Préface
En publiant ces quelques pages, écrites aussi bien pour les étrangers que pour mes compatriotes, je voudrais attirer l'attention de tous ceux qui nie feront l'honneur de me lire sur cette île lointaine d'Haïti, trop peu connue des uns, trop méconnue des autres ; sur ce pays qui fut mon berceau et dont j'ai, comme le berger de Virgile, et plein de tristesse, bien qu'exilé volontaire, quitté la terre si douce, dulcia arva, pour venir sur cette généreuse et hospitalière terre de France chercher des amis à ma patrie et faire appel en sa faveur à la sympathie de tous.
On s'étonnera peut-être, et avec apparence de raison, que je choisisse, pour faire un tel appel, et pour dire les enchantements et les beautés de mon pays le moment même où chaque courrier nous apporte un écho de la guerre civile dont il est déchiré. Oh ! oui, certainement, le peuple haïtien serait beaucoup plus heureux si, « de ses propres mains déchirant ses entrailles », il ne continuait pas à se créer, hélas ! une douloureuse histoire ; mais ce serait, qu'on en convienne aussi, un fait vraiment extraordinaire si, ballotté par les dernières commotions de la tempête qui en fit un peuple libre, il n'avait déjà plus à tâtonner, et s'il ne cherchait pas encore à orienter sa boussole vers le port dont il fera définitivement son refuge et où, le patriotisme de tous y aidant, il réussira bientôt, soyons-en sûrs, à entrer à pleine voile.
Eh bien ! c'est parce que telle est ma conviction, c'est parce que je ne puis douter que ces dissensions aient un terme prochain, c'est, enfin, parce que je suis persuadé qu'un gouvernement stable et réparateur ne tardera pas à diriger les affaires de mon pays et à répandre autour de lui son action bienfaisante et civilisatrice, que je ne veux pas attendre plus longtemps pour dire les destinées pacifiques que je rêve pour ce coin de terre béni du Ciel.
Heureux si le succès vient couronner mes efforts ; heureux si je parviens à mieux faire apprécier et aimer ma patrie en la faisant mieux connaître, et en contribuant ainsi, pour ma faible part, à sa gloire et au bonheur de mes concitoyens.
A. B.
Paris, juin 1889.
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