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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Demesvar DELORME, La misère au sein des richesses.
Réflexions diverses sur Haïti
avec une notice biographique et littéraire. (1893) [2009]
Notice biographique et littéraire


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Demesvar DELORME, La misère au sein des richesses. Réflexions diverses sur Haïti avec une notice biographique et littéraire. Première édition, 1873. Port-au-Prince, Haïti: Les Éditions Fardin, 2009, 154 pp. Une édition numérique réalisée par Peterson BLANC, bénévole, licencié en anthropologie-sociologie de la Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti.

[5]

La misère au sein des richesses
Réflexions diverses sur Haïti

Notice biographique et littéraire

Demesvar Delorme
(1831-1901)

Introduction

Demesvar Delorme est l'un de nos premiers doctrinaires. Le premier grand prosateur de la littérature haïtienne. Journaliste et diplomate, homme d'État et grand tribun, romancier et philosophe, conférencier disert et essayiste de talent, Delorme a exercé sur son siècle, une influence politique, sociale et littéraire des plus remarquables.

Il a dominé la scène haïtienne de 1859 à 1901 par la plume, la parole et l'action. Comme tous les grands hommes, il a eu des admirateurs et des contempteurs au sein de son propre pays.

Delorme qui a passé quinze (15) ans de son existence hors de la terre natale, tantôt comme étudiant ou exilé politique, tantôt comme diplomate, a lié à l'extérieur d'utiles et solides relations avec les plus grands noms d'Europe et d'Amérique. Il fut l'ami et l'intime de [6] Lamartine, de V. Hugo, d'Alexandre Dumas père, de Michelet, d'Edmond About qui l'admiraient.

« Vos Théoriciens au Pouvoir révèlent en vous le penseur, le philosophe en même temps que l'homme d'État. Généreux enfant des Antilles, vous honorez cette terre d'Amérique qui fut le berceau de mes aïeux. Je vous embrasse ». (Alexandre Dumas, père)

Delorme est diplômé de la Société d'Anthropologie et d'Histoire ancienne de Berlin ; l'Académie Française a couronné en 1870 « Les Théoriciens au Pouvoir », le Sultan de Turquie lui a décerné le grand cordon de Méjidie après la publication de son roman Francesca dont l'action se passe en Turquie. Il est décoré par la Société des gens de Lettres de Paris, et est honoré au moins, d'une dizaine de décorations offertes par les chefs d'États des pays où il a été accrédité comme diplomate, ou qu'il a visités.

Il a séjourné aux États-Unis d'Amérique, dans les principaux pays de l'Amérique du Sud, en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Russie, en Autriche, en Espagne, en Suisse, en Turquie, en Grèce, en Hollande...

Grand patriote, il a parcouru le monde, en quête des grandes valeurs spirituelles et morales léguées par le passé, ou offertes par le présent pour en faire bénéficier son pays.

La vaste culture de cet autodidacte, son amour de sa race, de son pays, des hommes et de la démocratie, font [7] de lui, l'un des plus grands hommes qu'ait produit le 19ème siècle haïtien. On comprend l'enthousiasme et la fierté de Raoul Auguste, le recevant, de retour d'exil, au Cap-Haïtien le 18 mai 1901 : « Maître, vous êtes le prince de la littérature ».

Et ce témoignage d'Anténor Firmin, son ennemi politique, sur sa tombe le 28 décembre 1901, à Paris :

« Il avait des paroles, des gestes, jusqu'à des mièvreries qui exerçaient une espèce de magie sur la jeunesse enthousiasmée qu'il ensorcelait. Je ne sais pas si la politique réserve de plus grande satisfaction, un plus beau triomphe ! Sans doute, nous avons toute une pléiade d'hommes remarquables, en plus d'une spécialité...mais nul d'entre eux ne partage avec Demesvar Delorme l'immense gloire d'avoir ouvert chez nous l'ère du vrai épanouissement littéraire... »

Et cet autre, non moins éloquent d'un contemporain, Monsieur Ernst Trouillot : « Delorme fut un demi-dieux aux adorateurs nombreux et fervents, un oracle aussi avidement consulté que pieusement écouté ».

