Note sur la présente édition
L’avenir de la science, Pensées de 1848, parut le 9 avril 1890, chez Calmann-Lévy. L'ouvrage a été écrit entre mai 1848 et juillet 1849 [1]. Renan a d'abord envisagé des remaniements et des suppressions de double emploi, dont on trouve trace sur le manuscrit gardé à la Bibliothèque nationale puis il s'est contenté de lui adjoindre une Préface soigneusement travaillée : il en a demandé quatre épreuves successives [2].
Le manuscrit est très touffu.
Le texte comporte de nombreuses additions de « suppléments », avec des « suppléments aux suppléments », et de nombreuses indications de passages transférés d'une section à l'autre.
La table analytique finale est de Renan, qui l'a établie en 1849. En fait, elle ne correspond pas toujours très fidèlement au texte, car elle ne tient pas compte de certains importants suppléments ou/et déplacements.
Parmi les premiers, signalons : 4 pages de la section II, sur le pouvoir réformateur de l'esprit (pp. 101-105) ; 4 pages de la section III précisant ce qu'est « la critique » (pp. 113-117) et 5 pages sur la manière de rendre sensible les « formes d'esprit » (pp. 121-126) ; 3 pages de la section V sur la nécessité des contradictions (pp. 158-160) ; 3 pages à la fin [p. 48] de la section VIII critiquant les raideurs de certains rationalistes (pp. 201-204) ; 8 pages dans la section X appelant à comprendre les productions de l'esprit humain dans leur encadrement » leur milieu et leur temps et méditant sur les rapports entre grands hommes et génies, foule et masse (pp. 235-244) ; dans la section XV Renan a précisé son projet d'une histoire des origines du christianisme (pp. 311-312), il a ajouté des critères de classification des religions (p. 314) et a développé sa conception des « phases » (pp. 318-320) ; dans la section XVI, 3 pages précisent encore ce qu'est « l'analyse » et « la critique » et la visée de l'unité (pp. 336-338) ; dans la section XVII sont ajoutés des développements sur les diverses théories politiques appuyés sur l'histoire (pp. 364-370) ; la section XVIII s’ouvre sur une réaffirmation insistante de la nécessité d'une « vraie religion » dont la table des matières ne dit rien (pp. 382-383) ; dans la section XIX sont ajoutées une méditation sur les notions de décadence et de palingénésie de l'humanité (pp. 403-404) et une autre sur la conception des rapports de l'âme et du corps, des besoins intellectuels et matériels (pp. 415-417) ; dans la section XXII, ont été ajoutés le passage sur la critique des « rieurs » (pp. 443-448), un autre développant les rapports entre scepticisme et dogmatisme où Renan définit aussi son « dogmatisme critique » (pp. 453-454) ; dans la section XXIII Renan a développé aussi l'analyse du retour au catholicisme (pp. 483-488), et il a ajouté les pages très personnelles en forme de profession de foi du final de l'ouvrage.
Parmi les déplacements les plus conséquents, signalons que ce que la table analytique indique pour la deuxième moitié la section IV est, dans le texte transféré, avec d'autres ajouts, dans la section XVII (pp. 379-382) ; ce qui est annoncé à la fin de section XVI est aussi reporté à la fin de la section XVII ; dans cette section XVII, très retravaillée, il y a eu encore beaucoup d'autres déplacements minimes ; de même, ce qui est indiqué pour la seconde moitié de la section XXII a été déplacé et dispersé dans la section XXIII ; cette dernière section a été très remaniée.
En 1890 ni Renan, ni son éditeur, n'ont signalé ces discordances entre l'ouvrage et sa table des matières » ; elles ne sont pas mentionnées non plus dans l'édition établie par Henriette Psichari des Œuvres complètes, Calmann-Lévy, 1949. En fait, comme le montre une lettre de Renan à sa sœur Henriette, cette table analytique correspond à la première rédaction, que Renan a révisée ensuite pendant l'été (voir lettre du 15 juin 1949, O.C., t. IX, pp. 1189-1193).
[p. 49] Le texte de l'ouvrage édité en 1890 est donc celui du manuscrit tel qu'il était prêt en 1849. Nous n'avons relevé qu'une dizaine de modifications, d'une ou deux lignes au plus, portant surtout sur des références et allusions supprimées, ou quelques images ou formules ajoutées. À signaler cependant la suppression sur épreuves dans la section IV d'un passage autobiographique sur l'indigence de l'enfance renanienne.
Les notes « laissées en tas à la fin du volume » (p. 70) ont été, elles, beaucoup retravaillées et allégées en 1890. Le manuscrit comporte 261 notes numérotées, et d'autres notes, ajoutées souvent dans les suppléments, sont signalées par des lettres l'alphabet tout entier, en majuscules et en minuscules, y est utilisé. Toutes les notes ne sont pas entièrement rédigées dans le manuscrit. Le texte publié en 1890 ne retient que ( !) 193 notes : Renan a donc supprimé plus d'un tiers des notes prévues, et a surtout allégé les références et citations.
Dans la présente édition, nous avons repris les traductions des textes latins et grecs faites par Marcel Pernot, jointes à l'édition établie par Henriette Psichari dans le tome III des Œuvres complètes chez Calmann-Lévy.
