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IMPRESSIONS D’UN PASSANT
Amérique Europe Afrique
Au lecteur
Outre beaucoup d'autres façons de répartir les auteurs en diverses catégories plus ou moins nettement tranchées, il y a celle-ci, qui consiste à les partager en deux classes seulement : les auteurs qui écrivent tout d'abord la préface de leur livre, et ceux qui réservent pour la fin cette tâche agréable. Je suis malheureusement de ces derniers, et c'est pour cela que je me vois aujourd'hui forcé de présenter au public ce nouveau volume sans pouvoir y mettre de préface !
Il est en effet arrivé qu'au moment où ces pages s'en allaient sous presse, je m'en allais, moi, sur un lit d'hôpital où je suis resté presque tout le temps que mon livre s'imprimait. Quelques amis, à l'obligeance de qui je ne saurais trop rendre hommage, ont bien voulu s'occuper de la correction des épreuves, lorsque je n'ai pu moi-même faire ce travail. Cela soit dit pour expliquer au lecteur sévère comment il se fait qu'on ne trouvera peut-être pas, d'un bout à l'autre du volume, une parfaite uniformité dans les détails orthographiques. Une autre conséquence de la situation où je me suis trouvé, c'est que, pour une notable portion de ce livre, je n'ai pu donner le coup de rabot final sur lequel on compte toujours beaucoup pour la perfection de son « chef-d'œuvre ».
Mais surtout, conséquence que chacun est tout à fait libre de juger heureuse ou malheureuse, je me vois incapable de l'effort nécessaire pour rédiger la « préface » qui depuis des mois me trottait par la tête... Dans cette préface, on m'aurait vu :
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1° À l'exemple de tant d'auteurs qui croient nécessaire de s'excuser du livre qu'ils viennent d'écrire, exposer que si j'ai osé faire imprimer ces chroniques de voyage, ce n'a été que pour contribuer à l'instruction de la jeunesse, qui est friande de ces sortes d'écrits et y puise sans s'en apercevoir des connaissances variées sur les pays et les peuples divers ;
2° Proclamer sans façon que le genre descriptif n'existe plus en littérature, les albums illustrés, les revues et journaux illustrés, et surtout les cartes postales illustrées le remplaçant à notre époque avec beaucoup d'avantage : tout cela pour éviter qu'on me reproche d'avoir si peu décrit dans mes récits de voyage ;
3° Prévenir le lecteur irréfléchi que je suis loin d'avoir tout dit sur les choses et les gens dont je parle en ces pages, ne m'étant généralement proposé que de donner mes propres impressions de voyage, et non celles des « Guides » Baedeker, etc.
4° Faire remarquer à ceux qui trouveraient que le « haïssable moi » et son frère « je » reviennent par trop souvent dans ces chroniques, qu'il n'y a que trois « personnes » dans les verbes, et que ne pouvant employer la deuxième ni la troisième dans mes récits, je ne sais comment j'aurais pu éviter de me servir de la première.
Voilà les quatre points, à part quelques autres, que j'aurais développés dans la préface que je projetais. Les circonstances ont fait que, le lecteur et moi, nous nous en tirons avec deux pages seulement. Cela démontre, une fois de plus, que l'on a raison de dire qu’« à quelque chose malheur est bon ».
Hôtel-Dieu de Québec, 26 juin 1906.
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