Demesvar Delorme, sa vie, son œuvre

D. Delorme est né au Cap-Haïtien le 18 janvier 1831. Il fait des études primaires très irrégulières, interrompues notamment l'année du tremblement de terre [8] qui détruisit le Cap en 1842. Fit-il de bonnes études secondaires au Lycée Philippe Guerrier de sa ville natale ? On en doute.

À peine pubère, il est employé dans une maison de commerce du Cap. Mais bien avant, toute son ambition le poussait à devenir un homme cultivé ; très jeune il est attiré par les livres. Dans ses « Mémoires » dont une partie a été publiée après sa mort, il confesse :

« Je ne pouvais voir un livre quelque part sans m'en approcher le contempler, l'ouvrir. Il se dégageait de ces lignes imprimées que je défrichais, sans bien les comprendre, quelque chose de mystérieux, de vague, d'autant plus puissant qui m'impressionnait d'une façon que je ne puis dire, qui m'ouvrait des perspectives rayonnantes, infinies…

À huit ans j'apprenais la grammaire. Au moment du tremblement de terre c'est-à-dire à onze ans, je la savais par cœur et je la comprenais. J'en étais fier, je voyais en moi un petit savant. C'est là mon défaut. Il faut que je le dise. J'ai toujours eu un grand amour de moi-même ».

(Le National, 15 juillet 1954)

Cet amour de l'étude, il le gardera toute sa vie. A vingt ans, Delorme est professeur à l'école primaire des garçons de sa ville natale, puis professeur au Collège Adélina, qui sous Faustin 1er avait remplacé le Lycée Guerrier.

[9]

En 1858, il voyage aux États-Unis d'Amérique. Il commence à faire provisions de remarques et d'observations sur le sort des noirs et des hommes de couleurs de ce pays pour écrire « La démocratie et le préjugé de couleur aux États-Unis d'Amérique et le système Monroe », publié en 1866, en Belgique, au cours de son premier exil. Il a vingt huit ans. L'année suivante, c'est la chute de l'empire de Soulouque. Les idées sont remuées, agitées. Delorme prend part dans les débats. Il fonde un journal politique et littéraire l'Avenir (1859). Le journalisme sera l'une des grandes passions de sa vie. Il collabore dans la suite au Progrès, l'Opinion Nationale, le Ralliement, le Moniteur, journaux haïtiens, et surtout à l'Indépendance Belge, à l'extérieur.

Il est élu député du Cap-Haïtien en 1862. A la chambre il lutte pour le contrôle des affaires publiques par le parlement. La chambre est dissoute.

Delorme gagne l'opposition en attendant la prise d'arme de 1865 au Cap-Haïtien par Salnave. Ce dernier est vaincu par les troupes de Geffrard. Delorme part pour l'exil.

Deux ans plus tard, en 1867 il retourne au pays et fait partie du gouvernement de Salnave.

Au moment où Salnave est dans le Nord, en 1868 pour soumettre les cacos, Delorme, à trente huit (38) ans, est le véritable chef d'État. Il le dit lui-même dans « Réflexions diverses sur Haïti ».

[10]

« Je suis resté au pouvoir, simple et ouvert, comme dans la vie privée. J'aurais eu honte de paraître infatué de la position que j'occupais. Je tenais à valoir par moi-même et ne voulais rien devoir à cet égard à une situation accidentelle...

J'avais presque le gouvernement sur les épaules. J'étais le Secrétaire d'État des Relations Extérieures, de l'Instruction et des Cultes, et j'étais chargé de l'intérim du portefeuille de l'Intérieur et de l'Agriculture. »

De retour du Nord, Salnave qui le suspectait, à tort, de vouloir s'emparer définitivement du pouvoir, l'envoie comme Ministre résident à Londres. Avant même d'atteindre son poste il est révoqué brutalement. C'est son second exil politique, qui dure neuf ans. (1868 - 1877).

C'est de cette époque que datent ses principales publications. La Reconnaissance du Général Salnave (1868) ; les Théoriciens au Pouvoir (1870) ; Francesca roman (1873) ; Réflexions diverses sur Haïti (1873) ; les Paisibles (1874) ; Le Damné, roman (1877).

