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Collection « Les auteur(e)s classiques »

DOCUMENTS SUR LES TOU-KIUE (TURCS) OCCIDENTAUX (1903)
Extrait


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Édouard CHAVANNES (1865-1918), DOCUMENTS SUR LES TOU-KIUE (TURCS) OCCIDENTAUX recueillis et commentés par E. Chavannes. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, Paris, 1903, IV+380 pages. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extrait

Brevet d’investiture conféré au roi du grand Pou-lu (Baltistan) en 717.

 

La cinquième année k’ai-yuen (717), le cinquième mois, on conféra par brevet le titre de roi de Pou-lu au roi du royaume de Pou-lu, Sou-foucho-li-tche-li-ni. Le brevet était conçu en ces termes :

« La cinquième année k’ai-yuen, le rang de l’année étant ting-se, le cinquième mois dont le premier jour est le jour keng-tse, le dix-septième jour qui est le jour ping-yn, l’empereur parle ainsi : or donc, ceux qui ressemblent aux sages et ceux qui marchent sur les traces vertueuses ne se trouvent pas seulement en Chine ; lorsqu’il s’agit de fonder une dynastie et de continuer une maison héréditaire, il n’y a pas de différence entre des peuples de mœurs diverses. Vous donc, le haut dignitaire Sou-fou-cho-li-tche-li-ni, roi du royaume de Pou-lu, depuis plusieurs générations, (vous et vos ancêtres) avez été des chefs qui avez conservé dans votre cœur la fidélité et le respect ; au loin vous déployez votre sincérité ; vous savez vous acquitter de vos devoirs et apporter votre tribut. Sie Tche-sin a pu mettre à exécution ses plans lointains et c’est grâce à vous que Kouo K’ien-koan a dû d’avoir des soldats en suffisance. Nous allons voir (le roi de) Yeou-tch’eng livrer sa tête ; comment nous bornerions-nous à couper l’aile des Hiong-nou ? c’est pourquoi j’ordonne que vous soyez roi du royaume de Pou-lu. Il faut que vous commenciez d’une manière excellente et que vous finissiez d’une manière parfaite, que vous observiez longtemps le calendrier chinois, que vous donniez la paix à votre peuple et la sécurité à votre royaume et que cette félicité s’étende jusqu’à vos descendants. Allez et respectez cela. Vous commencerez par recevoir ce brevet officiel et vous respecterez l’investiture que je vous fais la faveur de vous donner. Comment pourriez-vous n’être pas attentif » ? 

 

Requête présentée en 718 par Pou-lo, frère cadet du jabgou du Tokharestan.

 

La sixième année k’ai-yuen (718), le onzième mois, le jour ting-wei, A-che tegin Pou-lo adressa une plainte à l’empereur en ces termes :

« Mon frère aîné, le jabgou du T’ou-ho-lo, a sous ses ordres un ensemble de deux cent douze rois de divers royaumes, gouverneurs et préfets. Le roi du royaume de Sie-yu commande à deux cent mille soldats et cavaliers ; le roi du royaume de Ki-pin commande à deux cent mille soldats et cavaliers ; le roi du royaume de Kou-t’ou, le roi du royaume de Che-han-na, le roi du royaume de Kie-sou, le roi du royaume de Che-ni, le roi du royaume de I-ta, le roi du royaume de Hou-mi, le roi du royaume de Hou-che-kien, le roi du royaume de Fan-yen, le roi du royaume de Kieou-yue-to-kien, le roi du royaume de Pou-t’o-chan commandent chacun à cinquante mille hommes. Depuis mon grand-père et mon père jusqu’au souverain actuel, (les rois du Tokharestan) ont toujours été les suzerains de ces divers royaumes ; les barbares les considéraient avec le plus grand respect. Mon frère aîné P’an-tou-ni-li a reçu la succession royale par droit de primogéniture. Auparavant, il a reçu cette faveur qu’un édit impérial envoya un ambassadeur porteur d’un insigne de délégation se rendre dans son pays et le nommer roi par brevet. Or, les jabgous du Tokharestan, depuis plusieurs générations jusqu’à maintenant, ont été sincèrement dévoués à la grande dynastie T’ang ; ils sont venus sans interruption rendre hommage et apporter tribut. Notre royaume, se trouvant limitrophe des Ta-che (Arabes) et des T’ou-po (Tibétains), sa frontière orientale est en outre comme une place forte occidentale (pour la Chine). Mon frère aîné a constamment mis en campagne les soldats et les cavaliers qui sont sous ses ordres et a pris des mesures pour combattre les brigands ; il a été en intelligence avec les généraux chinois ; ses avis et ses secours leur ont répondu ; c’est grâce à cela que sur les territoires de la frontière on a pu éviter les invasions et les empiètements.

