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Collection « Les auteur(e)s classiques »

CONTES CHINOIS traduits par MM. DAVIS, THOMS, le P. d’ENTRECOLLES, etc..,
et publiés par M. ABEL-RÉMUSAT (1827)

Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte des CONTES CHINOIS traduits par MM. DAVIS, THOMS, le P. d’ENTRECOLLES, etc.., et publiés par M. ABEL-RÉMUSAT. Première édition, chez Moutardier, Paris, 1827, 240+226+200 pages. Reproduit en facsimile par Elibron Classics. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Avant-propos

Le P. Dentrecolles, membre de l’ancienne mission de la Chine, MM. Davis et Thoms, deux Anglais qui résident actuellement à Canton, ont tiré des recueils originaux et traduit du Chinois la plupart des nouvelles qui composent les trois volumes de ce recueil. Le mérite de les avoir choisies dans des collections qui en contiennent plusieurs milliers, celui de les avoir fait passer dans les langues de l’Europe, appar­tiennent en entier à ces auteurs ; nous ne saurions en réclamer la moindre partie, et c’est la première chose dont les lecteurs doivent être prévenus.

Le public a montré quelque disposition à ac­cueillir les tableaux de la Société de la Chine, tels que les écrivains de ce pays les ont tracés dans les romans de mœurs. On désire que le nombre de ces romans, rendus accessibles aux lecteurs européens, devienne plus considérable. Mais ce travail présente quelques difficultés de plus que la traduction des œuvres de Sir Walter Scott ou de Wanderwelde, et, en attendant que le zèle des savans puisse contenter la curiosité des amateurs, on a jugé qu’il serait agréable à ceux-ci de posséder quelques échantillons du goût des Chinois dans un genre secondaire, celui des Contes Moraux et des nouvelles. Les morceaux de cette espèce, généralement peu étendus, ne sauraient, sous le rapport de l’art, entrer en comparaison avec les grandes compositions des romanciers ; mais si la contexture de la fable et la peinture des caractères y sont ordinairement plus négligées, on y trouve en revanche une multiplicité d’incidens et de détails propres à soutenir l’attention, et à faire de plus en plus connaître l’intérieur de la vie privée, et les habitudes domestiques dans les conditions inférieures de la Société. Certains lecteurs ont été frappés, dans les conversations des Deux Cousines, d’une sorte d’uniformité provenant de ce que l’auteur s’est proposé surtout de représenter les manières et le langage des honnêtes gens, des gens bien élevés, des hommes de bonne compagnie, et des femmes d’un esprit cultivé. On a trouvé que les personnages de ce roman étaient trop délicats, et s’exprimaient avec trop d’élégance. Le même reproche ne pourra s’adres­ser aux récits qui forment cette collection ; on y verra figurer des bateliers, des artisans, des usuriers ; on y observera des complots de frippons et des scènes de brigands ; et comme il y a de tout cela, même dans une nation d’Asie, ces traits complèteront la peinture des habitudes chinoises. Lazarille de Tormes et la princesse de Clèves sont également des tableaux d’après nature, et l’art du romancier a de quoi satisfaire tous les goûts.

La nouvelle qui ouvre ce recueil n’avait jamais été publiée ; le sujet en est bizarre pour des Européens, et il faut s’être bien pénétré des idées chinoises pour en apprécier le mérite. Une femme exposée pendant plusieurs années à d’odieuses persécutions, sans jamais perdre de vue la vengeance qu’elle doit à ses parens, et dès qu’elle l’a obtenue, quittant sans regret la vie qu’elle ne supportait que par devoir, est aux yeux des Chinois un modèle d’héroïsme, et l’exemple de la pitié filiale. On ne voudrait pas chez nous que le crime et le châtiment de Sextus fussent séparés par un aussi long intervalle. La nouvelle qui retrace cet étrange dévoûment offre encore une autre singularité. Elle a été mise en latin par un Chinois, disciple de quelqu’un de nos missionnaires, et nommé Abel Yan. Ce traducteur d’une espèce nouvelle n’avait fait que de médiocres progrès dans la connaissance du rudiment ; il écrivait la langue de Cicéron à-peu-près comme ce capucin qui regardait la théologie comme une science trop supérieure à la grammaire pour être assujétie à ses lois, et qui, négligeant par suite de ce noble sentiment les règles de l’accord des noms et du régime des prépositions, écrivait Deo sanctam ou Credo Dei est sanctas. Le manuscrit d’Abel Yan, dont je dois la communication à M. le comte de Clarac, est tout entier dans ce genre de latinité. Il n’est pas bien étonnant qu’un Chinois sache mal le latin : ce qui est plus singulier, c’est que celui-ci n’entendait qu’imparfaitement sa propre langue, ainsi qu’on s’en est convaincu en comparant avec le texte plusieurs passages de sa traduction. Un jeune littérateur que je m’honore de compter parmi mes meilleurs élèves, M. Stanislas Ju­lien, a revu cette traduction tout entière, et se l’est en quelque sorte appropriée par les améliorations sans nombre qu’il y a faites. Il a lui-même mis en français plusieurs autres com­positions de ce genre, et pourrait en donner une collection considérable, si le succès de celle-ci répondait aux espérances des éditeurs.