S'il a beaucoup publié, il a beaucoup souffert également durant ce long exil. En 1873, il écrira « depuis bientôt cinq ans, je vis loin de vous, dans la tristesse et les souffrances de l'exil, travaillant pour mon existence et pour servir la cause de ma race et de mon pays ».

[11]

Les amertumes n'ont fait qu'aviver son patriotisme : « cette patrie plus elle est malheureuse plus je l'aime, plus je sens pour elle d'affection et de dévouement... Quand on me demande à l'étranger de quel pays je suis et, confondant les lieux et les noms, on me parle de Tahiti, je réponds « vous vous trompez ; je suis de ce pays où s'est déroulé le drame de Vincent Ogé et celui de Toussaint Louverture ».

C'est surtout au cours de l'exil qu'il se lia d'amitié avec tous les grands noms que nous avons signalé dans notre introduction ; il dîne à la table de Lamartine, est reçu à Guernesey par Victor Hugo, visite la maison de Jean-Jacques Rousseau à Genève, se recueille dans le cachot de Toussaint au Fort de Joux en France.

De retour d'exil, à la chambre législative, il est chef du Parti National. A l'arrivée de Salomon au pouvoir, il n'est pas heureux. Il est jeté en prison. Sur le point d'être fusillé, il échappe à la mort grâce à l'intervention d'Argentine Bellegarde Fourreau, nièce du président Salomon. En 1864, ce dernier le nomme Directeur du journal officiel de la République, le Moniteur. Il y publie une série d'articles importants qu'il réunit plus tard sous le titre de « Le Pays » (1888). En 1890, sous Florvil Hyppolite, il entre dans la diplomatie. Il est Ministre résident d'Haïti, puis envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire à Berlin et au Vatican. Il sera relevé de ces fonctions sous Tirésias Simon Sam en 1898. Commence alors son troisième exil.

 [12]

Il publie La Hollande (1898) ; Le Pays (1898) ; A Paris, sa résidence au Boulevard de Courcelles devient un lieu de pèlerinage pour tous les Haïtiens de passage dans la capitale française.

En 1901, Anténor Firmin sollicite de Sam l'autorisation pour Delorme de regagner son pays. Il débarque au Cap en mai 1901, mais n'y reste pas longtemps. Trois mois plus tard, il retourne à Paris où il meurt le 24 décembre 1901.

L'homme

L'érudit

On ne saurait trop insister sur la vaste culture de Delorme. On se demande encore, aujourd'hui comment un homme, en Haïti, au milieu du XIXème siècle a pu par lui-même, à quarante ans posséder cette somme de savoir qui surprend, étonne et ravit à la fois. Homme d'une culture encyclopédique, rien n'avait pour lui de secret : philosophie, art, science politique et économique, histoire ancienne et moderne. A une époque où la critique littéraire en Haïti sortait des langes, il a laissé des essais remarquables sur Coriolan Ardouin, Ignace Nau, Jules S. Milcent, Boisrond Tonnerre. Ce commerce quotidien avec les livres a fait de lui un ami de l'ordre, du progrès, de la démocratie, un homme probe et généreux, ennemi du vice, de la cupidité et surtout un érudit, à la fois philosophe, littérateur et savant.

« Quand on a les goûts auxquels toute ma vie j'ai été livré, cette passion exclusive de [13] l'étude qui ne m'a jamais quitté même au milieu des plus grandes souffrances, une âme impressionnable jusqu'à l'excès, un respect inquiet et en quelque sorte maladif du devoir et de l'opinion d'autrui, il n'est pas possible qu'on ait en même temps l'instinct grossier de la cupidité                            (Réflexions)


Le Patriote

Toute sa vie, il a appelé de ses vœux le progrès pour son pays, ses études, ses écrits, ses voyages, ses luttes politiques n'ont pas un autre but ; calmer les passions, réconcilier les partis, imposer la primauté de l'esprit, répandre le progrès, assurer la sécurité et le respect de sa patrie et de sa race.

« Les patriotes dont je parle, sont ceux qui admirant le progrès humain chez l'étranger n'aspirent pas à pouvoir en jouir personnellement loin des lieux où ils sont nés mais s'attristent de le voir absent de leur pays »...