Mon frère aîné, ayant reçu à diverses reprises de nombreuses marques de la bonté impériale, confus et reconnaissant des faveurs de la Chine, m’a envoyé, moi Pou-lo, pour que je me rende à la cour et que je serve parmi les gardes du corps au bas des escaliers du trône ; mon suprême désir est d’offrir ma fidélité et de sacrifier ma vie en me conduisant comme un sujet ou une servante.

Quand je suis arrivé ici, comme je ne comprenais pas les usages chinois, le Hong-sou se, sans s’occuper de la plus ou moins grande considération des barbares (pour le Tokharestan) et sans tenir compte de la distance qu’il y a entre les plus ou moins grandes élévations des rangs, a fait un rapport pour déterminer le titre officiel qu’on me donnerait. Pour moi, je considère que le royaume de Che (Tachkend) et celui de K’ieou-tse (Koutcha) sont tous deux de plus petits royaumes que le mien ; or, quand des fils de roi ou des chefs (de ces royaumes) sont venus à la cour, quoiqu’ils n’eussent rendu aucun service signalé, on leur a donné, à cause de la considération dont ils jouissaient chez les barbares, le titre de général, (titre comportant le) troisième rang. Mais moi, Pou-lo, je suis un tegin ; chez mon peuple, ma dignité est considérée à l’égal de celle d’une personne royale ; je suis fort supérieur aux fils de roi des divers royaumes ; néanmoins on m’a donné le titre de tchong-lang, (titre comportant le) quatrième rang. Cependant, les fils ou frères cadets de rois barbares, tels que le P’o-lo-men (Hindou) K’iu-tan Kin-kang (Gautamavajra) et le fils du roi de K’ieou-tse (Koutcha), Pe Hiao-choen, ont tous à plusieurs reprises été promus et sont parvenus jusqu’au grade de général des gardes du corps. Moi seul, Pou-lo, qui suis un très grand chef barbare, depuis la première année chen-long (705) j’ai reçu par faveur impériale un décret me donnant le titre de tchong-lang-tsiang du i-fou, commandant de gauche des gardes militaires, c’est-à-dire depuis quatorze années écoulées, j’ai souffert pendant longtemps d’une injustice et je n’ai pas obtenu qu’on me donne un rang conforme aux statuts. Je ne peux surmonter l’intensité de la souffrance que je ressens de cette injustice ».

Un décret impérial ordonna aux directeurs du Hong-sou de fixer son grade conformément aux statuts, pour qu’il n’eût plus à se plaindre d’une injustice.

 

Requêtes présentées en 719 par Tougschâda, roi de Boukhârâ, par Nârâyana,
roi du Koumêdh, et par Ghourek, roi de Samarkand.

 

La septième année k’ai-yuen (719), le deuxième mois, le roi du royaume de Ngan (Boukhârâ), Tou-sa (Tougschâda) po-t’i envoya un ambassadeur présenter une requête où il discutait les affaires en ces termes :

« Votre sujet Tou-sa po-t’i dit : Votre sujet est l’esclave semblable aux herbes et au sol que foulent les pieds de vos chevaux sur un espace d’un million de li soumis au saint empereur qui, par la grâce du Ciel, commande à tout l’univers. Dans mon éloignement, je joins les mains, je me mets à deux genoux et j’adore les bienfaits et le prestige de Votre Majesté de la même manière que j’adorerais les dieux. Depuis que nous possédons le royaume de Ngan (Boukhârâ) jusqu’à maintenant, les membres de ma famille se sont transmis le pouvoir royal sans interruption ; avec leurs armées ou autrement, tous ont d’un cœur sincère servi l’empire. Depuis ces dernières années et jusqu’à maintenant, nous avons souffert chaque année des invasions et des ravages des brigands Ta-che (Arabes) et notre pays n’a plus joui du calme. Je demande humblement que la faveur impériale me fasse la faveur de me secourir dans ces difficultés ; en outre je prie qu’un décret donne l’ordre aux Tou-kiue-che (Turgäch ?) de venir à mon secours. Je me mettrai à la tête de mes soldats et de mes cavaliers, et, au rendez-vous convenu, nous écraserons de fond en comble les Ta-che (Arabes). Je demande humblement que la faveur impériale se conforme à ma prière. Maintenant, j’offre en présent deux mulets de Perse, un tapis brodé de Fou-lin (Syrie), trente livres de parfum yu-kin, cent kin de che-mi naturel. Maintenant, après avoir fait ces offrandes (?), je demande humblement que la faveur impériale me donne un titre officiel du troisième rang. En outre, ma femme, la katoun, présente deux grands tapis de Tcho-pi et un tapis brodé qu’elle donne à l’impératrice. Si je reçois les bienfaits de la faveur impériale, je demande qu’on me fasse présent de selles, de brides, d’armes, de tuniques, de ceintures et qu’on donne à ma femme, la katoun, des vêtements et du fard.