On a revu de la même manière les traduc­tions du P. Dentrecolles. Elles avaient été faites assez légèrement pour avoir besoin d’être vérifiées en beaucoup d’endroits. Le style de ces petites narrations est pourtant en général très clair, privé d’ornemens et par conséquent exempt de difficultés. Mais apparemment le missionnaire n’y avait pas attaché d’importance ; sa plume savante aurait rendu plus fidèlement les maximes de Confucius, que certains passages de la Matrone de Soung. Ce dernier conte, le plus piquant de ceux que Dentrecolles a traduits, est une preuve que les Chinois ont connu ces fables milésiennes dont il faisait partie, et qui ont couru le monde. C’est la suppo­sition la plus naturelle qu’on puisse faire ; car comment imaginer qu’un second modèle ait pu fournir, au bout de l’Asie, l’aventure sur lequel est fondé ce récit satirique ? Il est curieux d’examiner la manière dont l’auteur chinois s’y est pris pour accommoder ce sujet aux mœurs de son pays. L’idée de l’éventail, l’indignation de la femme de Tchouang-tseu à la pensée d’une légèreté comme celle de la première veuve, sont des traits de génie que Voltaire n’a pas dédaigné d’emprunter au conteur chinois, et dont celui-ci n’était pas redevable aux premiers inventeurs. Le dénouement de la Matrone de Soung est d’une rare extravagance. Ceux des autres nouvelles, en général, en sont aussi la partie faible. C’est que l’idée ingénieuse qui se présente à un auteur, et les développemens agréables qu’il sait y donner, ne le soutiennent pas toujours jusqu’au bout, et que s’il y a mille moyens variés pour former une intrigue, il n’y en a qu’un très petit nombre pour la dénouer. Molière, dans son chef-d’œuvre, un célèbre auteur de nos jours dans ses romans les plus estimés, nous fournissent la preuve de cette difficulté, qui n’a pas été complètement éludée dans les Deux Jumelles, les Tendres Époux, l’Ombre dans l’Eau, et dans d’autres nouvelles dont le sujet est gracieux, mais dont la terminaison laisse quelque chose à désirer.

On a revu sur le texte original les contes traduits par Dentrecolles et M. Thoms, et l’on peut assurer que les premiers sont bien plus exactement rendus dans cette édition que dans celle qui fait partie de la collection de Duhalde. On a aussi rectifié les noms propres que l’usage est maintenant d’écrire d’après l’orthographe française. Il est resté, à cet égard, plusieurs irrégularités, surtout dans les nouvelles traduites par M. Davis, parce que nous ne possédons pas le texte chinois de ces dernières ; ni celui qui a réuni les matériaux de cette collection, ni les personnes qui lui ont prêté leur assistance, ne sauraient donc être responsables de cette partie de l’ouvrage, dont l’exactitude a pour garant le talent bien connu de M. Davis tout seul. Feu M. de Sorsum, qui a traduit de l’anglais les Trois Étages, s’est attaché à la première version de cet auteur, imprimée à Canton, et qu’on ne saurait se procurer maintenant en Europe. Le traducteur anglais a apporté lui-même quelques changemens à sa ver­sion, en la faisant imprimer à Londres, il y a cinq ans. Mais quoique ces changemens consis­tent principalement en suppressions, ils n’ont pas paru tourner à l’avantage du récit qui est devenu un peu sec et décharné. Les développemens de mœurs, les particularités qui se montrent dans les conversations sont ce que M. Davis a cru devoir abréger, et c’est justement là ce qui fait rechercher ces petites compositions avec plus d’intérêt, et ce qui les fait lire avec plus de curiosité. C’est, pour faire éviter l’ennui, un grand moyen que d’être court ; mais il ne faut pas en abuser.

Retour au livre de l'auteur: Se-ma Ts'ien Dernière mise à jour de cette page le mercredi 10 janvier 2007 18:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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