Ses détracteurs lui ont reproché de n'avoir pas imposé ce progrès alors ! qu'il était tout-puissant sous Salnave. Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est : que peut-on faire en un an de ministère, dans un pays déchiré par la guerre civile.

Le Vaniteux

Delorme a toujours cultivé un grand amour de lui-même. Il le dit d'ailleurs dans ses Mémoires. Il se croyait [14] à l'instar de Lamartine investi d'une mission providentielle. Il n'a pas été heureux en politique. Seuls ses éclatants succès littéraires le consolèrent de ses déboires d'homme d'État.

Il se savait un homme supérieur et ne s'en cachait pas « je n'ai jamais ou besoin de flatter personne, on avait au contraire besoin de mon concours ». (Réflexions)

Il s'honorait pourtant de la compagnie des grands. Parlant de ses relations avec Victor Hugo, il dira : « je l'ai plus d'une fois revu. J'ai été dans son intimité, et toujours et partout, à Bruxelles, à Guernesey, à Paris ou j'ai l'honneur d'être admis à sa table, je n'ai jamais eu un moment à ne pas me rappeler que j'étais devant le maître... » et ailleurs : « mes tristesses s'atténuent quand je pense qu'il m'a été donné de savourer l'affection de ces deux hommes : Lamartine et Victor Hugo ».

Très sourcilleux sur le point d'honneur il écrira « La reconnaissance du général Salnave », surtout pour se défendre contre les calomnies des ennemis de Salnave, de Salnave lui-même et de ses partisans. Probe, il a un respect scrupuleux des deniers publics et en tire parti contre ses adversaires politiques : « je ne suis pas, moi un de ceux qui doivent tout ce qu'ils sont, à la caisse publique insolemment dépouillée ». (Les Paisibles)

À l'occasion, il sait rappeler à ses concitoyens les règles élémentaires de la bienséance. Il est emprisonné. Au geôlier de la prison, qui vient lui dire : « Delorme, yo [15] pote mange pou wou... » Notre grand homme répondit déconcerté, blessé dans son amour propre :

« Monsieur de Lamartine m'appelait Monsieur Delorme et voici que ti Joseph m'appelle Delorme tout court ». (La presse, 10 février 1931)

Il n'a pas été toujours tendre pour ses ennemis. A l'occasion d'une polémique qui l'oppose à Firmin, il traite ce dernier de « nèg nan kampèche... »

Parce que la rédaction du journal de J.J. Audin est attenante à un bazar il le désigne au cours d'une polémique, de marchand d'orviétan.

La vanité fut le principal défaut de Delorme, ce qui n'atténue en rien ses qualités d'homme et ses mérites de citoyen. On peut dire qu'il fut grand.

L'hommage que lui rendit à sa mort un journal de Paris, suffit pour donner une idée du prestige dont il jouissait tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

« La nation haïtienne perd en lui un de ses plus glorieux enfants, la littérature haïtienne se voit privée d'un remarquable représentant ; le monde entier est dans le regret de la disparition d'une belle intelligence, d'une rare force morale dont l'humanité avait le droit d'être fière. Il ne m'appartient pas d'apprécier la personnalité politique de Demesvar Delorme, nombre d'Haïtiens sont [16] autrement désignés pour satisfaire à cette tâche avec une compétence plus sûre. Mais comme un écrivain de langue française, il est intimement lié, et par la valeur de sa production et par la nature de ses rapports avec les plus célèbres esprits de son temps, à l'histoire littéraire de notre pays »

(Reproduit par le Nouvelliste du 8 février 1908)

Oeuvres de Delorme

Le Romancier

Francesca (1873) ;
Le Damné (2 tomes) 1877

Le Théoricien

Les Théoriciens au Pouvoir (1870)
La démocratie et le préjugé de couleur aux États-Unis d'Amérique et le système Monroe (1866)

Le Politique

Réflexions diverses sur Haïti, (1873)
Le Pays, (1898) ;
les Petits : La Hollande. (1898)

Le Polémiste

La Reconnaissance du général Salnave (1868) ;
Les Paisibles (1874)

[17]