Nous n'avons cependant pas jugé bon de reprendre les indications données par Henriette Psichari sur les passages correspondants à un article de la revue La liberté de penser du 15 juillet 1849. D'une part, de telles références ne nous sont guère parues utiles : il faut plutôt les donner dans la version plus accessible, reprise en 1868, du recueil Questions contemporaines, sous le titre « Réflexions sur l'état des esprits 1849 [3] ». D'autre part, et surtout, de telles indications nous ont parues partielles : il y a de très nombreux autres passages de l'ouvrage qui ont été repris dans d'autres articles ; il n'est pas justifié de signaler certaines reprises et d'en taire d'autres. Comme Renan l'indique dans sa Préface de 1890, L'Avenir de la science a été « débité en détail [4] ».
Nous avons ainsi constaté que non seulement des textes [p. 50] ont été recopiés ailleurs, mais beaucoup aussi ont été recopiés d'ailleurs.
Parmi les réutilisations de textes antérieurs signalons, par exemple, celle d'un article de 1847 sur « L'Instruction publique en Chine [5] » : 4 pages dans la section XI, et de plus petits morceaux dispersés ailleurs. De très nombreux et importants passages de l'ouvrage De l'origine du langage [6] se retrouvent aussi, dans les sections X et XV particulièrement. Des passages de l'Histoire des langues sémitiques [7] sont également repris, section XV par exemple.
D'autres double usages sont contemporains : nombre d'articles rédigés et publiés par Renan en 1848-1849 comportent des pages identiques à celles de L'Avenir de la science : par exemple, un passage de la section IV (pp. 141-142) est exactement le même que la conclusion de l'article sur « L'Instruction publique en France jugée par les Allemands[8] » ; le début de la section III et la fin de la section XV présentent des passages que l'on retrouve dans un article sur « Les historiens critiques de Jésus [9] » (vers les pp. 112-114, et pp. 325-326) ; la section VI et le début de la section XI sont très proches de l'article sur « Les Congrès philologiques en Allemagne [10] » à quelques déplacements près ; il y a également de grandes proximités entre la section VIIII et l'article sur 1'« Histoire de la philologie classique dans l'antiquité [11] » ; [p 51] l'article « Du libéralisme clérical [12] » a quelque écho aussi dans les passages de la section XVII.
Beaucoup plus tard, Renan a puisé encore dans le « stock » de son gros manuscrit inédit : on doit signaler au moins que l'article de 1860 sur « La Métaphysique et son avenir [13] » emprunte abondamment aux sections VII, VIII, XII et XIII du texte de 1848-1849.
L'Avenir de la science est ainsi un véritable « patchwork » de textes que Renan a exploités parfois plusieurs fois. Le repérage exhaustif est difficile, d'autant qu'il y a parfois des « variantes » ; en tout cas il aurait été fastidieux d'indiquer toutes les reprises et cela aurait alourdi considérablement le texte. En présentant globalement cette stratégie de l'écriture renanienne, nous voulions attirer l'attention, sans la disperser, sur la densité particulière de L'Avenir de la science.
[1] Voir les lettres à Henriette du 16 décembre 1848, du 28 janvier 1849, et du 15 juin 1849, O.C., t. IX, p. 1147, p. 1167, et pp. 1189-1193.
[2] Référence du manuscrit : Bibliothèque nationale, NAF 11459 ; les épreuves corrigées sont sur microfilm, n° 5058.
[3] Voir O.C., I, pp. 209-232. Les passages identiques de L'Avenir de la science et de cet article se trouvent dans les sections III, V, XVII, et surtout XXI mais l'ordre des passages est assez différent.
[4] Voir p. 66 de cette édition. Renan a d'ailleurs procédé carrément à des « collages » de texte imprimé dans son manuscrit, et dans les épreuves corrigées.
[5] Cet article, publié dans le Journal de l’Instruction publique a été repris dans Mélanges d’Histoire et de voyage en 1878 voir O. C., I, pp. 576-602.
[6] Renan avait terminé ce texte en octobre 1847. Il a été publié en 1848 chez Joubert. Il est repris dans O. C., VIII, pp. 10- 127.
[7] Cet ouvrage, publié en 1855 repris dans O.C., VIII, pp. 129-595 est la refonte du travail avec lequel Renan avait obtenu le prix Volney en 1847.
[8] L'article sur « L'Instruction publique en France jugée par les Allemands », publié dans le Journal de l'instruction publique en juillet 1849, est repris en 1868 dans le recueil Questions contemporaines voir O.C., I, pp. 205 sq.
[9] Cet article publié en mars-avril 1849 dans La Liberté de penser est repris en 1857 dans les Études d'histoire religieuse voir O.C., VII, pp. 116-165.
[10] Cet article publié en 1848 est repris dans Mélanges d’Histoire et de voyage en 1878 voir O. C., II, pp. 620 sq.
[11] Cet article publié dans le Journal de l'instruction publique en juin 1848, est repris dans Mélanges d’Histoire et de voyage en 1878 voir O. C., II, pp. 603 sq.
[12] Cet article publié en mai 1848, dans La Liberté de penser, est repris dans le recueil Questions contemporaines, voir O.C., I, pp. 283-307.
[13] Cet article, publié en janvier 1860 dans la Revue des Deux-Mondes, est repris dans la partie « Fragments philosophiques » du recueil Dialogues et Fragments philosophiques en 1876 voir O. C., I, pp. 680-717.
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