosophes des termes abstraits qui sont entrés dans la langue historique. Ces [xi] termes ne recouvrent que des notions vagues, notre ignorance de la nature intime des phénomènes politiques ne nous permet pas encore d’en acquérir d’autres ; mais ils les déguisent sous une apparence de précision technique. Il m’a paru plus honnête scientifiquement de laisser à des notions vulgaires des noms vulgaires. Aussi ai-je évité les substantifs abstraits (royauté, Église, éléments, tendances), qui se transforment trop facilement en forces mystiques. Quand j’ai eu à décrire les actes ou les idées d’un groupe d’hommes, j’ai toujours désigné ce groupe soit par un nom de peuple, de parti ou de classe, soit par un substantif collectif (gouvernement, ministère, clergé), de façon que derrière ce nom le lecteur puisse retrouver les hommes qui ont agi ou pensé.

Quant à l’impartialité politique et nationale, qui passe pour la difficulté capitale de l’histoire contemporaine, je ne ferai ni à mes lecteurs ni à moi l’injure de présenter comme un mérite rare ce qui est le devoir de tout historien. Ayant adopté le ton d’un traité de science, je n’ai pas eu occasion de manifester de sentiments personnels pour un parti ou pour une nation, et la conscience nette que j’ai de mes préférences personnelles pour un régime libéral, laïque, démocratique et occidental, me garantit, je pense, de me laisser entraîner à décrire inexactement ou à négliger les phénomènes que je sais m’être antipathiques. Si je me suis trompé, le lecteur est averti du sens dans lequel il est possible que j’aie penché. — On trouvera peut-être que j’ai fait la part trop grande aux courtes époques de révolution, au détriment des longues périodes de conservation. C’est que j’ai voulu faire une histoire explicative de l'évolution politique. Or la conservation étant le phénomène normal de l’humanité, n’a pas besoin d’être expliquée, et lorsqu’un régime ne change pas, il suffit de le décrire une fois ; la révolution, étant exceptionnelle, n’est intelligible que par une description détaillée de ses causes exceptionnelles, et comme elle change l’organisation de la société, elle oblige à la décrire à nouveau.

[xii]

Il n’existe aucune bibliographie générale de l’histoire de l’Europe ; il faut chercher les renseignements bibliographiques dans les bibliographies universelles, les bibliographies nationales et les recueils de bibliographie périodique dont on trouvera la liste dans Ch.-V. Langlois, Manuel de bibliographie historique, 1896.

— Le principal recueil de documents communs à toute l’Europe est le Staats-Archiv, publié périodiquement depuis 1861. Suivant son sous-titre « Recueil des actes officiels pour l’histoire du présent », il contient des documents officiels, surtout diplomatiques [2].

— Le récit des événements politiques en Europe est donné chaque année sous la forme d’Annuaires qui reproduisent aussi les documents officiels. Les principaux sont :

En anglais, Annual Register, qui paraît depuis le xviiie siècle.

En français, Annuaire historique universel de 1818 à 1861, — Annuaire des Deux-Mondes de 1850 à 1870, — l'Année politique, depuis 1874.

En allemand, Schulthess, Europæischer Geschichtskalender, depuis 1860 (c’est le plus complet de tous).

— Sur l’ensemble de l’histoire contemporaine de l’Europe, il n’existe de travaux scientifiques qu’en allemand. Il y en a de deux sortes : des histoires générales et des collections d’histoires spéciales.

Les histoires générales sont : Gervinus, Geschichte des xixe Jahrhunderts, 8 v., 1855-1866, œuvre littéraire célèbre en son temps et peu sûre, s’arrête avant 1830 (traduit en français sous le titre Histoire du xixe siècle). — C. Bulle, Geschichte der neuesten Zeit (l’édition de 1886 en 4 v. va jusqu’en 1885), la plus exacte des histoires contemporaines, mais dépourvue de références et d’indications bibliographiques, et consacrée surtout à l’histoire extérieure. — Stern, Geschichte Europa’s (t. I, 1894 ; t. III, 1901), promet d’être l’histoire la plus scientifique, mais les trois volumes parus jusqu’ici s’arrêtent à 1830.

Il y a deux collections d’histoires contemporaines. La Staatengeschichte der neuesten Zeit est une série d’histoires de pays en plusieurs gros volumes (j’indiquerai chacun dans la bibliographie spéciale de chaque pays) ; c’est la plus importante pour l’histoire intérieure.

La collection d’histoire universelle Oncken, Allgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen, contient une série spéciale d’histoires contemporaines depuis 1789, composée d’histoires de périodes ou d’événements (Révolution, Restauration, Second Empire, question d’Orient, règne de Guillaume Ier) ; elle donne surtout l’histoire extérieure. — En français, les histoires contemporaines ne sont que des manuels scolaires [3]. La collection Alcan, Bibliothèque d'histoire contemporaine, renferme plusieurs histoires de pays, la plupart ouvrages de vulgarisation sommaire et qui ne forment pas une collection complète. Dans l'Histoire générale du IVe siècle à nos jours (publiée sous la direction de Lavisse et Rambaud), les tomes X-XII sont consacrés à l’histoire depuis 1815.

Pour les institutions politiques, la grande collection Marquardsen, Handbuch des öffentlichen Rechts der Gegenwart depuis 1883 est une série de monographies du droit public de chacun des États de l’Europe (malheureusement plus juridiques qu’historiques) ; on les trouvera indiquées dans la bibliographie de chaque pays.

Pour l’histoire économique le Handwörterbuch der Staatswissenchaf'ten (6 vol. et un Supplément, t. VII, 1890-1895), donne, sous forme de dictionnaire, des monographies et des bibliographies détaillées.



[1] Cet ordre a pour lui la tradition ; c’est celui de tous les annuaires ; adopté par Gervinus, puis par Bulle, il vient d’être repris par M. Stern, l’auteur de la plus récente histoire contemporaine de l’Europe.

[2] Le Staatsarchiv avait été précédé par des recueils analogues : Archives diplomatiques, 1821 ; Neueste Staatsakten, 1825, qui ne forment pas une série continue.

[3] J’ai cru inutile de donner les titres des manuels scolaires allemands, tels que Jæger.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 11 janvier 2022 9:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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