RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

L'ivresse de puissance. Treize ans de national-socialisme. (1945)
Préface à l'édition allemande


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Heinrich Orb (Henri Pfeifer ou Heinrich Stein), L'ivresse de puissance. Treize ans de national-socialisme. Traduit de l'Allemand par Paul Ladame et louis Loze. Les Éditions du Cheval Ailé, Constant Bourquin, Éditeur, Genève, 1945, 221 pp. Une édition numérique réalisée par Michel Bergès, bénévole, directeur de la collection “Civilisations et politique”.

[11]

L’IVRESSE DE PUISSANCE.
Treize ans de national-socialisme

Préface à l'édition allemande

Heinrich Orb

La puissance du nazisme appartient au passé ; pour l’empêcher de renaître, les hommes du monde entier, enfin sortis de leur stupeur, se sentent prêts à tous les efforts. Hautes et nombreuses, des voix s’élèvent et répètent comme un serment : « Plus jamais. » Mais certains événements pourraient favoriser le retour d’un régime abhorré. Le même phénomène se produisit après la dernière guerre, malgré les avertissements et les cris d’alarme. Alors, comme aujourd’hui, certaines mesures de défense ont créé ce qu’elles devaient éviter. Le sens même de la paix a été trahi. Les conflits, étouffés par la force, ne sont que différés.

Le monde attend encore la première paix de l’esprit, celle qui naît d’un consentement réciproque. Selon le climat spirituel, ignoré des penseurs « réalistes », les puissances naissent et s’écroulent, les conflits s’achèvent en catastrophes. Ce climat spirituel idéal ne se crée pas au gré des maîtres de l’heure et grâce aux moyens du moment. Il faut poser des bases spirituelles : la force spirituelle est le seul facteur efficace de l’apaisement et de la guérison.

Déjà la vie quotidienne reprend ; la grande peur d’hier est oubliée, voire reniée. On revient aux vieilles habitudes, abandonnées aux heures de panique. Déjà des juges nombreux et zélés se lèvent. Avec une extrême dureté, ils dénoncent la culpabilité du peuple allemand tout entier. Parmi ces juges figurent des hommes qui étaient prêts, aux jours critiques de 1940, à reconnaître la puissance du national-socialisme. C’est une ancienne, mais funeste tradition d’englober dans la même condamnation tous les êtres humains – nos semblables – qui se sont trouvés au centre d’un typhon politique.

[12]

Ceux qui vécurent à l’abri de la tempête ont beau jeu de porter des jugements sévères. La myopie intellectuelle est dangereuse.

Il est certes opportun que toutes les forces s’unissent pour conjurer le retour des manifestations et des sottises nazies ; mais ces forces doivent se manifester dans la justice.

Les généralisations, toujours arbitraires, les paroles violentes, les actes de haine vont à fins contraires.

Deux fautes doivent être évitées.

L’une est de nature politique ou pédagogique : on ne doit pas s’entêter à exiger l’impossible.

L’autre consisterait à juguler la jeunesse, à briser toutes les énergies en puissance. Si elles ne sont pas canalisées, dirigées vers un but élevé, ces énergies bouillonnent en des foyers souterrains, se fraient une voie, se répandent en un flot dévastateur. Les mêmes fautes sont toujours commises vis-à-vis des hommes et des peuples, lorsqu’une puissance n’est pas limitée par une opposition. Et les jeunes générations paient les erreurs anciennes.

Toute action préventive suppose la connaissance exacte du danger. Or, la menace est de nature spirituelle. Les hommes réagissent selon leur formation mentale, selon leurs habitudes et leur humeur, mais aussi selon une tradition géographique, économique et historique. Toute réaction correspond à un caractère ethnique qu’il faut connaître si l’on veut éliminer pour l’avenir les risques courus la veille. La connaissance de ces risques permet seule d’espérer le salut.

Comment le nazisme a-t-il pu dominer un grand peuple cultivé, au point qu’aucune révolte, aucune résistance passive d’une réelle importance ne retienne l’attention des observateurs étrangers ? Comment les Allemands ont-ils accepté de tels sacrifices, une telle soumission, un tel esclavage ? Comment ont-ils souffert en silence une telle contrainte véritablement inconcevable de la conscience et du sentiment, les horreurs sans mesure et sans nombre qui frappaient chacun ? Comment expliquer enfin qu’ils aient participé à une guerre d’agression entraînant une guerre mondiale ? D’où vient cette obstination à poursuivre la lutte, lorsque la victoire abandonna les drapeaux à croix gammée ?

Comment un peuple a-t-il pu choisir de tels guides, rester fidèle à [13] ceux dont les promesses n’étaient que tromperies, dont les prophéties étaient autant d’insanités ?

Qui dira pourquoi, sans souci des souffrances et de la mort, un tel héroïsme, une fidélité exemplaire, les vertus et les performances extraordinaires des meilleurs parmi les soldats furent offerts en sacrifice à une classe de « seigneurs », en réalité composée de criminels, de ratés, de vicieux, de prévaricateurs ?

En combattant pour Hitler, le peuple allemand a mené la guerre contre lui-même, comme jamais aucun peuple ne l’avait encore fait.

Expliquera-t-on, d’autre part, pourquoi la résistance des Polonais, des Belges, des Hollandais, des Français dotés de la « meilleure armée du monde », des peuples balkaniques, même, au début, des Anglais ou des Russes, fut balayée ?

Là réside le secret d’une puissance qui, après avoir dompté un peuple, utilise ce même peuple pour soumettre le monde.

Comment Hitler, Himmler, Heydrich sont-ils parvenus à cet étonnant résultat ?