Conclusion

En face des grands problèmes politiques, sociaux, économiques et raciaux qui bouleversent la collectivité haïtienne après l'indépendance (1804), des jeunes gens fiers et patriotes, épris d'idéal, interrogent l'histoire de l'humanité, dénoncent certains de nos comportements passés, en exaltent d'autres, font des suggestions et établissent des fois, de véritables programmes pour une Haïti prospère et régénérée. Demesvar Delorme, Anténor Firmin, Louis-Joseph Janvier, Solon Ménos, sont de ceux-là. Ils ont écrit et publié des œuvres, fruit de leurs recherches et de leurs expériences, au cours de la deuxième moitié du dix neuvième siècle. Ils sont étudiés dans l'histoire de la littérature haïtienne au chapitre des théoriciens ou écrivains politiques et sociaux (Ecole Patriotique : 1860-1915).

Demesvar Delorme est le premier de ces grands théoriciens. Le premier grand prosateur de la littérature haïtienne.

C'est dans ce contexte qu'il faut placer ses Réflexions diverses sur Haïti. Ecrit et publié en exil, à Paris, en 1873. Cette publication sous titré La misère au sein des richesses est l'œuvre d'un historien, d'un économiste, d'un politique et d'un patriote.

Ce qui retient l'attention du lecteur de 21ième siècle, dans ce livre est, d'abord, la vaste culture de l'historien, le calvaire du politique qui dénonce la politicaillerie haïtienne de l'époque, les démarches du patriote et de l'homme d'État responsable, qui plaide pour le développement [18] de l'agriculture et la suffisance alimentaire sur une terre qui était la mamelle de la France à l'époque de la colonisation.

Delorme dénonce la guerre civile, les gouvernements incapables, et indique enfin, fidèle à la thèse soutenue dans son livre Les Théoriciens au Pouvoir (1870), à qui confier le pouvoir en Haïti pour arriver au bien-être rêvé :

« Dans les temps de raison et de raisonnement ou nous vivons, la direction des affaires publiques appartient exclusivement aux plus capables. C 'est le fait des temps d'ignorance et de barbarie de fonder le règne des plus hardis. »

Dans Réflexions diverses sur Haïti, 36 ans avant L'Effort dans le Mal de Anténor Firmin, Delorme raille et ridiculise ceux qui souhaitent un protectorat américain en Haïti. En face du désordre organisé, érigé en système de gouvernement et de la faillite de notre système économique et financier, il jette un cri d'alarme. Il voit venir et dénonce les malheurs de l'occupation des États-Unis d'Amérique surtout après celle de la Samana, une province de la République Dominicaine. Il a vécu aux États-Unis. Témoin et sans doute victime du préjugé de couleur, il dit alors sans aménagement à ses compatriotes ce qui les attend sous la férule des blancs racistes américains.

Les Haïtiens sont fiers de leur passé. Ils doivent préserver l'avenir. Tout n'est pas perdu. Ce pays qui vit [19] dans la misère, au sein des richesses peut étonner l'humanité s'il se reprend :

« Le moyen de tout sauver à cette heure critique, c'est celui dont j'ai souvent parlé dans le cours de ces réflexions : il n'y en a pas d'autre, il n'y en a pas deux : c'est de relever en hâte notre production agricole. Si nous faisons cela, nous aurons le temps de tout sauver.

Et plus loin :

« L'initiative privée, je l'ai déjà fait remarquer, n'existe pas chez nous ; elle n'existe pas dans les pays placés à la tête de la civilisation ; c'est à l’administration, au gouvernement, qu'appartient la tache d'entreprendre ce qu'il y a à faire. Il s'agit d'ailleurs en premier lieu de donner sécurité au travail tout en l'encourageant pour le développer. Ce n'est pas avec des discours, avec des intrigues, qu'on peut sauver la république du danger qui la presse. »

Ces paroles date de 136 ans. Elles sont vivantes, elles sont actuelles et méritent d'être méditées et appliquées, compte tenu du contexte qui est le notre en l'an 2008.

Réflexions diverses sur Haïti, un livre à lire ou à relire, en ces temps difficiles et douloureux que traverse Haïti au seuil du vingt et unième siècle.

(Les Éditions Fardin)

[20]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 12 mai 2016 11:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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