Le même mois, le jour ou-tch’en, le roi du royaume de Kiu-mi (Koumêdh = Karategin), Na-lo-yen (Nârâyana), adressa une requête à l’empereur en ces termes :

« Mon arrière grand-père, mon grand-père et mon père, mes oncles et mes frères aînés et cadets depuis longtemps et jusqu’à nos jours ont été sincèrement dévoués à votre grand empire. Maintenant les Ta-che (Arabes) sont venus faire des ravages. Le T’ou-ho-to (Tokharestan) ainsi que le royaume de Ngan (Boukhârâ), le royaume de Che (Tachkend), et le royaume de Pa-han-na (Ferghânah) se sont tous soumis aux Ta-che (Arabes). Dans mon royaume, tout ce qu’il y avait dans mes trésors et mes magasins, tous mes objets précieux et mes joyaux, ainsi que les richesses du peuple qui m’est soumis, ont été réquisitionnés par les Ta-che (Arabes) qui sont partis en les emportant. J’espère humblement que la bonté impériale fera en sorte que les Ta-che (Arabes) reçoivent l’ordre de renoncer aux taxes réquisitionnées dans mon royaume. Moi et les miens nous pourrons alors pendant longtemps garder la porte occidentale de votre grand empire. Je prie humblement que votre éclat m’illumine ; tel est le vœu de votre sujet.

Le même mois, le jour keng-ou, le roi de K’ang (Samarkand), Ou-le-kia (Ghourek), adressa une requête à l’empereur en ces termes :

« Votre sujet, Ou-le-kia (Ghourek), dit : Votre sujet est l’esclave semblable aux herbes et au sol que foulent les pieds de vos chevaux sur un espace d’un million de li soumis au saint empereur qui, par la grâce du Ciel, commande à tout l’univers. Les membres de ma famille, ainsi que les divers royaumes Hou depuis longtemps et jusqu’à maintenant ont été sincèrement dévoués à votre grand empire ; jamais ils ne se sont révoltés ni n’ont causé du dommage à votre grand empire ; nous avons été des pays qui avons agi en vue d’être utiles à votre grand empire. Voici maintenant trente-cinq années que nous bataillons sans cesse contre les brigands Ta-che (Arabes) ; chaque année nous avons mis en campagne de grandes armées de soldats et de cavaliers sans avoir eu le bonheur que la bonté impériale envoie des soldats à notre secours. Il y a de cela six ans, le général en chef des Ta-che (Arabes), I-mi K’iu-ti-po (l’émir Qotaïba), à la tête d’une nombreuse armée, est venu ici ; il a combattu contre nous et nous avons fait essuyer une grande défaite à nos ennemis ; mais beaucoup de nos soldats aussi étaient morts ou avaient été blessés ; comme l’infanterie et la cavalerie des Ta-che (Arabes) étaient extrêmement nombreuses et que nos forces ne pouvaient leur tenir tête, je suis rentré dans mes remparts pour m’y fortifier ; alors les Ta-che (Arabes) ont assiégé la ville ; ils ont placé contre les murs trois cents balistes ; en trois endroits ils ont creusé de grandes tranchées ; ils voulaient détruire notre ville et notre royaume. Je demande humblement que la bonté impériale, étant informée, envoie ici une certaine quantité de soldats chinois pour me secourir dans les difficultés. Quant à ces Ta-che (Arabes), ils ne doivent être puissants que pendant un total de cent années ; c’est cette année qu’est épuisé le total de ces années. Si des soldats chinois viennent ici, moi et les miens nous réussirons certainement à détruire les Ta-che (Arabes). Maintenant, j’offre en présent avec respect un excellent cheval, un chameau persan, deux mulets. Si la bonté impériale me fait la faveur de m’accorder des cadeaux, je demande qu’on les remette à mon ambassadeur qui me les apportera et j’espère qu’on ne le pillera pas.


Retour au livre de l'auteur: Édouard Chavannes (1865-1918) Dernière mise à jour de cette page le samedi 13 janvier 2007 7:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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