À l’origine, un parti sans importance, mais déjà venimeux ; il groupe des individus médiocres au verbe primaire, aux idées courtes qui promettent tout et ne respectent rien. Les meneurs entraînent à leur suite des aventuriers, des condamnés de droit commun, des anormaux. À coups de gueule et à coups de poing, ils recrutent leurs partisans dans la foule des mécontents. Quelques années se passent et déjà l’Europe tremble. Avec raison, car certaines conséquences sont déjà visibles.

Des millions de morts, de déportés, de fugitifs ; des hommes voués par centaines de milliers au martyre – comment pareil drame a-t-il pu se produire ? Les événements extérieurs, certes chacun les connaît, mais leurs causes et leur origine échappent, je le crains, à la plupart d’entre nous.

Ce livre – où il faut voir une simple succession de notes – fournit les premiers éléments de connaissance. Et cette connaissance commence aux faits. L’intention de l’auteur n’est pas de décrire les faits les plus saillants et les plus connus, mais ceux qui sont restés dans l’ombre. Comment les nazis établirent-ils leur puissance ? Comment firent-ils passer les Allemands sous le joug ? Un de leurs compatriotes tente ici de l’expliquer. Il apparaît clairement que sous le pseudonyme d’Heinrich [14]

 Orb se cache un homme qui a occupé un poste important ; il put observer de l’intérieur comment s’édifiait la puissance nazie. Sans aucun doute, il travailla à renforcer cette puissance jusqu’au jour où il trouva son chemin de Damas et où ses yeux s’ouvrirent sur les conditions et les conséquences d’un système. Il eut le temps de faire volte-face et, après des épreuves et des aventures douloureuses, il réussit à échapper à la puissance que, fasciné comme tant d’autres, il avait contribué à forger.

Un jour peut-être l’auteur dévoilera son secret ; il révélera le poste qu’il occupait et comment il fut appelé à collaborer presque quotidiennement avec les Hitler, les Himmler, les Heydrich et autres personnages. Il dira comment ses yeux s’ouvrirent, ce qu’il vécut alors, sa lutte contre le danger enfin reconnu.

Pour l’instant, nous assistons avec un étonnement mêlé d’horreur à la naissance du national-socialisme. Les inspirateurs du parti, les « Hommes-soleil », les gens du Sd, n’avaient pas encore été présentés au public. Nous voyons un filet, tissé avec une précision méthodique, se refermer sur les Allemands. Tout espoir de fuite est perdu pour eux avant même qu’ils soient conscients du danger. En règle générale, seule la mort permet d’échapper à la puissance nazie – et après quels horribles martyres !

Aujourd’hui, le monde proteste contre ces martyres. Avec raison. Mais pourquoi ces protestations ont-elles tant tardé ? Lorsque, par centaines de milliers, les opposants actifs, les hommes simplement suspects au nazisme disparurent dans les camps de concentration ; lorsque les juifs furent traqués, les mêmes hommes qui crient aujourd’hui vengeance refusèrent d’écouter des récits dangereux pour leur confort et leur tranquillité d’esprit. Les témoins passaient pour des bourreurs de crânes ; c’est bien clair : on refusait de les écouter et on le leur fit comprendre ; les cris des victimes n’eurent aucun écho ; une fausse sagesse rendait les hommes inhumains.

Tous les gouvernements étaient informés des événements d’Allemagne ; et cependant ils entretenaient des rapports avec les brutes triomphantes, avec les nazis. On faisait des affaires, on concluait des contrats avec eux, on renforçait leur puissance, on écartait les gêneurs. Ce fut la conspiration du silence.

[15]

On pouvait cependant lire dans Mein Kampf un exposé parfaitement net des projets hitlériens ; ces plans n’éveillèrent la colère des peuples que le jour où ils furent à la veille de réussir. Bien avant la guerre cependant, on connaissait la vérité sur les camps de concentration.

L’auteur a réuni un matériel important et des documents souvent inédits ; mais la valeur du livre réside en ceci surtout qu’au-delà des faits, il étudie l’esprit qui les anime.

Cet esprit met d’admirables ressources au service d’une mauvaise cause. Plus exactement, un esprit malin, un esprit de mensonge se double d’une maîtrise dans l’organisation, d’une ténacité de fer, d’une passion lucide. Il offre comme une image inversée de la vertu.

Il suffit.

Lisons ces pages.

La lecture achevée, recueillons-nous, posons-nous une seule question : « Pris dans le filet, aurais-je eu la force de sacrifier – sans utilité, sans la moindre chance de réussite – femme, enfants, situation, tous les biens terrestres, pour reprendre ma liberté au seul prix d’une mort terrible ? Celui qui, devant Dieu et devant sa conscience, peut répondre oui, en toute certitude, celui qui peut en outre ordonner un geste de pardon, celui-là seul a le droit de jeter la pierre à l’Allemand moyen qui n’a pas été capable d’un tel sacrifice.

L’Éditeur qui offre au public un tel livre assume une responsabilité, sans pour autant prendre à son compte chaque parole ou chaque idée de l’auteur. Il tient à s’expliquer. Il nourrit l’espoir de voir renaître des ruines un monde meilleur. Il ressent la force et la sincérité des mots « Et pourtant ! », prononcés au lendemain de la catastrophe.

Enfin, il approuve l’attitude de l’auteur, qui voit les choses telles qu’elles sont et non point déformées par l’habitude, la passion, les partis pris ; il s’agit maintenant de tirer parti des expériences.

Apporter sa contribution à un exposé des faits et à la formation d’un jugement, tel fut le vœu de l’éditeur.

Un ami de l’éditeur

[16]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 25 janvier 2023 22:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref